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Billet de blog 29 février 2024

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La guerre sémantique de l’extrême droite contre la gauche

A une époque où l'extrême droite progresse sans cesse et où la gauche est de plus en plus diabolisée, il devient crucial de comprendre comment se déroule la bataille du discours. Des idées autrefois perçues comme infréquentables peuvent aujourd'hui être entendues sur des plateaux TV sans opposition à longueur de journée, mais comment se construit donc réellement ce combat linguistique ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

“Judéo-Bolchevique” si ce terme autrefois utilisé par le parti nazi peut nous rappeler l’expression aujourd’hui très populaire à l’extrême droite “Islamogauchiste”, nous constatons toutefois qu’il n’est plus employé aujourd’hui dans la sphère publique.
En effet, bien que le projet politique de l’extrême droite reste fondamentalement la création d’une société inégalitaire basée sur la marginalisation des minorités et de ceux jugés ennemis de la nation, sa sémantique évolue au fil du temps dans le but de pouvoir diffuser ses idées sans sortir du cadre médiatique considéré comme acceptable, mais comment choisit elle quelles expressions utilisées et que pouvons nous faire pour ne pas la laisser gagner la bataille des mots ?

Les médias, le laboratoire sémantique de l’extrême droite :

Tout d’abord, il est intéressant de constater qu’avant de rentrer dans le débat public, les figures médiatiques de l’extrême droite vont d’abord expérimenter divers termes jusqu’à présent utilisés uniquement dans les sphères internes de leurs sympathisants (Groupes fermés sur les réseaux sociaux, forums, réunions).
Ainsi quand on regarde quelques années en arrière nous pouvons découvrir plusieurs expressions n’ayant jamais réellement fait mouche;
Il est par exemple très éducatif de se pencher sur la (trop) longue carrière médiatique d'Éric Zemmour, qui a tenté plusieurs fois en vain de populariser des termes tels que “Droit de l’hommiste”.

Il est alors important de se demander pourquoi cette expression n’est pas restée là, où “islamogauchiste” ou encore “wokiste” fonctionnent si bien aujourd’hui.

Bien que tous ces termes aient pour objectif de décrédibiliser les opposants (et particulièrement la gauche progressiste) je pense personnellement que la distinction se fait sur plusieurs points : 

  • Tout d’abord, le terme doit suggérer que la cible de l’attaque est influencée par une idéologie extérieure et donc néfaste, soit en la nommant directement (Islam) ou en la sous entendant (utilisation d’un anglicisme et donc d’une influence américaine ou Anglaise). Permettant donc de faire croire qu’il s’agit d’une 5eme colonne, un ennemi de l’intérieur œuvrant (consciemment ou non)  à la ruine du pays en privilégiant une entité l’extérieur.
  • Mais il doit aussi resté assez vague tout en étant compréhensible par les personnes partageant leurs idées, de façon à pouvoir se défendre en cas d’accusation de racisme/LGBTQIA+phobie/Antisémitisme etc afin de gagner un potentiel public peu informé sur ces problématiques pour faire progressivement monter un climat d’intolérance et ainsi repousser la limite de ce qui peut être dit.

Ainsi on comprend pourquoi “Droit de l’hommiste” a échoué, la menace extérieure n’était pas compréhensible, et il est facile de comprendre les intentions intolérantes qui se cachent derrière (L’auditeur moyen se disant que personne de censé ne s’opposerait aux droits de l’homme).

Ces formules vont donc être utilisées au fil du temps sur les plateaux TV et à la radio tout en observant lesquels fonctionnent le mieux afin de corriger au fur et à mesure jusqu’à ce qu’une tournure arrive à s’enraciner à long terme.

Mais la gauche peut-elle apprendre quelque chose de cette guerre sémantique ?

Contrairement à l’extrême droite qui a longtemps été considérée comme infréquentable, la gauche n’a pas eu autant à se réinventer sur le plan du langage, ce qui pose aujourd’hui un problème majeur maintenant que celle ci est de plus en plus marginalisée dans le jeu politique et médiatique au profit du duel Macron-Le pen.

En effet, bien que certaines thématique de la gauche soient toujours d’actualité comme la lutte des classes, qui au moment de la pandémie s’est ressentie particulièrement à travers les profits records de certains ultra riches pendant que les plus pauvres ont dû subir (et subissent toujours) l’effondrement de l'hôpital public, le terme n’est plus employable et en appel immédiatement à l’imaginaire des dictatures du bloc de l’est.

Il faut donc se réinventer, car bien que le fond soit toujours valide, la forme n’est plus audible par un public extérieur aux cercles militants convaincus.

Pour s’en rendre compte il suffit de voir la différence de réception du public au discours de deux candidats de gauche Nathalie Arthaud et Philippe Poutou, là où Arthaud use d’un langage très militant, Poutou est plus audible en parlant honnêtement, et bien qu’il soit également un révolutionnaire, son appellation “D’anticapitaliste” n’évoque pas les mêmes images, là où le langage Marxiste peut faire penser à l’URSS, l’anticapitalisme nous fait plutôt penser au peuples s’opposant pour son bien être aux ultras riches.

En conclusion, comment mener cette bataille ?

Étant moi-même sensible aux idées Marxistes, je ne pense pas que la gauche comme l’extrême gauche ne devrait abandonner leur rhétorique mais bien actualiser la façon de l’exprimer, car à l’heure où l‘extrême droite prolifère il est urgent de former un contre discours audible.

Après les échecs de François Hollande et surtout de Manuel Valls, nous savons que se dire de gauche tout en jouant sur le terrain de l’extrême droite (déchéance de nationalité, usage de la Laïcité à des fins islamophobes, etc) est impossible et ne mène qu’à une montée des discours les plus radicaux (n’est ce pas Fabien Roussel).
Il est donc temps de réussir à redéfinir pleinement ce qu’est être de gauche afin de reprendre du terrain à l’extrême droite en devenant audible auprès des “Fâchés pas fachos” (Formule de Jean Luc Mélenchon) et des abstentionnistes susceptibles de voter à l’extrême droite sans pour autant en partager les fondements idéologiques, mais étant juste désespérés des années d’ultra-libéralisme qui les épuise et qui sont donc à la recherche d’une alternative.
Il est donc de notre devoir, aux militants, aux linguistes, aux chercheurs, aux ouvriers, aux chômeurs, à tous ceux qui ont une sensibilité de gauche de tenter de mettre des mots sur ce que nous observons et vivons afin de finalement gagner la guerre sémantique.

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