Dans le Mondial financier qui se joue à Wall Street entre pays souverains et fonds spéculatifs, ces derniers viennent d’enregistrer une nouvelle victoire. Une victoire qu’on peut qualifier à la fois de “symbolique” et de “totale”.
Une victoire symbolique car il s’agit d’une victoire contre l’Argentine. Une victoire totale, car elle met déjà en péril les restructurations de dettes souveraines qui pourraient survenir dans le futur.
En 2001, l’Argentine est devenue bien malgré elle, le symbole des dérives du néolibéralisme. Au cours des années 90, le pays a été le laboratoire du FMI. Ici ont été implémentés a grande échelle les concepts économiques de libéralisation totale des marches, privatisations de toutes les entreprises publiques, politique monétaire restrictive et soutien inconditionnel au peso fort, austérité des dépenses publiques et affaiblissement généralisé de l’Etat…Ce cocktail a conduit en décembre 2001 a la plus grande faillite d’un Etat, dans l’histoire moderne.
Cette faillite a provoqué une dévaluation en urgence du peso, une confiscation de l’épargne des argentins par les banques, une très forte dépression économique avec un chômage record et une généralisation de la pauvreté.
Aussi en 2003, les argentins ont décidé de tourner la page du néolibéralisme en élisant le président Nestor Kirchner. Ses choix économiques sont allés à l opposée de ce que préconise l’école de Chicago: renationalisation des entreprises stratégiques, contrôle des prix des services publics, stimulation de la demande via une revalorisation des salaires dans la fonction publique, hausse des retraites, instauration d’aides financières en direction des familles, une gestion du taux de change du peso qui n’entrave pas la compétitivité des exportations… Et l’Argentine s’est redressée! La croissance stimulée par la demande intérieure et les exportations est revenue, le chômage s’est effondre, les finances publiques se sont redressées et la dette a diminuée. L’Argentine est devenue le symbole de l’alternative économique, l’exemple réel, qu’il existait d’autres voies au néolibéralisme.
Cet exemple a été renforcé par le fait que l’Argentine a décidé de s’en sortir seule, sans l’aide du FMI et sans recours à de nouvelles dettes auprès des marches financiers. Aussi pour rembourser la dette héritée des années 90, le pays ne peut s’en remettre qu’à ses excédents tires de sa santé économique retrouvée. La dette étant libellée en dollars, L’état s’approprie tous les excédents de dollars pour pouvoir rembourser, ce qui limite fortement les importations et freine les projets d’infrastructures dont le pays aurait bien besoin après 20 années de sous-investissement public hérité de la période néolibérale…
Mais à force d’efforts, le pays a presque gagne son pari de s’en sortir seul, il rembourse entre 10 et 15 milliards de dollars de dette par an et prévoit que sa dette aura totalement disparu à l’horizon 2020.
Presque, car le jugement rendu lundi 16 juin par la cour suprême des Etats Unis menace de tout remettre à plat.
En effet, quand il est arrive au pouvoir Nestor Kirchner a compris que la dette du pays était insoutenable en l’état, et qu’il allait falloir la restructurer. S en est donc suivi une vaste renégociation de la dette avec tous ses créanciers, qui a abouti à un accord en 2005, prévoyant un effacement d’une partie de la dette et un allongement de sa maturité. 93% des créanciers ont accepté.
Seuls 7% l’ont refusé. Parmi ses quelques réfractaires on trouve des fonds spéculatifs qui ont racheté cette dette après le défaut de 2001 a un prix dérisoire. C’est ainsi qu’apparaissent les fonds dits vautours ! Eux refusent toute idée de négociation et forts des meilleurs cabinets d’avocats de New-York et de très nombreux relais dans la presse et la classe politique américaine, ils s’en vont demander auprès des tribunaux newyorkais – tribunaux compétents puisque la dette avait été contractée par l’état argentin en dollars à Wall Street- un remboursement intégral de la dette originelle accompagnes des intérêts de paiements avec retard et punitifs sur 13 ans.
Quelques chiffres : le fonds NML Capital du sulfureux financier Paul Singer, a acquis pour 48 millions de dollars de titres de dette argentine, d’une valeur nominale estimée a 222 millions de dollars et demande le remboursement intégral de cette somme agrémenté des intérêts de retards, soit un total de 832 millions de dollars ! Le fonds aura atteint un retour sur investissement de 1600% !!!
Aux Etats-Unis comme dans la plupart des pays, il existe un droit des faillites des entreprises privées et des collectivités publiques locales. Que dit généralement ce droit ? Qu’en cas de faillite, si l’entité en faillite parvient à négocier avec la majorité des créanciers un accord de remboursement, cet accord s’applique à la totalité des créanciers. Pour les municipalités américaines ce seuil au-delà duquel s’impose à tous l’accord trouvé est fixe à 66%.
L’argentine a accordé avec 93% des détenteurs de dette. Mais il n’existe pas de droit des faillites pour les dettes d’Etat. Aussi malgré l’accord de restructuration de dette accepté à la quasi-unanimité, le juge en première instance a estimé que cet accord ne s’imposait pas aux 7% restants et que l’Etat argentin devait dédommager intégralement les fonds spéculatifs.
La cour d’appel de New-York a validée la décision du juge de première instance, allant mêmes jusqu’ a dresser une liste de biens et avoirs argentins pouvant être saisis afin d’honorer sa dette aux fonds vautours. Cette liste inclut les comptes de l’ambassade d’Argentine aux US, les comptes en dollars de la Banque Centrale d'Argentine a New York destinés a régler les détenteurs de dette ayant participé à l’accord de restructuration, l’avion présidentiel si la présidente décide de se rendre à l’ONU, des navires de la Marine Nationale,…,autant d’avoirs et de biens censés être protégés par les conventions internationales relatives à la souveraineté des Etats…
L’Argentine, sur de son bon droit, a donc porte l’affaire devant la Cour Suprême a Washington. Mais cette cour a donc décidé lundi dernier de ne pas se saisir de l’affaire, validant ainsi les décisions des juges de première et deuxième instance.
Aujourd’hui l’Argentine doit donc payer un total de 1500 millions de dollars aux fonds vautours ayant porté l’affaire devant les tribunaux. Mais l’addition pourrait s’avérer beaucoup plus salée. Les plaignants ne détiennent qu’environ 1% de la dette totale, il reste donc 6% de la dette encore en suspens. Ces autres détenteurs qui ne sont pas entrés dans l’accord de restructuration peuvent également prétendre aux mêmes conditions de remboursement. La facture pour l’Etat argentin s’élèverait alors à 15 milliards de dollars soit plus de la moitié des réserves de change du pays.
Et les 93% restants ? Dans l’accord signe en 2005, une clause stipule que si tout autre détenteur de dette négociait de meilleures conditions de remboursement de la dette avant le 31 décembre 2014, tous les créanciers pourraient y prétendre.
Ainsi par la seule décision des juges, l’Argentine vient de voir s’effondrer 13 années de redressement au prix d’efforts et de sacrifices importants !
Si les décisions sont appliquées à la lettre, le pays pourrait bientôt se retrouver en défaut de paiement. L’agence de notation Standard and Poor’s vient d’ailleurs d’abaisser la note du pays a CCC-.
Au delà du cas argentin, la victoire des fonds est totale ! En effet les avis de la cour suprême font généralement jurisprudence ! Suivant cette nouvelle interprétation de l’équité entre les détenteurs de dette, il va devenir impossible de négocier des restructurations de dette entre Etats et porteurs privés, puisqu’ une infime minorité de porteurs pourra sans aucun problème démanteler un accord en allant devant les tribunaux.
Ironie du sort, Wall Street s’est inquiétée hier de la décision des juges si favorable aux financiers. En effet celle-ci pourrait ternir l’image de la place américaine comme principal émetteur de dette souveraine : quels sont les pays qui vont vouloir émettre de la dette aux Etats-Unis, lorsque les jugements des litiges rendus par les tribunaux leurs sont si défavorables ?