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Billet de blog 21 avril 2019

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Notre Dame, construction humaine ou naturelle, faut-il choisir les ordres de priorité ?

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Le lundi 15 avril à 18h15 alors que l’orgue jouait pour accompagner l’office du soir, un début d’incendie s’est déclaré dans les combles de la cathédrale Notre Dame de Paris. Nous avons tous pu observer le feu se propager à une vitesse phénoménale le long des 100 mètres  de charpente. Les flammes ont dévoré l’ensemble de la toiture, pour s’achever symboliquement par la chute de la flèche qui soutenait le coq dessiné par l’architecte Eugène Viollet le Duc et contenant en son sein 3 reliques, une des 70 épines  réputées appartenir à la Sainte Couronne du Christ, une relique de Saint Denis et une de Sainte Geneviève.

Cette nouvelle s’est propagée à travers le monde à la vitesse de l’éclair suscitant émoi et tristesse.

Ce monument dédié à la Vierge Marie et plus communément appelé Notre Dame est pendant de nombreux siècles l’une des cathédrales les plus grandes d’Occident. Elle a été édifié à partir de 1163 jusqu’au milieu du 14 ème siècle. Après la révolution française, elle subit une restauration parfois controversée par l’architecte Viollet Le Duc qui y glisse des éléments et motifs inédits. On y retrouve donc du style gothique primitif et gothique rayonnant. A la fois édifice religieux et patrimonial, la Cathédrale verra passer en son sein de multiples événements comme le sacre de Napoléon 1er en 1804 ou diverses funérailles de la 3ème république. En 1944, la libération y est chantée et des cérémonies seront effectuées à la mort de certains présidents comme Charles de Gaulle, George Pompidou, et François Mitterrand. En 2013, la Cathédrale fêtait son 850 ème anniversaire. Depuis le Concordat de  1801, conclu par le Pape Pie 7 et la loi du 9 décembre 1905, l’état est propriétaire des édifices religieux et il est garant de leurs entretiens.

Cet incendie ravageur touche donc notre mémoire collective de manière forte, mettant en suspend notre politique comme celle d’autres pays, amenant même le président français Emmanuel Macron à s’investir d’une mission, la reconstruire en 5 ans. Mission qui semble tout de même vouée à l’échec étant donné l’ampleur du chantier qui sollicite différents corps de métiers qui sont aujourd'hui pratiquement inexistants et des matériaux qui le sont tout autant, vu la destruction des forêts permettant de trouver des charpentes d’une telle envergure. Effectivement, Grégory Teillet, spécialiste de l’architecture médiévale et chargé du mécénat au ministère de la Culture,  nous indique sur France Info, que le président français, c’est avancé sur le calendrier en annonçant vouloir la rebâtir en 5 ans, pourtant cela risque de prendre des décennies, car il faut faire appel à beaucoup de corps de métiers spécialisés, comme des sculpteurs, ou des architectes spécialistes. De plus, le budget pour l’entretien des monuments historiques n’y est pas. Déjà sous Sarkozy, il manquait plus de 100 millions d’euro pour y contribuer. 2 millions d’euros par an, voilà le montant pour l’entretien et la restauration de notre Dame. L’ensemble des travaux à effectuer sur 10 ans était évalué à 60 millions d’euros. Selon les architectes et historiens, cet incendie est celui de trop. Les normes de sécurité sur les chantiers de rénovation des monuments historiques sont notoirement insuffisantes. Alexandre Gady, historien de l’art dénonce depuis « des années un budget trop faible, qui est devenu une variable d’ajustement et pose aujourd'hui des problèmes de sécurité graves. »

Interviewé par Médiapart, l’archéologue Dominique Garcia, explique que « la société semble plutôt se positionner vers une reconstruction à l’identique. Il est vrai que, désormais, on accole le plus souvent au terme de « patrimoine » celui « d’éternel », c'est-à-dire un terme mystique, employé pour Dieu, signifiant qu’il n’y a ni début, ni fin. Pourtant le patrimoine à un début et l’histoire fait qu’il y a des suites et des évolutions. C’est un élément marquant de notre société contemporaine que de vouloir figer le patrimoine et les monuments, alors qu’ils évoluent à travers le temps. »

Cet événement a suscité également l’empathie de nos plus grandes fortunes avec des promesses de don digne d’un Téléthon mais où les montants ont dépassés toutes les espérances de ce dernier. En quelques jours pratiquement 1 milliard d’euro de dons était annoncé.

Malgré l’émoi que peut causer ce violent incendie, il faut le replacer dans le contexte économique, social et écologique actuels, et y comprendre le sens d’une telle enchère.

En moins de 72 heures, les grandes fortunes françaises comme les familles Pinault, Arnauld ou Bettencourt, à elles seules ont débloquées un demi-milliard d’euros. La course aux dons était lancée. Grande générosité de la part de ces familles qui pourront bénéficier d’une exonération d’impôt. Il est bon de se rappeler que le mécénat est déductible des impôts à hauteur de 66 % selon la loi de 2003. La polémique enflant sur cette déduction fiscale qui fait retomber finalement une grande partie du don sur l’ensemble des français par les diverses impositions, la famille Pinault s’est ravisée 2 jours plus tard, en demandant de ne pas bénéficier de cette exonération. Pendant ce temps à l’assemblée, des députés LR, demandé le vote d’une loi pour passer de 66 % à 90 % l’exonération pour Trésor National. N’oublions pas aussi que l’exil fiscal des grandes entreprises pourrait lui aussi contribuer à la reconstruction de Notre Dame sans solliciter abusivement l’ensemble des citoyens.

Bref, en 72 heures nous avons donc pu constater la capacité saisissante et fulgurante dont les grandes fortunes sont dotées pour débloquer 1 milliard d’euro alors que la France connaît un mouvement social inédit depuis octobre 2018 pour plus de justice fiscale, une augmentation du pouvoir d’achat et une possibilité de reprendre un peu de pouvoir décisionnaire par la mise en place d’un référendum d’initiative citoyenne.

Lorsque le président français prend la parole le lundi soir avec une solennité défiant les plus atroces actes terroristes perpétrés détruisant de multiples vies humaines et leurs familles, une grande incompréhension est apparue chez les français puisque ce même jour, le bilan du grand débat national, qui a coûté 15 millions d’euros au contribuable français hors déplacements présidentiels au passage, devait être annoncé par ce dernier ainsi que les mesures prises par le gouvernement pour répondre à la contestation des gilets jaunes. Mais rien.  

A ce discours, le président français parle de notre histoire française et notre futur destin français soudé autour d’une histoire commune et de monuments communs. Mais quel est donc notre destin français dans un monde en décrépitude économique, sociale et écologique. Oui, notre Dame est un joyau d’architecture retraçant la mémoire d’un peuple mais qui va vers quel destin ?

Une crise d’austérité plus sévère pour respecter les impératifs de dettes, une destruction environnementale qui finit d’achever nos habitats et notre santé, pour asseoir un peu plus la dégradation sociale !

N’y a-t-il pas ici, une inversion forte des valeurs et de l’éthique dans notre époque contemporaine. La nostalgie historique doit-elle effacer les défis futurs ? Pour comprendre cela, il faut replacer l’Homme a sa juste place et quoi de mieux que d’utiliser la linguistique pour mieux le comprendre.

Lorsque nous parlons de patrimoine, nous sommes uniquement centré sur une approche anthropique qui place l’Homme en être supérieur parmi le vivant. Comme l’explique Dominique Garcia, l’éternité n’existe pas au niveau patrimonial, il s’agit d’une conception humaine. Les constructions de l’Homme sont certes de très grandes qualités et remarquables par les innovations dont il a su faire preuve au cours de son évolution. Pourtant en mettant en avant seulement la volonté humaine, nous oublions largement le patrimoine naturel qui au-delà du symbole que peut représenter notre Dame de Paris, est notre habitat à toutes et tous, et est actuellement en grand danger. Dame Nature est une priorité bien plus importante à restaurer et à préserver pour la survie de l’Humanité. 1 milliard d’euro pour le climat, est une proposition qui a été annoncé au parlement européen par plusieurs voix, pourtant nous ne voyons personne se bousculer au portillon pour effectuer des donations digne de ce nom. C’est une somme, qui investit, permettrait de se confronter au réchauffement climatique qui brûlera dans les temps futurs nos récoltes, et notre capacité à nous alimenter. Notre Dame de Paris même reconstruite sera uniquement le vestige d’une civilisation, comme les temples incas ou tout autre monument ayant survécu à la disparition même de ceux qui les ont vu s’élever. L’urgence n’est pas sur les symboles historiques mais bel et bien dans l’action concrète sur le vivant, qu’il s’agisse de notre biodiversité, de la détresse humaine quotidienne et du chaos vers lequel nous nous dirigeons.

Cette posture de façade pour rassembler autour d’un même destin n’est que le résidu égoïste d’un passé royaliste où la grandeur de l’Homme est incarné par la richesse matérielle. N’oublions pas que la foi appartient à chacun et qu’elle peut être exprimée à travers n’importe qu’elle symbole, de la plus grande cathédrale jusqu'à la plus petite étable. Il s’agit de spiritualité et non de biens matériels. La richesse matérielle  surpasse donc l’ensemble des vies humaines et du vivant qui les accueille, voilà la conclusion que nous pouvons faire de cet événement.

Au-delà du symbole dirigé sur un passé glorieux français, il y a également un aspect économique et touristique à ne pas oublier. Avec près de 12 millions de visiteurs en 2016, Notre Dame est l’un des monuments le plus réputé de Paris. Certes l’entrée est gratuite, excepté le trésor et les tours, mais son rayonnement permet de faire travailler de nombreux commerces, et les produits dérivés Made in China permettent une économie non négligeable pour la ville de Paris. Nous sommes bien loin des vœux pieux, mais sur une dynamique touristique où l’on pourra affirmer sur notre courte existence la visite d’un tel monument. L’Homme étant toujours attiré un peu plus par l’idée de débâcle et de destruction, nous pouvons donc voir s’agglutiner contre les barrières de sécurité, des touristes pouvant affirmer grâce à l’aide d’un selfie avoir été là, près de la Cathédrale ouverte vers les cieux.

Alors oui, le cœur est triste de voir une entité historique et religieuse s’effondrer sous les caméras, oui la reconstruction doit être envisagée sur le long terme, mais non, elle ne doit pas effacer les enjeux actuels qui placent l’humanité au bord du précipice, un peu plus chaque jour. N’oublions pas que ce qui nous nourrit chaque jour, qui nous protège au quotidien et qui nous permet d’envisager le futur, c’est bel et bien Dame Nature, qui est la construction à l’origine même de la vie et de notre faculté actuelle de pouvoir pleurer Notre Dame de Paris.

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