Lucien Atencia

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Billet de blog 2 février 2025

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Premiers enseignements.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jamais au grand jamais le Nouveau Front Populaire n’aurait perdu l’élection municipale de Villeneuve-Saint-Georges s’il avait conservé les ambitions qui ont présidé à sa création.

Dès que le préfet du Val-de-Marne a mis sous tutelle la municipalité de droite, les instances locales, départementales et nationales de tous les partis politiques se sont penchées sur la situation de cette ville cheminote. Elles le font chaque fois qu’une élection partielle est annoncée dans le cadre d’une des responsabilités que leur confie la Constitution, celle de concourir à l’expression de la démocratie et du suffrage universel.

Au ministère de l’Intérieur, à droite, dès l’examen des motifs qui ont conduit au retour devant les électeurs, on en a vite conclu que cette dernière était au plus haut point menacée de perdre une ville d’un département récemment conquis sur une union de la gauche présidée de longue date par des communistes.

Ceux-ci ont profondément marqué de leur empreinte la gestion de ce territoire riche de la diversité des populations qui y vivent, travaillent, créent, soignent, protègent, étudient et enseignent.

Ces motifs sont particulièrement graves. Les divisions au sein de la majorité municipale étaient telles qu’elles ont provoqué des démissions si nombreuses que le quorum ne pouvait plus être atteint. La Cour des comptes a produit un rapport très sévère. Le maire est poursuivi par la justice pour avoir effectué le salut fasciste devant son conseil municipal ! C’est d’une droite extrême qu’il est question. La population, en peu de temps, en a mesuré les conséquences désastreuses.

A gauche, le même constat a été fait, les militants locaux ayant bien sûr alerté leurs instances respectives sur l’évolution d’une situation qui au fil des mois ne cessait de se dégrader.

On ne sera pas surpris qu’unanimement de ce côté-là,  la reconquête de la ville devienne un objectif pour tous. Les rapports de forces ont donc été soigneusement examinés. La dernière élection qui permet de les comparer date de huit mois. Il s’agit des élections européennes qui sont les seules, avec l’élection présidentielle de 2022, qui ont vu se confronter tous les partis politiques en présence. Elles ont en plus l’avantage qu’offre le mode de scrutin proportionnel. 

A Villeneuve-Saint-Georges, aux européennes, ont obtenu : les listes du PS (6,62%), du PCF (3,18%) des Verts (2,34%) et des Insoumis (39,18%), mieux à elle seule que celle du RN (23%). 

Une autre donnée n’a échappé à personne qui depuis toujours est considérée comme importante par les militants de tous les partis dans le pays. Le jeune député de la circonscription appartient à la France Insoumise et s’est fait élire sous l’étiquette du NFP en totalisant, à Villeneuve-Saint-Georges, au premier tour, 42,17% des suffrages et au deuxième tour 61,16%, faisant la preuve de ses capacités à rassembler au-delà de la gauche. L’influence de son parti ne peut donc ici être contestée. 

La conclusion, je crois, a été tirée par beaucoup que les meilleures chances de l’emporter résidaient dans une liste rassemblant toutes les composantes du NFP sur un programme construit avec les habitants, porté par une liste commune conduite par un militant connu et apprécié, issu de LFI.

Le résultat de cette municipale partielle, au premier tour, l’a confortée. La liste LFI est arrivée en tête, dépassant celle des trois autres composantes du NFP

Un autre rapport des forces aurait dû conduire à la même conclusion pour une liste commune avec à sa tête un communiste, un socialiste ou une écologiste.  

Rien de cela ne s’est produit. 

Je me suis d’abord demandé ce qui avait pu pousser la France insoumise à choisir de proposer son député pour conduire la liste d’union. J’ai vite compris que ce n’était pas seulement pour offrir à cette unité les meilleures chances de l’emporter, ce qui est légitime. Mais ce député ne le serait plus dès lors qu’il deviendrait maire. Or il est un des plus jeunes et des plus connus de l’hémicycle. Il le doit en particulier à son engagement dans les facs, aux côtés des étudiants horrifiés par le génocide à l’œuvre à Gaza, solidaires de la cause palestinienne.

En d’autres temps, jamais cela ne lui aurait été reproché par des militants de gauche. Or la droite et l’extrême droite n’ont pas été les seules à le faire pendant toute la campagne électorale, jusqu’entre les deux tours. 

Mais pour Jean-Luc Mélenchon et les Insoumis, l’enjeu du scrutin surpasse de beaucoup celui d’une élection municipale anticipée. Pour Olivier Faure et Fabien Roussel aussi. Pour le ministre de l’Intérieur, le gouvernement de François Bayrou et donc Emmanuel Macron également.

Je n’ai pas oublié les Verts, mais leur choix pour cette élection m’est apparu contradictoire avec la ligne unitaire, au sein du NFP, qu’ils ont adoptée depuis leur déconvenue des élections européennes. Des camarades de la ville m’ont appris que leur représentant local avait été élu sur la liste de Sylvie Altman, qu’ensuite il était devenu écologiste et un farouche opposant pendant quatre ans de la maire communiste. Peut-être Marine Tondelier a-t-elle considéré comme nécessaire de respecter le point de vue d’un acteur de terrain ? 

Le décor était planté.

Une élection municipale allait être télescopée par des considérations qui surpassent de beaucoup le présent et l’avenir de la population, des entreprises d’une ville de la banlieue parisienne. 

Les mêmes considérations qui pourrissent l’activité politique, en éloignent les citoyens, les citoyennes et les jeunes.

Qu’au premier tour, le bureau de vote habituellement le plus favorable à la gauche n’ait  connu que 25% de participation électorale est significatif. Le différentiel de participation sur la ville a beaucoup défavorisé les deux listes de gauche. Qu’il y en ait eu deux tout autant.

Les choix nationaux des partis, ceux du pouvoir et des médias ont dominé la courte campagne électorale. Ce n’est que rarement qu’a été évoqué ce qu’est cette ville, ses activités, ses difficultés et ses potentialités.

Nous vivons le temps de la déshumanisation, celui où il se dit que le NFP est en sursis, que la responsabilité incombe à LFI et à Mélenchon. Il serait impossible de remporter des victoires tant qu’ils feront partie de l’alliance, alors que cette maudite alliance est arrivée en tête des élections législatives anticipées et a beaucoup contribué à barrer la route de Matignon à Bardella.

Toutes « ces preuves de bon sens » sont assénées matin et soir. Que ne soit pas vu qu’elles sont pilotées en haut lieu pour fermer la porte à toute tentative d’alternative en rupture avec la politique menée depuis des décennies laisse pantois.  Avoir l’illusion qu’elles auraient été sans effets sur l’élection de Villeneuve est une perte de repères sérieuse.

Considérer qu’elles n’auraient pas de graves conséquences sur l’avenir de notre vie en commun friserait l’irresponsabilité. Or, tout cela est déversé quotidiennement sur tous les écrans, dans toute la presse et sur les réseaux sociaux. 

Ce n’est que le prolongement déformé et accentué de ce qui mine l’unité du Nouveau Front Populaire et des ambitions émancipatrices qui ont présidé à sa création. 

Si cela perdurait, ce serait assurément un tue-l’espoir de millions d’hommes, de femmes et de jeunes.

Une source nouvelle d’affrontements a été créée qui vise à supplanter ceux entre le capital et le travail qui traditionnellement étaient à la source de la lutte des classes. Elle s’exacerbe, impérieuse raison pour les oligarques de la protéger de la conscience que pourrait en avoir leurs victimes bien plus nombreuses qu’eux.

Comme ils préfèreraient que la reine des distinctions soit entre ceux qui font de la stabilité du régime leur crédo et ceux qui font de la démission du président leur ambition suprême ! 

Au nom de leur crédo, les premiers négocient et adoptent un pacte de non-censure. C’est logique puisqu’ils assurent la stabilité gouvernementale. Ils ne peuvent tolérer que les seconds déroulent leur stratégie. Ils ont donc tout fait pour que la liste conduite par le député ne gagne surtout pas et cela bien en amont du premier tour de l’élection partielle. 

On est allé très loin dans l’ignoble, jusqu’à traiter de dealer, de suppôt du Hamas un élu du peuple qui succomberait volontiers à l’antisémitisme. Reprise des thèmes nationaux qui empoisonnent l’atmosphère. 

Les seconds, à Villeneuve-Saint-Georges, ne sont pas en reste. Ils adoptent des comportements par trop souvent arrogants et méprisants qui compliquent la concrétisation de l’union.

Cela tombe bien, leurs alliés n’en veulent pas !  Pourtant, ces comportements étaient ceux qu’ils leur reprochent aujourd’hui légitimement d’adopter alors qu’ils les pratiquaient lorsque leur influence électorale était hégémonique.

Ils auraient un tout autre point de vue si les rapports de forces locaux leur étaient favorables. 

Il y a quelque chose de pourri dans l’activité politique et tout continue comme s’il n’en était rien.

 Les Insoumis veulent démontrer qu’ils sont capables de diriger des municipalités. C’est l’objectif qu’ils se sont fixés depuis qu’ils ont pris conscience que la conquête du pouvoir d’Etat passait par une implantation locale importante. Il n’y aurait rien à redire si, comme ici, cela ne détournait pas l’activité politique de sa vocation au service des intérêts généraux des populations et du pays. Tel n’est n’est pas le cas.

Dominent des logiques partisanes auxquelles personne ne comprend rien. 

Elles ne font que tout aggraver puisqu’elles font grandir comme jamais la méfiance que produit l’activité politique telle qu’elle est devenue.

Au lieu que les citoyens et les jeunes éprouvent le besoin de s’y impliquer, elle les révulse, les effectifs militants se réduisent et vieillissent. La bourgeoisie continue de dominer, l’extrême droite de progresser

Cela peut conduire très loin, là où les USA et d’autres sont parvenus. 

Démocratiser la vie politique devrait être une obsession des partis politiques. Son évolution actuelle en est l’exact contraire. 

Elle voit le chef de l’Etat commettre de nombreux dénis de démocratie jusqu’à refuser de respecter le verdict des urnes. Dans les entreprises, l’autoritarisme patronal s'accroît au fur et à mesure que les cadences s’accélèrent. La liberté de l’information rétrécit. Nous sommes de moins en moins Charlie.

Le patriarcat a encore de beaux jours devant lui. Bref, tout se passe comme si l’extrême droite occupait déjà l’Elysée comme le couple Trump-Musk occupe la Maison Blanche.

Et désormais, les composantes du NFP vont se livrer à un de leurs exercices favoris, celui que pratiquent les enfants dans les cours d’école : « C’est pas moi, M’dame, c’est la faute de l’autre ». 

Rien de tel pour à nouveau perdre ce qui devait être gagné.

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