Ce sera l'un des grands feuilletons bruxellois des mois à venir: le Parlement européen va-t-il oser rejeter l'accord obtenu de longue lutte au Conseil européen par les 27 chefs d'Etat et de gouvernement sur le budget d'ici 2020? A en croire le premier débat organisé au Parlement en présence de José Manuel Barroso, le patron de la commission, et de Herman Van Rompuy, le président du conseil, lundi 18 février, la partie s'annonce musclée.
Depuis le traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009, l'«approbation» du parlement est nécessaire pour valider le budget européen (article 312). Or, les eurodéputés sont dans leur majorité très remontés contre ce projet de budget qu'ils jugent étriqué, contraint en particulier par les exigences du britannique David Cameron. Les perspectives financières portent sur la période 2014-2020, et sont, pour la première fois dans l'Histoire de l'Union, en repli par rapport au cadre financier précédent (lire notre article). 
Dans une lettre cinglante publiée après l'annonce de l'accord au conseil européen, les présidents des quatre principaux groupes politiques au parlement (PPE, socialistes, centristes et Verts) avaient prévenu qu'ils ne voteraient pas le texte «en l'état». La donne n'a pas changé cet après-midi au terme d'une séance dont on retiendra cinq enseignements. 
1 - Symptôme de la crise européenne en cours, il a fallu attendre l'intervention du britannique Martin Callagan, le président de l'ECR, un groupe d'eurosceptiques constitué de 53 élus, pour que Barroso et «HVR», les représentants de l'UE, trouvent enfin un soutien dans la salle... « Cet accord n'est pas parfait. Loin de là. Mais nous pensons qu'il représente un compromis pragmatique et sensé », a expliqué Callagan, dont le parti, en Grande-Bretagne, plaide désormais pour l'organisation d'un référendum sur le maintien de Londres dans l'UE. Pour le couple HVR-Barroso, l'effet est dévastateur.
2 - Jusqu'à présent, Joseph Daul tient bon. Le patron du premier groupe politique au parlement, le PPE (droite), élu français totalement invisible dans les débats européens jusqu'à peu, a répété lundi son opposition ferme au projet. « J'ai parfois l'impression que la solidarité est devenue un gros mot », a-t-il tranché. « Ce budget représente seulement 1% du PIB. C'est le montant sur lequel, nous nous sommes engagés pour recapitaliser les banques espagnoles. C'est la moitié de ce que nous avons accordé à la Grèce pour faire face à la crise financière. C'est beaucoup et c'est peu d'argent. Mais ce n'est pas la quantité qui compte, c'est le sens que l'on donne à tout cela. »  
Si l'opposition des socialistes, des centristes ou des écologistes était prévisible, celle du PPE l'était nettement moins: ce sont des chefs d'Etat majoritairement de droite qui ont négocié l'accord sur le budget. Il faudra donc suivre de près les éventuelles fluctuations de la position de Daul dans les semaines à venir.
3 - Les verts européens, représentés dans le débat par la belge Isabelle Durant, ont fait une proposition: que l'on attende les élections européennes de 2014 pour rouvrir le chantier budgétaire, et négocier un nouvel accord. D'ici là, en rester aux grands équilibres du budget 2013, qu'il suffit de dupliquer pour l'année 2014. 
4 - Piqué au vif, semble-t-il, par les violentes critiques contre «son» compromis budgétaire, Herman Van Rompuy s'est employé à le défendre, en français dans le texte, mettant en garde contre un « faux débat, entre les bons Européens et les mauvais Européens ». « Bien sûr le budget européen est un compromis, cela n'a jamais été un chef d'œuvre, ni même un beauty contest (sic) », a-t-il reconnu. Avant de rappeler que le volet "croissance et investissements" du budget était tout de même en hausse de 37% par rapport au cycle financier précédent. Le chiffre est exact, mais l'astuce comptable est un peu grosse: une bonne partie de cette progression correspond en fait à un basculement d'une partie des fonds de cohésion dans le volet croissance. 
5 - C'est l'eurodéputée française Sylvie Goulard qui a posé la question à 960 milliards d'euros (le plafond du budget sur la période 2014-2020): « Le Parlement européen aboie, mais mordra-t-il? » La prochaine étape est connue: des négociations vont s'ouvrir avec le parlement, menées par la présidence de l'Union (l'Irlande jusqu'en juin), pour amender, éventuellement, le texte. Le parlement devrait en particulier plaider pour davantage de flexibilité, dans l'interprétation des lignes budgétaires, pour mieux parer aux urgences. Suffisant pour un deal en bonne et due forme lors d'une prochaine plénière à Strasbourg?
Lire, côté journal (payant), nos articles sur le conseil européen de février:
Budget européen, la défaite de François Hollande
Budget européen, le grand bluff des chefs européens à Bruxelles
L'écologiste Yannick Jadot: « Sur l'Europe, François Hollande se contredit »