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Billet de blog 28 juillet 2024

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Cérémonie d'ouverture des JO : le dire et le faire

S'il y avait de quoi se réjouir dans les images que proposait la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques ce vendredi, nous avons plus applaudi l'idée d'une fête inclusive et diverse que sa réalité. Ce qui semble une habitude de la gauche culturelle : préférer les concepts aux faits.

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Avant d’analyser la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques parisiens et de se faire traiter de pisse-froid par celles et ceux qui ont loué mondialement et unanimement le spectacle, disons clairement d’où l’on parle. Nous habitons Paris, travaillons dans la culture, votons Mélenchon. Malgré nos réserves sur les JO (expropriations, ville tout sécuritaire, inflation, bilan écologique), nous adorons les cérémonies d’ouverture, et plus généralement ces grandes manifestations publiques. Et hier soir, à 19h30, nous étions comme des enfants devant notre télévision et attendions avec impatience d’être émerveillés. Nous prenons ces cérémonies au sérieux, parce qu’elle raconte comment un pays ou une communauté se présente au monde. C’est toujours un manifeste politique. Déjà en 1989, le bicentenaire de la Révolution transformait la révolte d’un peuple en défilé de mode et actait définitivement la trahison de la gauche française commencée avec le tournant de la rigueur.

Commençons donc par énumérer ce qui nous a rempli de joie hier soir. Il y a un an, lors de l'ouverture de la Coupe du monde de rugby, la France avait choisi de créer une carte postale animée des années 1950, avec un Jean Dujardin essoufflé transformé en boulanger populo. L’imagerie sentait bon l’extrême-droite, non parce que les hommes virils en marcel et béret nous effraient, mais parce que le spectacle était marqué par la nostalgie d’une France de papier, irréelle. Il y avait donc de quoi s’inquiéter pour ces JO 2024, surtout après une longue période de montée de la pensée réactionnaire, largement organisée par l’extrême-centre au pouvoir.

Nous étions donc heureux de voir que la France avait choisi de se montrer au présent, et telle qu’elle est vraiment aujourd’hui. Elle érigeait des statues d’autrice et d’anarchiste devant l'Assemblée nationale pour faire la nique aux grands hommes. Elle était une fête queer sur la Seine. Elle rassemblait Aya Nakamura et la Garde républicaine. Et quand elle évoquait son passé, c’était pour rappeler qu’elle avait guillotiné les aristocrates et qu’elle était encore capable de hurler des chants révolutionnaires en repeignant de sang la Conciergerie. La colère délirante de la droite réactionnaire et les pays qui arrêtaient la retransmission de la cérémonie prouvaient que le spectacle demeurait, malgré tout, subversif. Il aurait pu être inoffensif, bien dans l’esprit de neutralité du comité d’organisation des JO. Il fut au contraire rempli d’images qu’on ne peut qu’apprécier en ces temps sombres. 

Mais le problème de la cérémonie réside justement là : tout n’était que symbole. La Cène queer qui encadrait le schtroumpf Katerine tout nu ne disait rien d’autre que “nous sommes queers”. Leur rôle dans la cérémonie était d’être un “symbole” de la “diversité”. Ils et elles n’apportaient rien de plus que leur présence et leur existence se résumait à faire de la figuration dans une fête et un défilé de mode. Il est aisé de reconnaître ici le modèle tant le sponsor premium de ces JO avait imposé sa présence dans la cérémonie à coups de gros plan sur son monogramme et de malles géantes : nous étions dans une de ces soirées LVMH où la très grande bourgeoisie s’encanaille avec les drag-queens et kings et les danseureuses de voguing. Il serait aisé de parler pinkwashing ou tokenisation : c’est sans doute le mieux qu’on puisse espérer d’un événement au cadre si surveillé, au cahier des charges aussi épais. Mais ce serait passer à côté de la mécanique ici à l’œuvre.

Pour mieux comprendre, revenons sur une autre cérémonie d’ouverture de Jeux olympiques, à Londres en 2012. L’un des tableaux mettait en scène la révolution industrielle. Y apparaissaient de nombreux capitalistes à chapeau haut-de-forme et des figurants déguisés en ouvrières et ouvriers, vêtements élimés et visages sales. Nous étions aussi dans le symbole. Avantage à la France de ce côté : au moins, nous n’avions pas des intermittents grimés mais, à Paris, de vraies personnes trans qui vivent les discriminations au quotidien. Mais, à Londres, les faux ouvriers se mettaient au travail. Ils fondaient du métal, qui venait se loger dans un énorme moule rond. Après quelques minutes, le grand cercle en fusion s’élevait dans les airs et s’associait à quatre autres formes pour forger les cinq anneaux olympiques dans une pluie d’étincelles. Londres rappelait que les ouvriers n’étaient pas que des figurants. Ils étaient ceux qui avaient rendu ces Jeux possibles, ceux, aussi, qui avaient travaillé au progrès depuis des siècles, en créant les routes, les ponts, les stades, les chemins de fer, les pistes d’avion. Le clou était enfoncé deux heures plus tard alors que la flamme olympique entrait dans le stade entourée par tous les travailleureuses qui avaient construit le stade en question. Les vrais, cette fois-ci.

Si, à Londres, la présence des travailleureuses ne relevait pas que du symbole réconfortant, c’est qu’ils étaient intégrés à un récit. Ces ouvriers y tenaient un rôle qui se déployait tout au long du spectacle. À Paris, chaque tableau était clos sur lui-même et ne s’intégrait pas dans un récit plus large. Il y a un signe qui ne trompe pas : Gojira pouvait bien avoir décapité la royauté avec ses guitares grasses, cela n’empêchait pas la cour versaillaise de reprendre vie un peu plus tard au son du clavecin, avec les bikers à collerettes aux chemises siglées “XIV” ou “XVI”. Le lien entre la débauche des nuits versaillaises et la Révolution n’existait pas : ces deux moments devenaient des images du passé français, à la beauté égale, dans une vision plane des événements. En ne proposant pas de narration entre les scénettes, la cérémonie oblitérait assez logiquement l’articulation des événements historiques entre eux, et avec elle toute dimension dialectique. À Londres, la campagne anglaise était décimée par les cheminées des usines, qui donnaient naissance autant à l'olympisme moderne qu’aux manifestations des Suffragettes. 

Tous les tableaux parisiens étaient fugaces et enclos. Ce faisant, ils faisaient resurgir le modèle esthétique qu’ils pensaient fuir : la carte postale. Ce n’était certes pas des images d’Épinal comme lors de la Coupe du monde de rugby, mais ce n’en était pas moins des cartes postales : de belles images, parfois très fortes, mais toutes univoques car sans disputatio. La cérémonie d’hier n’était pas si différente de celle du Rugby, puisqu’elles obéissent à la même logique. Les images ne s’adressaient pas au même public, simplement. La symétrie parfaite des réactions est sur ce point éloquente. Il y a un an, toute la gauche s’offusquait d’un spectacle rance, tandis que la droite se félicitait de l’image envoyée au monde, accusant les premiers de ne pas aimer la France. Cette année, les réactionnaires explosent de rage pendant que les progressistes applaudissent des deux mains, la cérémonie réussissant à attirer à elle beaucoup de celles et ceux qui, quelques minutes auparavant encore, n’avaient pas de mots assez durs pour incriminer les Jeux.

Répétons-le : on a raison de préférer les cartes postales inclusives aux cartes postales réactionnaires. Il n’est pas question pour nous de renvoyer dos-a-dos le sourire macho de Jean Dujardin distribuant des baguettes et l’incroyable dignité de la mezzo-soprano Axel Saint-Cirel chantant La Marseillaise sur le toit du Grand Palais. Encore moins de nier que le cheval mécanique galopant sur la Seine avait plus de gueule que le triste sire déguisé en coq gaulois. Mais cette similitude dans la logique de carte postale nous interroge sur la gauche culturelle, petite communauté à laquelle nous appartenons, qui a acclamé la cérémonie et qui était clairement aux commandes vendredi soir — Thomas Jolly ayant appelé à voter Mélenchon en 2022. Force est de constater que nous nous satisfaisons d’intentions. 

Cette prégnance de l’intention louable sur la construction d’un véritable récit se voyait clairement hier soir, ou plutôt se percevait, justement parce qu’on n’y voyait rien. Passons sur le fait qu’une bonne part des scènes se déroulaient sans un véritable public. Nous avons aussi passé notre temps à nous demander ce que les gens sur place pouvaient bien regarder à part les écrans et les bateaux, au loin. De notre côté, devant la télévision, les caméras étaient trop peu nombreuses et embuées de pluie, gâchant certaines scènes : le catwalk, Imagine. On arguera des conditions, mais à 150 millions de budget, il y avait de quoi prévoir des imprévus et transformer les idées de mise en scène en séquences filmées plutôt qu’en images lointaines.

Nous avons surtout applaudi l’idée de la cérémonie. Les gens sur place étaient contents d’y être, même s’il ne regardait eux aussi que la retransmission. Nous étions heureux parce que on nous affirmait que le spectacle était inclusif et pour la diversité. Dans les faits, nous admirions des cartes postales floues et mal filmées. Il faudra un jour que nous nous interrogions sur notre tendance à négliger la réalité des choses et le peu d’importance que nous accordons à la capacité à faire exister concrètement des idées. La gauche culturelle devrait simplement mettre en adéquation le fond et la forme, et tirer de ses choix politiques une esthétique.

Vendredi soir, nous avions l’impression de faire à nouveau barrage à l’extrême-droite en votant Macron. En oubliant, encore une fois, que le barrage en question est plus une idée qu’une réalité. Macron a beau montrer qu’il défend des idées réactionnaires et sauter de plus en plus vite sur la pente autoritaire, l’idée qu’il est moins dangereux que l’extrême-droite surclasse les actes concrets. Malgré tout, nous nous désistons face à Gérald Darmanin et mettons des bulletins Ensemble dans les urnes. On répète que l’extrême-droite jamais ne rendrait le pouvoir si elle l’avait conquis, en oubliant que Trump et Bolsonaro l’ont quitté. Macron, lui, refuse de reconnaître les résultats des élections, il conserve le gouvernement. L’idée d’un centre raisonnable reste plus prégnante que les faits d’un extrême-centre au bord du fascisme. À force de transformer le réel en suite de cartes postales ou de “séquences politiques”, comme le dit le pouvoir, nous ne voyons pas l’horreur qui se trame, cachée derrière un discours aussi flou que les images de vendredi soir.

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