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Billet de blog 4 juillet 2024

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« Je ne suis pas raciste, j’ai un ami noir »

Il est de bon ton de signaler son effarement face à la popularité du RN quand on se pense « allié·e » des personnes marginalisées, mais cela suffit-il encore ? Cela suffira-t-il après dimanche ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 1er juillet, mon père a raconté à ma famille un échange qu’il a eu avec une de ses amies. Alors qu’il lui a fait part de son désarroi face aux résultats électoraux de la veille, elle lui a répondu qu’il n’était « pas concerné » puisque «  lui n’était pas délinquant et qu’il travaillait ». Hier, je l’ai appelé pour la première fois depuis le 30 juin. Lorsqu’il m’a demandé si ça allait, j’ai senti que sa question était sincère, et pas seulement un moyen de faire la conversation. J’ai aussi compris que lui non plus n’allait pas très bien. 

Mon père est immigré. Il vit en France depuis quarante ans. Il a quitté la région parisienne il y a une dizaine d’années pour s’installer dans un village de mille habitants que les gens du coin avaient déserté. Il y a établi l’activité qu’il exerçait déjà à Paris. De l’aveu des habitants de son village et de la région, il y a apporté un dynamisme dont la zone avait besoin. Il a découvert atterré que le RN avait été le parti plébiscité par ses voisins. Là où il vit, il est pour ainsi dire la seule personne non-blanche. 

Illustration 1
Graffitti à Biarritz, Côte des Basques

Le vote RN est effrayant. Ces dernières semaines, les preuves de son fondement raciste ont abondé : de la vulgarité avec laquelle les voisins de Divine exprimaient leur racisme face aux caméras d’Envoyé Spécial à l’agression homophobe à laquelle a participé un des anciens du GUD, en passant par les attaques dont Marine Tondelier et d’autres militants écologistes ont été victimes lors de la campagne, la violence de l’électorat RN est manifeste. Pour autant, des personnalités LR et Ensemble, ces partis qui appellent, élection après élection, au « front républicain », sont restées silencieuses. Pire, elles sont devenues activement complices de l’extrême droite en attisant la haine de l’étranger d’abord, et celle de la gauche française ensuite - le Président de la République en tête. Cela aussi, fait peur. 

Pour les personnes fragilisées par la couleur de leur peau, par leur religion, par leur genre, par leur orientation sexuelle, ou par leur handicap, s’intéresser à la politique est anxiogène. Et malheureusement, le débat public entre personnalités politiques se disputant le pouvoir n’est pas la seule source de nos inquiétudes. Les discussions privées aussi peuvent effrayer. Face à la violence, passées les condamnations résumées en une phrase, le silence a tendance à régner parmi les gens que nous côtoyons au quotidien.

Aujourd’hui plus que jamais, ce silence des personnes qui ne signalent pas leur désaccord avec des proches racistes ou qui plus généralement trouvent des excuses aux racistes, le silence des personnes qui s’abstiennent de voter parce que « ça ne sert à rien » ou parce qu’elles ne se sentent pas concernées, les quelques mots gênés des personnes qui se désolent de la situation politique du pays avant d’expliquer qu’elles ne se voient pas voter pour un candidat ou une candidate du Nouveau Front Populaire parce que « Mélenchon et LFI, quand même… », ou pour quelqu’un d’Ensemble à cause de « Macron, ce monarque », sont eux aussi, violents. Le respect de l’humanité de ses concitoyens ne vaut-il pas une conversation désagréable, ou un peu d’inconfort dans l’isoloir ? Quand la réponse à cette question est « non », la douleur qu’elle inflige est dévastatrice, elle aussi. 

Alors qu’il est encore aisé d’être un ou une « allié.e », beaucoup choisissent de ne pas élever la voix. Si la fraternité leur est difficile maintenant, qu’en sera-t-il lorsqu’avoir des origines ailleurs ou la mauvaise religion sera un crime ? Lorsque la liberté d’avorter ne sera plus, lorsque les victimes d’agressions racistes ou sexistes n’auront plus la garantie d’un accès égal à la justice, lorsque les couples mariés homosexuels ne seront plus égaux aux autres aux yeux de la loi, ou encore lorsque les personnes transgenres seront condamnées à vivre sans reconnaissance légale ? Quelle solidarité verra-t-on lorsqu’elle sera plus dangereuse pour les allié.es, et qu’elle sera devenue vitale pour les personnes faisant l’objet de discriminations ?

Jusqu’à ce week-end, le plus simple pour être vraiment allié.e est de voter, et dans la mesure du possible pour des candidats et candidates franchement anti-racistes, féministes, engagés et engagées en faveur des droits des personnes LGBTQIA+, écologistes, contre les discriminations religieuses, et qui ne soient pas validistes. Faute de mieux, on peut voter pour la personne qui n’est pas d’extrême droite, même si on ne croit pas en ses idées : on vit plus libres dans la monarchie du Roi Macron que dans un État fasciste. 

Quelle que soit l’issue du scrutin de dimanche, un malaise perdurera chez beaucoup d’entre nous : en l’état actuel des choses, envisager un gouvernement RN couronné d’une présidence du même parti en 2027 ne relève plus de la science-fiction. Il en va donc désormais de chacun et chacune d’entre nous de faire en sorte que ça n’arrive pas. Pour cela, il va nous falloir parler aux personnes qui peuvent nous entendre - et donc ne pas attendre des personnes discriminées qu’elles convainquent seules les personnes qui ne les voient pas comme des égales, par exemple - et leur montrer que l’immigration enrichit tous les aspects notre société, que la politique est l’affaire de toutes et tous, que la vie peut être différente, meilleure pour tout le monde, si on fait pression sur les personnes qui décident, ensemble.

Cet effort, peut-être quotidien, est le seul à même de nous protéger, et de faire en sorte qu’il ne semble plus normal à l’amie de mon père ou à personne d'autre de penser que quelqu'un comme mon père est l’exception plus qu’il n’est représentatif de la majorité des personnes immigrées. 

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