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Billet de blog 16 décembre 2025

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Plutôt que d’interdire la psychanalyse, redéfinissons le métier de psychothérapeute

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Avant d’être retiré du Projet de Loi de Finance de la Sécurité Sociale 2026, l’amendement n° 159, qui visait à interdire le remboursement de soins reposant sur la théorie psychanalytique, aura suscité les protestations de nombreux acteurs de la santé mentale. 

S’appuyant sur une expérience personnelle très douloureuse, l’argumentaire de la sénatrice porteuse de cet amendement, Mme J. Guidez, doit pourtant être entendu sans disqualification de principe, de même que les défenseurs de la psychanalyse devraient, s’ils veulent réellement attester la pertinence de leur pratique, avancer des arguments ne passant plus par la disqualification des autres psychothérapies. Las… le niveau du débat, très franco-français, ne paraît guère promettre, à moyenne échéance, qu’une récidive des mêmes anathèmes. En tant que psychiatre, psychothérapeute et psychanalyste, nous déplorons fortement cette occasion manquée d’épaissir les discussions en relayant l’état scientifique actuel des connaissances sur les psychothérapies.

Passons, rapidement, sur le motif personnel ayant sous-tendu la proposition d’amendement : les thérapeutes eux-mêmes, bien souvent, auront étayé l’orientation de leur carrière, du moins au début, sur une expérience très personnelle ; ils doivent néanmoins, tout comme le politique, élargir leur ressenti et/ou singularité au savoir de leur temps afin de tenir la parole qu’on attend d’eux. C’est bien là où le bât blesse, d’un côté comme de l’autre, avec, de la part de beaucoup de psychothérapeutes, la reconduite de caricatures périmées : alternative (fausse évidemment) entre une cure analytique humaniste versus des techniques superficiellement efficaces, accordées à l’esprit managérial de l’époque ; alternative (tout aussi fausse) entre thérapie médicalement validée versus charlatanerie. Ce pseudo-débat, hélas, continue puissamment de recouvrir la seule question qui vaille : comment aider la population à comprendre mieux l’offre de soin en psychothérapie ?

S’il se trouve ici les professionnels nécessaires pour répondre à l’augmentation dramatique des symptomatologies anxio-dépressives (en particulier chez les adolescents et les jeunes adultes, avec explosion depuis la pandémie de COVID), le titre de « psychothérapeute », encadré légalement depuis une quinzaine d’années, demeure une coquille vide, ne signifiant rien pour les usagers. Il est en effet attribué de droit à tous les psychologues cliniciens et les psychiatres, que ceux-ci aient été formés ou non à la psychothérapie : oui, il s'avère très possible, en ces cursus, d'achever des études sans avoir bénéficié de formation pratique à une psychothérapie !

Ce défaut institutionnel promeut la floraison d'outils à prétention psychothérapeutique, auxquels, une fois installé, pour un apprentissage plus ou moins rapide, le dit « psychothérapeute » pourra souscrire - ou pas. Inévitablement, sur un terrain à potentialité très mercantile, les fameuses querelles de chapelle se maintiennent entre diverses théories, s'exacerbent même aux conflits de personne à l'intérieur des associations de thérapeutes, chacun se renvoyant trop facilement l'accusation de « pratique non fondée scientifiquement » et d'abus (voir ce qui arrive actuellement, de démissions/radiations bruyantes, à l'Association Française des Thérapeute Cognitivo-Comportementaliste : un symptôme du malaise dans l'ensemble de la profession). En conséquence aussi, les patients s’égarent dans une offre de soin pléthorique, confondue avec le marché du bien-être et du coaching, où se mêlent les promesses mirobolantes de guérison instantanée, de réforme de soi complète, et celles, plus raisonnables, de rémission et d’accompagnement par des professionnels expérimentés.      

La psychanalyse apparaît certainement, dans ce contexte, le bouc émissaire idéal : de son hégémonie, son étoile a pâli et elle semble discréditée scientifiquement et incapable de répondre aux besoins de nos concitoyens. L’aspect scandaleux de l’amendement 159, dont nous ne remettons pas en cause la visée de clarifier l’utilité des psychothérapies, est cependant la manière dont il témoigne d’une ignorance absolue envers les efforts entrepris par des générations de chercheurs, de tous bords, afin de clarifier les troublants mécanismes d'action des psychothérapies. Ainsi, renvoyant pour preuve à l’enquête de l’INSERM concluant à la supériorité de certaines psychothérapies (en 2004), J. Guidez cite une méthodologie reconnue dépassée, depuis une bonne dizaine d’années, pour des conclusions totalement réfutées aujourd’hui.

Pourquoi ces résultats, issus de méthodologies scientifiques incontestables (les plus éminents, ceux de Bruce Wampold, The Great Psychotherapy Debate, 2015) ne sont-ils pas davantage connus et traduits en France, tandis qu’ils le sont dans la plupart des autres pays européens ? Désire-t-on poursuivre des luttes d’arrière-gardes, continuant de séparer des identités professionnelles narcissiquement affirmées ? Enfin… Il est désormais prouvé que toutes les psychothérapies, lorsqu’elles sont pratiquées de bonne foi, ont une efficacité identique sur de nombreuses pathologies. Leur taille d’effet (la mesure statistique jugeant l’efficacité) est entre « moyenne » et « élevée », ce qui s’avère supérieur à l’action de nombreux médicaments autorisés sur le marché (en médecine générale), et identique, dans le cas de la dépression par exemple, à celle des antidépresseurs. Il est également démontré que le choix de la technique importe peu, bien moins que la capacité du thérapeute à créer une relation de confiance avec le patient, ce qu’on désigne, en recherche, sous le terme d’« alliance thérapeutique », et qui apparaît, à ce jour, et de loin, le principal déterminant mesurable de l’efficacité de la psychothérapie.

Plus surprenant encore (plus difficile à admettre?), les frontières entre les méthodologies se montrent bien plus perméables qu’on ne le pensait : l’étude de séances de psychothérapie enregistrées révèle une diversité d’attitudes dépassant le respect orthodoxe à la technique et à sa théorie. Ce n’est bien sûr pas qu’il se passe n’importe quoi, mais que les thérapeutes efficaces ont un respect souple de leur protocole et empruntent, en général à leur insu, à d’autres approches : de fait, les paradigmes pragmatiques se ressemblent et un bon thérapeute les utilisera au mieux, semblant parfois « glisser » de l’un à l’autre (par exemple, le principe actif central de la thérapie cognitivo-comportementale, l’exposition, est très proche du transfert, principe actif central de la psychanalyse).

Bref, la recherche moderne sur l’efficacité de la psychothérapie dessine les contours d’une pratique possédant une logique singulière dans le champ du soin, avec un centre de gravité résidant davantage dans l’habileté et l’engagement du thérapeute, que dans la validité scientifique de son identité professionnelle. Il n’est par conséquent plus pertinent du tout de soutenir qu’une psychothérapie serait meilleure qu’une autre, mais, entre respect de la théorie et souplesse du cadre, c’est une interrogation vertigineuse, autant qu’indispensable, qui se trouve remise sur nos établis de psys : qu’est-ce qu’une psychothérapie ? Le « modèle relationnel », qui en serait au cœur, échappe à la définition scientifique basée sur la stricte linéarité des essais thérapeutiques (un traitement spécifique corrige un désordre spécifique), ce qui ne veut pas dire qu’il ne peut pas être scientifiquement évalué : nous l’avons dit, les travaux rigoureux sont nombreux sur ce sujet, qui révèlent comment les constructions d’apparence neurobiologiques sont illusoires, quant à une causalité univoque, et combien les concepts naïfs, comme celui d’empathie, ne sont nullement suffisants (nécessaires, mais pas suffisants).

Les parlementaires, plutôt que de reconfigurer des différenciations périmées entre les psychothérapies, feraient mieux d’accorder le titre de « psychothérapeute » à la réalité scientifique de notre temps, mettant ainsi un peu d’ordre dans le grand bazar des pratiques. Il serait judicieux de s’inspirer de nos voisins allemands et suisses, mieux au courant des travaux internationaux, chez lesquels ce titre authentifie un métier bien identifié par la population, distinct de celui de psychologue et de psychiatre (qui en constituent néanmoins la voie d’abord privilégiée). Impliquant une formation encadrée par l’État, l’abord technique (sans dénigrement entre creuset psychanalytique, systémique, cognitivo-comportemental) est envisagé comme un style conversationnel particulier, dont le choix est laissé à l’agrément de l’étudiant ; l’enseignement privilégie aussi la supervision par un enseignant expérimenté, praticien autant qu’averti des données scientifiques actualisées, et ne cesse de mettre en dialogue les différentes approches. Clarifier le statut de « psychothérapeute » constituerait une avancée législative concrète, susceptible de répondre, en partie, à la crise actuelle de la santé mentale. 

Pour les psychanalystes, la connaissance des études validant l'importance de la relation pourrait servir à relégitimer leur pratique, à la condition de se centrer sur la dynamique du transfert (dont une définition serait : « on va penser ce qui vous soucie ensemble »), davantage que sur l'interprétation dogmatique (comme l'on assènerait une prescription médicale : autre face d’un scientisme rêvé, caduque pour toute psychothérapie). Et d'arrêter de revendiquer une position morale supérieure, totalement contreproductive en ce qu'elle ne cesse d'attiser, elle aussi, des tensions scientifiquement dépassées.         

Luc Surjous, psychiatre  

Yoann Loisel, psychiatre, psychanalyste

Co-auteurs du livre : L'alliance thérapeutique: facteur commun des psychothérapies, MJWFédition, 2024

Co-créateurs du séminaire « La relation soignant-soigné et l’alliance thérapeutique au vu des pratiques et recherches en psychothérapie », Université Paris-Cité

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