Ces derniers jours, notre Premier ministre François Bayrou s’est lancé sur YouTube au travers d’un premier "podcast" pour expliquer les choix budgétaires et la politique économique du gouvernement. On ne s’attendait à rien, mais on est quand même déçus ! La première vidéo récapitulative postée hier commence dès les premières secondes par le mépris habituel pour les classes populaires. L'extrait choisi pour commencer est révélateur de la déconnexion complète du Premier ministre, il commence ainsi : « entre les efforts qu'on choisit et les sacrifices qu'on subit, c’est là qu'est aujourd’hui la question qui va se poser à chacun des Français ».
Comme si ceux qui touchent les prestations sociales, qui ne seront pas valorisées à hauteur de l'inflation à cause de l’année blanche, ne subiront pas plus de sacrifices, comme si la suppression d'emplois publics et le non-remplacement de nombreux fonctionnaires n'allait pas dégrader la qualité des services publics, comme si une nouvelle remise en cause de l’assurance chômage n’allaient pas dégrader la situation de nombreuses personnes. En réalité, les sacrifices sont déjà là. Bref, une nouvelle communication mais une doctrine économique désastreuse socialement et écologiquement, qui a déjà montré son inefficacité depuis presque 50 ans.
Tout au long des 8 minutes et 36 secondes de la vidéo, le Premier ministre va appliquer les petites recettes habituelles pour instaurer un climat de peur afin de justifier ses politiques austéritaires et inégalitaires. Malheureusement pour lui, cet argumentaire qui nous est rabâché depuis maintenant des décennies a été vivement contesté par de nombreux économistes. Aujourd’hui, nous savons que l’argumentaire qu’il développe dans sa vidéo relève plus de fables que de réalité économique. Je vous propose dans cet article de revenir sur plusieurs de celles-ci développées par le Premier ministre.
- Fable n°1 : « Ça s’appelle le surendettement. Les familles le connaissent, les associations le connaissent, les entreprises le connaissent et c’est un mal qui menace votre survie.» (François Bayrou, 2"46)
Le premier stratagème, maintenant bien connu, est de comparer la dette publique de l’État et celle d’un ménage ou d’une entreprise. Avant, ils nous présentaient cet argument sous la forme du « bon père de famille », aujourd’hui François Bayrou tente une nouvelle formulation, nous pouvons applaudir l’effort, néanmoins le fond ne change pas. L’objectif est toujours de jouer sur la personnalisation et l'identification au problème pour que le citoyen se dise que oui, le surendettement, il connaît et c’est toujours dramatique. Chacun a même des exemples en tête dans sa famille d’une personne qui est en difficulté à cause de dettes ou dans sa ville d’une entreprise qu’il a connue depuis petit et qui vient de fermer. Cependant, ces exemples n’ont rien à voir avec la situation de la dette publique puisque, contrairement à un ménage, une association ou une entreprise, l’État ne meurt jamais et ne peut donc pas faire faillite comme une entreprise. De plus, l’État peut à tout moment augmenter ses recettes pour éviter les difficultés ou faire « rouler sa dette » *, contrairement à un ménage et à la majorité des entreprises.
- Fable n°2 : « Ce danger existe parce que nous l’avons laissé se développer au travers de 50 ans de déséquilibres. » (François Bayrou, 3"36)
Ici, le Premier ministre ne nous dit pas ce qu’il s’est passé durant les 50 dernières années du point de vue économique. Si nous remontons 50 ans en arrière, nous arrivons en 1975. C’est justement au milieu des années 1970 et au début des années 1980 en France, que la révolution néolibérale prend forme et que le consensus keynésien se termine. C’est à ce moment, juste après les « trente glorieuses » que nous entrons dans ce que Jacques Généreux appelle « la grande régression » (Généreux, 2023). Les politiques préconisées sont celles de réduction des salaires, de baisse de la dépense publique (austérité), de destruction de la législation protectrice de l’emploi… Bref, ce que Bayrou propose au pays et ce qu’il essaye de justifier dans sa vidéo. Un peu contradictoire d’attaquer les 50 dernières années qui ont été justement l’application des mêmes recettes économiques qu’il propose aujourd’hui. Par conséquent, je propose une reformulation de la citation du Premier ministre : « Ce danger existe parce que nous l’avons laissé se développer au travers de 50 ans de politiques néolibérales. »
- Fable n°3 : « Chaque seconde de chaque jour et de chaque nuit, la dette de la France augmente de 5000 €. » (François Bayrou, 4"26)
Encore une fois, le Premier ministre souhaite nous faire peur. Imaginez que chaque seconde, la dette augmente, c’est terrible ! Bien évidemment, il ne précise pas à quoi sert cette dette, si elle est utile ou non, comme si cette somme ne servait à rien, mais passons sur ce point. Le plus grave ici est la façon dont il présente le niveau de la dette publique. En réalité, dire de combien notre dette augmente par seconde ne dit rien, ne prouve rien et surtout ne sert à rien, à part faire peur. Souvent, dans le débat public, le niveau de la dette est présenté avec le ratio dette publique/PIB, et ce ratio serait actuellement d’environ 113,9% (INSEE). Cependant, cette façon de calculer le poids de la dette est contestée par certains économistes car l’on compare un stock (dette) et un flux (PIB). Comme nous faisons rouler notre dette, ce qui compte, ce sont les intérêts que nous payons sur nos emprunts pour rembourser la dette. Dès lors, ce qui est important, c’est la « charge de la dette ».
Les Économistes atterrés, dans leur ouvrage collectif La dette publique, précis d’économie citoyenne, vont proposer plusieurs autres indicateurs, tels que la charge d’intérêts de la dette publique/PIB, ce qui est utile pour se rendre compte de ce que coûte la dette par rapport à la richesse créée d’une année (Berr, Charles, Jatteau et al. 2024). Cet indicateur est loin des 113,9 % du ratio dette publique/PIB puisque, en 2022, selon le calcul des auteurs, il est de 2 %. Les auteurs rapportent également la charge d’intérêt de la dette publique aux recettes publiques qui permettent de payer cette charge, et avec ce ratio ils trouvent un peu moins de 4 % en 2022. La dette fait donc peur selon la manière dont on la présente.
- Fable n°4 : « Si nous ne décidons pas de nous ressaisir, alors c’est que nous sommes irresponsables devant nos enfants. » (François Bayrou, 5"20)
L’un des autres stratagèmes pour nous faire peur est le supposé poids de la dette que nous léguerions à nos générations futures. Cependant, ce raisonnement est incomplet puisqu’il repose uniquement sur ce que nous devons « rembourser » (passif), mais qui, en s’endettant, ne regarde que ce qu’il a emprunté sans regarder ce que ce prêt a permis d’obtenir (actif) ?
Imaginons un instant que vous vous endettiez auprès de la banque pour acheter une maison et qu’une fois le prêt effectué vous ne prenez pas en compte la maison que vous venez d’acheter mais simplement la somme à rembourser plus le taux d’intérêt. Personne ne fait cela car c’est absurde ! Nous nous endettons tous pour obtenir un bien, consommer ou investir (pour les entreprises notamment), nous avons donc un actif. Pour l’Etat cette fois ci c’est la même logique l’état s’endette pour financer les écoles, les hôpitaux, les services publics... Cet argent ne se volatilise pas. C’est absurde de faire comme si l’État s’endettait pour rien, pour ne rien obtenir, pour ne rien faire.
Pour effectuer un raisonnement complet, il faut donc regarder le passif des administrations publiques et les actifs des administrations publiques (APU). L’économiste Léo Malherbe, sur le réseau social X, avait fait le calcul de l’actif net des APU (total de leur actif - total de leur passif) pour 2022 et trouvait un actif net des administrations publiques de 12 684,38 € par habitant : « Quand on mesure l’actif net des APU, c’est-à-dire la différence entre le total de leur actif et le total de leur passif, on obtient une valeur positive de 864,4 milliards. Rapporté à la population, l’actif net des APU est précisément de 12 684,38 €. » (Malherbe, 2024). Ainsi, et toujours selon ses calculs, chaque Français ne naît pas avec 51 956,79 € de dette publique, mais avec une richesse nette publique de 12 684,38 €. Quand on raisonne complètement et pas à moitié, on a moins peur et c’est plus réaliste.
Tweet de l'économiste Léo Malherbe sur X
* C’est à dire que l’état emprunte pour rembourser ses emprunts qui arrivent à échéance. Si l’état doit rembourser 1000 il va réemprunter 1000 pour rembourser. Dès lors ce qui devient important c’est le poids des intérêts de ces emprunts et non pas le niveau en soi de la dette.
Références:
- Berr Éric, Charles Léo, Jatteau Arthur, Marie Jonathan, Pellegris Alban. La dette publique, précis d’économie citoyenne. Seuil. 2024
- Bayroux François, FB Direct - Épisode 1. Youtube, 5 aout 2025, (vue le 6 aout 2025) https://www.youtube.com/watch?v=L5SJ4TamfWk
- Généreux Jacques.Quand la connerie économique prend le pouvoir. Seuil. 2023
- Malherbe, L. [@Leo_Malherbe]. (2024, 09 octobre). « Quand on mesure l’actif net des APU, c’est-à-dire la différence entre le total de leur actif et le total de leur passif, on obtient une valeur positive de 864,4 milliards. Rapporté à la..."[Tweet]. X (anciennement Twitter). https://x.com/leo__malherbe/status/1844045666013868529?s=46