Le mouvement populaire en cours, par sa durée, son ampleur, sa détermination, sa couverture du territoire, la diversité des catégories sociales qu'il rassemble, a un caractère exceptionnel, parfois même avec des aspects historiques, comme l'a été le succès de la journée du 1er mai.
On le doit à la simplicité de la revendication, au fait qu'elle concerne la quatrième partie de la vie de la population mise en cause par les 64 ans et la durée de cotisation alors que le travail, pour celles et ceux qui en ont un, est plus vécu comme "du chagrin" que comme enrichissant.
On le doit beaucoup aussi à la solidité d'une unité retrouvée de l'intersyndicale, bien si précieux que toutes les organisations se doivent de la préserver sous peine de disqualification.
Le contexte politique a aussi favorisé les mobilisations avec une donnée elle aussi exceptionnelle : le président et son mouvement ont été battus lors des dernières élections législatives qu'ils étaient assurés de remporter. Que d'efforts déployés pour tenter de masquer cette défaite cuisante et pour la transformer en majorité relative ! Dès le premier tour de l'élection présidentielle avait été sous-estimée la détestation qui s'attachait déjà à la personne du monarque due au mépris en permanence affiché à l'encontre des premiers de corvée et au-delà. Peu de cas avait été accordé au souhait majoritaire de ne pas se retrouver une fois de plus avec un deuxième tour Macron-Le Pen. Sous-estimé aussi le rôle joué dans la défaite du sortant par sa retraite à 65 ans, brandie dans son peu de campagne électorale. Que le passage à 64 ans et la durée de cotisations aient provoqué tant d'oppositions n'est donc pas une surprise. Que le pouvoir se soit montré incapable de justifier sa réforme autrement que pour prouver à l'électorat de droite qu'il était capable de continuer de réformer le pays dans le sens voulu par la finance et la Commission européenne n'a fait qu'exacerber toutes les colères. Que pour y parvenir ait été mis en oeuvre tout ce que les institutions de la Ve République recèlent de contraintes, d'autoritarisme et de pouvoir solitaire n'a réussi qu'à ajouter à la crise sociale une crise démocratique.
Incontestablement la détestation du méprisant joue un grand rôle -et les réflexions de Philippe Corcuff méritent intérêt-, elle ne favorise pas forcément l'élévation du niveau de conscience dans un pays dans lequel l'extrême droite est aux portes du pouvoir au point d'être perçue comme incarnant la seule alternance possible à la politique actuelle. Obstacle de taille pour l'emporter ! Les spécialistes du rapport de forces ne l'avaient-ils pas vu ?
La vie chère, la montée de l'inflation, la faiblesse des rémunérations, la précarité, la pauvreté ont rendu les grèves de longue durée très difficiles à mener. Les assemblées générales de grévistes, facteurs essentiels pour créer une dynamique qui s'installe dans la durée, ont manqué. L'ambiance générale n'est pas en faveur du climat de confiance et d'espoir dont tout mouvement social a besoin pour jouer la gagne. D'ailleurs, les manifestants et grévistes, depuis le début, doutent de pouvoir l'emporter. Pour tout le monde, l'avenir est empli d'incertitudes, de menaces, de graves périls avec les conséquences du réchauffement climatique et la guerre en Ukraine.
Peut-être cela explique-t-il que les jeunes ne se soient pas mobilisés comme en d'autres occasions. Le 49.3 et les dénis de démocratie les ont davantage concernés que les retraites. Ce sont maintenant les institutions de la Ve République qui sont confrontées à un rejet populaire de première importance. Or, ces institutions, ce sont elles qui permettent au président méprisant de ne pas retirer son projet, d'activer les forces de répression de l'Etat, en misant sur la peur provoquée par une infime minorité de casseurs démultipliée par les images insupportables que complaisamment les médias diffusent en boucles.
Mais, par millions, nos concitoyens en prennent conscience à grande vitesse. La contestation a élargi son champ d'action. Macron est en grande difficulté. Les syndicats unis ont compris qu'ils pouvaient obtenir des résultats qui améliorent le sort des travailleurs. Et comme, ensemble, ils continuent de réclamer le retrait d'une réforme rejetée par l'immense majorité de la population et qui n’a pas été approuvée par la représentation nationale, la page n'est pas tournée. Si l’Assemblée nationale adopte la proposition du groupe Liot, il devra en tirer les conséquences politiques avant même que le Sénat ne se prononce.
Il reste aux composantes de la Nupès à investir le champ de l'alternative politique et du projet transformateur en s'appuyant sur ce qui monte très fort dans le mouvement populaire actuel : l'aspiration des citoyens à être associés aux choix qui les concernent et à l'union pour gagner.