A Berlin, en plein coeur du quartier de Kreuzberg, dans la rue Ohlauer, une école désaffectée, occupée depuis presque 2 ans par des réfugiés, est encerclée par plus de 900 policiers depuis mardi dernier. Entre 40 et 80 personnes réfugiées occupent le toit du batîment pour demander un droit au séjour.


L'école est un des lieux, avec l'Oranienplatz à Berlin et les campements Lampedusa à Hambourg, Hannovre, et ailleurs, où se sont unifiés et cristalisés, pour se rendre visible et accessible, des mouvements débutés il y a maintenant au moins 3 ans en Allemagne dans les foyers d'accueils (appelés 'Heim', foyers, ou 'Lager', camps) de demandeurs d'asile. L'hébergement dans ces lieux, périphériques, quand ils ne sont pas carrément isolés, était et est combiné à des mesures d'assignation à résidence, à l'impossibilité de travailler et/ou d'étudier, et les habitants y sont soumis à des règles et principes qui les infantilisent, les humilient, et les rendent invisibles.
Ces mouvements ont donné lieu à plusieurs actions, dont les objectifs principaux étaient de briser l'isolement dans lequel chaque réfugié mais aussi chaque 'Lager' se trouve par défaut pour formuler des revendications. Des marches, des caravanes, des réunions d'informations et un 'tribunal des réfugiés contre la république fédérale allemande' ont été organisés par les réfugiés eux-même. Dans l'impossibilité de travailler ou de se former, il n'est pas difficile d'imaginer à quel point ces mobilisations ont pu constituer pour beaucoup l'unique façon d'exercer leur facultés de sujets pensants et agissants – plutôt que d'objets du droit des étrangers condamnés à une attente passive, longue, et sans garantie, ou, dans certains cas, sans espoir. L'occupation de divers espaces publics dans de nombreuses villes a suivi, permettant aux mouvements d'accéder à l'expression publique et de construire des réseaux de solidarités plus stables avec des non-migrants.
Les revendications ont évolué avec le constat, de plus en plus indéniable ces dernières années, que les situations humaines créées par le double jeu des instabilités et inégalités politiques et économiques globales et par les politiques migratoires européennes et allemandes ne sont pas compatibles avec l'affirmation des principes des droits de l'homme, ni avec les conventions internationales sur le droit d'asile. C'est aussi, sans doute, face à ce constat que les réseaux de solidarité entre et avec les réfugiés se sont transnationalisés. La marche pour la liberté, partie de Strasbourg le 18 mai et arrivée à Bruxelles le 20 juin, en est le résultat. De nombreux activistes d'Oranienplatz et de l'école rue Ohlauer ont pris part à son organisation.
C'est aussi au nom de cette incompatibilité que certains réfugiés se trouvent en droit de réclamer une régularisation de leur statut alors même que, ou parce que, ils sont dans une situation pour laquelle aucune régularisation n'est prévue (mais reste possible par le pouvoir que le droit, national et européen, laisse toujours aux responsables politiques).
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Conférence de presse donnée par les réfugiés de l'école le 27 mai après 24h de négociations avec les autorités sur les conditions d'organisation de cette conférence
Le campement sur l'Oranienplatz a été évacué il y a maintenant plusieurs semaines, après des négociations et un engagement (un hébergement pour chacun, 6 mois sans expulsion, le rapatriement à Berlin de l'instruction de leurs dossiers d'asile et l'étude ce ceux-ci au cas par cas) des autorités de Kreuzberg/Friedrichshain que l'arrrondissement n'a pas su honorer. A l'école rue Ohlauer, l'évacuation a commencé mardi dernier. Environ 200 personnes ont alors quitté l'école – volontairement, assurent les autorités, malgré le déploiement policier spectaculaire - et encore cette fois toutes n'ont pas pu être hébergées dans les lieux prévues à cet effet – les fameux 'Lager'.
Alors que le soutien s'organisait aux abords de l'école contre les barrières dressées par la police, 40 à 80 personnes ont alors manifesté leur refus de quitter l'école si leurs revendications n'étaient pas acceptées. Elles demandent un droit au séjour pour les occupants de l'école et de la place que les autorités sont en capacité de leur octroyer, comme l'ont confirmé plusieurs spécialistes en droit. Installés sur le toit de l'ancien établissement, les habitants se déclarent prêts à mettre fin à leurs jours si l'on tentait de les en déloger par la force, tout en insistant par ailleurs sur la non-violence du mouvement. Leur plus récent communiqué est à lire ici, en anglais et en allemand: http://ohlauerinfopoint.wordpress.com/2014/06/26/statement-aus-der-schule-2140h/
Les autorités, et notamment la maire (verte) d'arrondissement et le ministre de l'intérieur du Land de Berlin se repassent la responsabilité ou refusent de la reconnaître et par là, de faire usage de l'article qui permettrait d'accéder aux revendications des réfugiés d'Ohlauer. Ce serait créer un précédent. Ce serait reconnaître que le droit existant, dans de nombreux cas, ne fait pas justice aux principes des droits de l'homme. Ce que le conseil européen, dans les nouvelles lignes stratégiques sur la politique migratoire préparées en vue de la nouvelle législature, se refuse également à admettre, lorsqu'il réaffirme la priorité du contrôle des frontières extérieures comme dispositif principal, ne prévoit pas de réforme du système Dublin, ni de réelles nouvelles disposition en faveur d'une garantie d'accès au droit d'asile.
On ne peut pas expulser un mouvement
La police, à #Ohlauer, empèche depuis 3 jours la presse d'accéder au bâtiment de l'école et rend l'organisation de conférences de presse particulièrement contraignante, alléguant de la dangerosité des lieux et de ses occupants - un discours criminalisant et racisant (les usagers twitters d'extrême-droite qui utilisent le hashtag #terroriste l'ont bien compris), et qui vise à dé-politiser la perception du mouvement. Mais au même moment, une activiste twitte du haut du toit des messages d'amitié et de non-violence aux soutiens à l'extérieur.
Il n'y a pas qu'à #Ohlauer. A Calais, à la frontière française avec l'Angleterre, depuis un mois, après que les camps et squats existant aient été évacués sous de faux prétextes humanitaires, une place est occupée par 750 personnes qui, dans un dénuement extrême, revendiquent leur droit à la dignité et à la mobilité, et reçoivent pour cela le soutien explicite de citoyens. La marche pour la liberté, évoquée plus haut, a mobilisé et impliqué plusieurs centaines de réfugiés et plusieurs centaines d'activistes. Une équipe Syrio-italienne a organisé et documenté le passage d'Italie en Suède de plusieurs réfugiés syriens, et a récolté en un temps record des fonds pour la production d'un film (Io sto con la sposa).
Il faut appeler un chat, un chat. C'est à un mouvement politique réclamant des droits légitimes que l'Europe fait face, et il faudra bien y répondre, parce qu'on ne peut pas expulser un mouvement.

L'Allemagne ne connaît pas, comme la France, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni une poussée électorale de l'extrême-droite. A Berlin, et en particulier à Kreuzberg, l'opinion est plutôt défavorable à une gestion rigide de la situation. Comme il est de bon ton de positiver, on pourrait presque considérer qu'en fait, les autorités berlinoises ont donc de la chance; la chance unique de reconnaître ce mouvement. Et qui sait, peut-être qu'un peu d'encouragement pourrait les aider à franchir le pas?
Pour plus d'informations sur les évènements à l'école rue Ohlauer, vous pouvez suivre (en anglais) @peaceforsudan, l'une des réfugiées occupant le toit de l'école, @OhlauerInfo, le compte du point d'information à l'extérieur du no-man's land (en anglais, allemand, et parfois français), suivre le hasthag #ohlauer sur twitter, et consulter le site ohlauerinfopoint.wordpress.com/, en allemand et en anglais. A propos de la marche pour la liberté, vous pouvez le blog freedomnotfrontex.noblogs.org/ ainsi que la page facebook. A propos de Calais, suivre le blog passeursdhospitalites.wordpress.com/ ainsi que les pages facebook.