Alors que la majorité des candidats à la présidentielle promet d'en finir avec la toute-puissance des marchés financiers, un petit livre d'insider vient rappeler, au-delà des formules faciles, l'extrême complexité de la tâche. L'essai, Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire (Les Petits Matins, 5 euros), est signé Pascal Canfin, un eurodéputé d'Europe Ecologie Les Verts, élu depuis 2009 au Parlement, co-fondateur de l'ONG Finance Watch.
Cet ancien journaliste a négocié la quasi-totalité des textes sur la finance en chantier depuis l'éclatement de la crise: régulation des bonus et des produits dérivés, réforme des agences de notation, instauration d'une taxe sur les transactions financières, interdiction du «high frequency trading»… Autant de dossiers épiques, souvent éclipsés, dans les médias, par la gestion à court-terme de la crise (cf. feuilleton grec), pourtant décisifs si l'on veut éviter pour de bon la prochaine crise.
«S'approprier les questions financières est une des clés pour sortir de la crise. Car sans démocratisation de la finance, nous assisterons à la financiarisation de l'économie», met en garde Pascal Canfin, aujourd'hui conseiller économique de la candidate Eva Joly.
Le livre, organisé comme un inventaire, s'applique à démonter une à une les fausses vérités que les banques n'ont cessé d'asséner, depuis 2008, pour tenter d'échapper à toute réglementation. Elles n'y seraient pour rien, disent-elles, dans la crise de la dette en Europe. Leur sauvetage n'aurait rien coûté aux contribuables. En finir avec les bonus ferait fuir les cerveaux. Les banques françaises seraient moins cyniques que leurs concurrents anglo-saxons. Etc.
A Bruxelles, ces arguments, formulés par beaucoup d'eurodéputés, sont d'autant plus prégnants qu'il sont récités, en boucle, par des armées de lobbystes copieusement payés par le secteur financier. Pascal Canfin leur répond sans ménagement. Son texte oscille entre le témoignage précis d'un élu soucieux de pédagogie (sur la machine européenne comme sur la mécanique financière) et la tentative de premier bilan de son action, à mi-mandat (pas toujours euphorisant, autant prévenir).
Au fil des mois, l'écologiste a semble-t-il appris trois techniques nécessaires à sa survie politique. Un, contrer coûte que coûte les lobbys de la finance, hyper agressifs et extrêmement nombreux (voir l'activisme de l'ISDA, le lobby des banques d'affaire traitant des produits dérivés). Deux, se méfier des doubles discours du président français, qui promet beaucoup à Paris et au G-20, et négocie souvent a minima à Bruxelles (voir l'épisode de la réglementations des hedge funds). Trois, accepter les compromis, au sein d'une Union européen qui penche très à droite.
S'il est accessible au plus grand nombre, l'essai n'est pas dépourvu de nuances. On en retiendra deux, précieuses en cette période de campagne électorale, où les promesses sur la régulation financière fusent de tous côtés, souvent trop vagues pour convaincre.
1 - Réclamer une séparation des activités de détail, de celles d'investissement, des banques, ne suffit pas, lit-on dans le livre (c'est ce que propose le Parti socialiste, au passage). «Si elle est nécessaire, cette séparation n'est pas la solution miracle. Lehman Brothers était une pure banque d'affaires. Un statut qui a justifié l'absence de soutien public, menant à la faillite de la banque… et poussant la finance mondiale au bord du gouffre. (…) Pire encore, elle pourrait aboutir à une sous-réglementation des banques d'affaires, comme c'était le cas aux Etats-Unis, au motif que ces banques ne bénéficiaient ni de la garantie publique, ni de l'accès à la Banque centrale.» (p.45)
Conclusion de Canfin: «Seule la création de deux systèmes financiers parallèles permettrait d'assurait une séparation réelle», avec des banques de dépôts finançant aussi les prêts aux petites entreprises.
2 - L'encadrement des agences de notation. Là encore, l'écologiste se montre plus prudent, quand d'autres veulent une agence européenne de notation. «S'il faut changer les règles de fonctionnement de ces agences, il ne faut pas non plus se tromper de débat. En effet, ce sont des choix politiques qui ont donné un rôle central aux agences. La législation bancaire européenne a ainsi fait des notes des trois grandes agences, Standard & Poor's, Moody's et Fitch, l'indicateur officiel pour mesurer le risque d'un titre financier. Dans le débat actuel sur le triple A des Etats de la zone euro, ce sont les responsables politiques - et notamment Nicolas Sarkozy, avant qu'il ne change de pied à partir de décembre 2011 - qui ont donné aux agences un statut d'oracle, plus que les marchés eux mêmes.» (p.28)
Plus d'infos sur le livre ici.