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Billet de blog 2 mars 2010

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Paul Krugman est-il Obama-compatible?

Pourquoi Paul Krugman, propulsé au rang de star depuis son Nobel en 2008, rechigne-t-il à rejoindre l'équipe des conseillers d'Obama? Deux enquêtes bienveillantes, l'une journalistique, l'autre universitaire, dissipent en partie ce mystère, qui déprime depuis plus d'un an les aficionados du blog de l'économiste de Princeton.

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Pourquoi Paul Krugman, propulsé au rang de star depuis son Nobel en 2008, rechigne-t-il à rejoindre l'équipe des conseillers d'Obama? Deux enquêtes bienveillantes, l'une journalistique, l'autre universitaire, dissipent en partie ce mystère, qui déprime depuis plus d'un an les aficionados du blog de l'économiste de Princeton.

Le New Yorker vient de consacrer un portrait kilométrique (62 000 signes) à Krugman, sa femme (Robin Wells) et ses deux chats (Albert Einstein et Doris Lessing). L'hebdo décrit la lente conversion de l'universitaire sérieux, incapable de différencier droite et gauche («Son monde ne se partageait pas entre gens de droite et gens de gauche, mais entre gens intelligents et gens stupides»), au conseiller politique informel qu'il est devenu. Parmi les expériences clé de la vie de Krugman, son passage éclair, à 27 ans, diplômé de Yale, parmi les conseillers d'un certain... Ronald Reagan. L'expérience le déprime et conduit à l'éloigner, à jamais, des sphères du pouvoir. «J'avais très peu conscience, à cette époque, des enjeux liés à la politique fiscale», avoue-t-il aujourd'hui comme pour s'excuser de cette ligne hasardeuse sur un CV par ailleurs impeccable.
Jusqu'à la fin des années 90, Krugman pense, dans les pas du saint-patron monétariste Friedman, qu'une politique monétaire adéquate, bien plus qu'une utilisation stratégique des dépenses publiques, permet d'éviter les récessions. On est encore très loin des accents keynésiens qui feront son succès pendant la crise des «subprime»... Il faut attendre la campagne républicaine, en 2000, pour qu'il choisisse son camp, et bascule dans l'arène politique. Sous l'influence de sa femme, qui l'incite à se radicaliser, il deviendra, dans les colonnes du New York Times, l'infatigable opposant numéro un à la Maison blanche, durant les deux mandats républicains (invasion de l'Afghanistan, creusement des inégalités, politique fiscale, etc).
En 2008, l'auteur de La mondialisation n'est pas coupable soutient John Edwards aux primaires démocrates, le plus à gauche à ses yeux. Quand Edwards quitte la course, il se rabat sur Hillary Clinton. Et ne se résigne à soutenir Obama face à John McCain que dans la dernière ligne droite. «Il n'a jamais supporté ce discours plein de bonnes intentions d'Obama sur l'espoir, le dialogue et la réconciliation», tranche l'hebdo. Il n'a jamais approuvé non plus les déclarations de l'actuel président, selon lesquelles les difficultés des Etats-Unis découlaient avant tout des combats de coq partisans. Après avoir soutenu le projet de réforme de la santé, en vain, Krugman est dépité: «Je suis à deux doigts de décourager d'Obama.»
Accepterait-il de remplacer Larry Summers, le conseiller économique en chef (clintonien) à la Maison Blanche, de plus en plus critiqué? De jouer le joker de luxe pour Obama, pour réconcilier le président avec sa frange la plus à gauche? Non. Ce n'est pas son truc, à Paul. «Cela ne l'intéresse pas, il ne veut pas tomber là-dedans», assure sa femme. «Là-dedans», c'est-à-dire ce monde politique où il faut accepter, par moment, des raccourcis simplificateurs et des lectures biaisées du réel. Où il faut parfois travailler avec des gens qui ne connaissent pas grand chose à l'économie. Le statut de «conseiller informel» lui suffit. Il sait que Peter Orszag, l'une des têtes pensantes du clan Obama, lit son blog tous les jours. Summers l'appelle par téléphone environ une fois par mois.
Pour le reste, l'article décrit un Krugman obsédé par les bêtes sauvages (renard, héron, etc), fan depuis sa jeunesse de science-fiction (Fondation d'Asimov), et amoureux des jeux de mots et des déguisements. Il a notamment organisé une soirée Halloween, avec un thème imparable: des economic topics. Où des invités sont venus en tigres asiatiques, d'autres en «hedge funds» ou en Capital. L'enquête, frustrante, ne dit pas en quoi Krugman s'était déguisé.

A ceux qui chercheraient à en savoir plus sur la pensée du gourou, on conseillera de se rabattre sur un livre, en français celui-là, tentative de vulgarisation des travaux du Nobel (Paul Krugman, un économiste engagé, aux Presses universitaires de Grenoble, 2009, 16 euros). Une synthèse solide mais un tout petit peu prévisible, de ce défenseur d'un «libre-échange nuancé», articulée autour de quelques apports décisifs de Krugman (la «nouvelle théorie du commerce international» en écho aux travaux de Ricardo, ses écrits passionnants sur la spécialisation industrielle par région, où il identifie une part d'aléatoire, etc) et de ses prises de position dans le débat public américain. «Interventionniste sur le marché intérieur et libre-échangiste sur le marché international, il est économiquement smitho-ricardien et politiquement keynésien», résume l'auteur, Steven Coissard, enseignant chercheur à l'Idrac à Lyon. D'après lui, depuis dix ans, «Paul Krugman semble moins motivé par la recherche économique pure que par la volonté de participer 'raisonnablement' à la vie politique». «Raisonnablement»: surtout pas à Washington, donc.