Numidiama blessure (*)
par
jeudi 24 février 2011, 20:40
illustration - Caggini
IL en fallait de l 'amour pour pouvoir écrire ce poéme charnel, douloureux, élégiaque, Abdenour.
Numidia ma blessure
Les livres te disent vieille et décharnée,
toiqui naquis dans le temps jadis.
Trente siècles de vie, vierge tu es restée
etle soleil irradie encore tes abysses.
Sous tes haillons de pauvre orpheline,
tucaches de bien précieux trésors
d'émeraudes, d'argent et d'opalines,
mais ta nuit dure au-delà des aurores.
Infidèleà tous tes amants tu es,
donnantle sein à la lie des souverains.
En ton ombre, la colère a fini de couver
et ne porte pas que l'amour en dessein.
Qu'as-tu,ma chère, à pleurer comme ça,
surles cadavres de tes hirondelles ?
Lorsque sous tes cieux sonnera le glas,
quipourra aimer ton corps de pucelle ?
Onte dit sans histoire ni aucune racine,
toiqui caresses le désert de ta chevelure.
Detous les tyrans tu fus la belle concubine,
t'offrantaux eaux sales et aux rives impures.
Tues l'infamie et l'honneur réunis,
noçantà l'heure de ta grandeur déchue.
Tues, aussi, l'huile, la figue et le pain pétri
queguettent les spectres et les âmes dissolues.
J'accouret'embrasser avant le trépas
pourque tu puisses mourir tranquille.
J'accourecar le sang et le vin te noient
etabreuvent tes terres saintes et dociles.
Tues mon premier et ultime amour
etmon pauvre cœur n'a pas eu le choix.
Jet'aime avec peine mais sans détour
etton âme ne cesse de hanter ma foi.
Jete parle comme si tu étais une femme nubile,
toila mère de Lilith, Anzar et de tous mes dieux.
Jete décris, aussi, en traits de glaise et d'argile,
toidont le sein est fait de dunes et rocs précieux.
Tun'es ni l'une ni l'autre, oh Mère!
Etrien de ce délire ne te dépeint.
Tues le début et la fin de mon mystère
etde ce qui est mal mais, bien, ne sera point.
Tues l'ange violé dans les cieux
oule diable au pas de la repentance.
Tues le sacré jardin divin et bleu,
faitde bordels que peuple l'innocence.
OhMère ! tu es la chair défendue
auxenfant-adultes et aux poètes.
Touslarmoient sans retenue
etdésirent étreindre tes tumultes.
Jete vois harassée telle une abeille
récoltantla cigüe en nectar de fleur.
Tufécondes les cauchemars d'éveil
etton butin mortel sème la terreur.
Commeune fée en ébat avec le Mal,
tufiniras par craqueler sous ses dents.
Ilte veut sienne ce Mi-dieu mi-animal
pourte faire porter sa graine de serpent.
Sij'étais mage, je te bénirais,
puispanserais tes blessures.
Enfin,je soufflerais sur tes plaies
masalive en semence pure.
Jevoudrais aussi m'évanouir en toi
ethonorer ton corps de mes soupirs.
Jevoudrais mourir en râles, mille fois
etvoir enfin ta sève jaillir et rejaillir.
Aujourd'hui,tu es la forêt mue en jardin
etla patrie des peuples d'ici ou lointains.
Tues le pays des géants et des crétins.
tues la terre des déesses et des putains.
Chez-toi,le trône est à jamais immuable
etsillons et ravins écrivent ton âge.
Lesort s'acharne sur toi et t'accable
etcreuse sur tes rides d'illisibles présages.
OhMère! je veux te quitter sans retour,
carje ne puis conjurer ton satané destin.
Maisje crains que la nuée de vautours
nefasse de mes aïeux son tendre festin.
Hier,j'ai vu déflorer ton oasis faite de sapin
etla mort faucher des âmes sans armures.
Jela vois, encore, se draper de blanc satin
pourte voiler, Numidia, ma blessure.
Alger,le 22 février 2011.
(*) :Ce texte est aussi un hommage à deux grands poètes, Kateb Yacine etTawfik Ben Brik.