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Billet de blog 13 février 2015

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Ne dites plus « Troïka » mais « TIFKATT »

L'Eurogroupe mercredi, puis le conseil européen du lendemain, ont au moins changé une chose à Bruxelles: le mot « Troïka » est banni, pour ne pas froisser les Grecs à l'approche d'une énième réunion clé, lundi prochain.

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L'Eurogroupe mercredi, puis le conseil européen du lendemain, ont au moins changé une chose à Bruxelles: le mot « Troïka » est banni, pour ne pas froisser les Grecs à l'approche d'une énième réunion clé, lundi prochain.

Dans la foulée, le jargon des « eurocrates » s'est enrichi d'un nouveau sigle exotique et très politiquement correct: faute de mieux, on parle désormais des « institutions autrefois connues sous le nom de 'T' » (the institutions formerly known as the Troïka, soit TIFKATT). « C'est un peu comme lorsque l'on parle de cet 'artiste autrefois connu sous le nom de Prince' », ironisait vendredi une source européenne au cœur des négociations sur le dossier grec, en référence au changement de nom imposé par l'artiste américain dans le courant des années 90 (T.A.F.K.A.P.).
« Une très grande souplesse est possible (sur cette question de vocabulaire), après tout », estimait cette source, car « le mot en 'T' (« T-word », c'est-à-dire la Troïka) ne figure même pas dans le traité qui régit le Mécanisme européen de stabilité » (le MES, ce fonds de soutien qui a permis à refinancer en partie la dette grecque). Et de poursuivre, très sérieusement: « Il y a peut-être un côté symbolique attaché à ce nom… ».
Lors des conférences de presse à l'issue du sommet européen, jeudi soir à Bruxelles, les dirigeants semblaient eux aussi avoir fait l'effort de rayer le mot « Troïka » de leur vocabulaire. Sauf erreur de notre part, François Hollande n'a pas prononcé le mot sacrilège. Rien non plus, pour Jean-Claude Juncker (commission) et Donald Tusk (conseil européen). Même Angela Merkel, principale adversaire du nouvel exécutif grec, n'a prononcé le mot qu'une seule fois dans son débrief du sommet - évoquant à plusieurs reprises les « institutions ».

Alexis Tsipras appréciera le geste, lui qui a répété lors d'une conférence de presse plutôt sage (sa première dans le costume de chef de gouvernement à Bruxelles), que « la Troïka et le plan d'aides tel que nous les connaissons sont morts ». Tout en promettant de « continuer de discuter avec ses partenaires institutionnels ». Le distinguo entre Troïka et les « partenaires institutionnels » est pour le moins subtil... De la même manière, les négociateurs parlent désormais d'un « cadre de réformes », et non plus d'un « programme », un terme très associé à la Troïka.
Les mots sont bien sûr décisifs en politique. Ils n'ont pas à coup sûr pas le même impact à Bruxelles et à Athènes. Mais la victoire de Syriza n'entraînera-t-elle qu'un changement de vocabulaire? C'est tout l'enjeu des jours à venir. « Le prêt relais préféré des Européens, ce ne serait que le travestissement du programme actuel d'aide », s'inquiétait jeudi un proche du dossier (lire notre article).
Des négociations techniques entre des officiels grecs et des représentants des trois « partenaires institutionnels » (commission européenne, BCE, FMI) ont repris, après le conseil européen de jeudi. Elles doivent préparer le terrain aux discussions, une fois de plus annoncées comme cruciales, d'un Eurogroupe lundi après-midi dans la capitale belge.
Sur le fond, le scénario reste ouvert. Mais il faudra un accord rapide, d'ici la fin du mois, en raison des besoins de financement de la Grèce après le 28 février. « Je reste inquiet, il y a encore beaucoup de choses qui restent à faire », a mis en garde jeudi soir Juncker, l'actuel patron de la commission, qui en connaît un rayon sur la défunte Troïka (il dirigeait l'Eurogroupe pendant la première crise grecque).
Yanis Varoufakis, le nouveau ministre grec des finances, avait expliqué mardi devant le parlement grec qu'à ses yeux, 30% des mesures du programme de la Troïka étaient « toxiques ». Une option sur la table: que les Grecs proposent d'ici lundi des mesures alternatives, pour ces 30%-là, à condition, a prévenu Juncker jeudi soir, qu'elles permettent le même montant d'économies. « Mais vous ne pouvez pas remplacer quelque chose qui a un impact significatif sur le budget, par une mesure qui réglementerait l'indépendance de l'office statistique grec », prévient un négociateur bruxellois.
D'autres pistes plus ambitieuses sont toujours sur la table - par exemple la négociation, dès à présent, d'un nouveau programme (plutôt que de travailler à un prêt-relais à partir du mémorandum déjà négocié du temps de la Troïka). Ce sera bien plus délicat qu'une simple question de sémantique.