Il est frappant de constater un phénomène persistant depuis la guerre en Ukraine : sur les plateaux de télévision, les antennes de radio et dans la presse, malgré quelques nuances et sous des formes différentes, un discours défaitiste sur la capacité de résistance ukrainienne. Notons par exemple: « le rouleau compresseur Russe qui va finir par écraser la résistance ukrainienne », «Kiev va surement chuter rapidement, en quelques jours », « Poutine va finalement atteindre son objectif de prendre le Donbass », etc.
Ce discours est pourtant sans cesse démenti par les faits, et marginalisé aujourd’hui, grâce au courage du leader ukrainien et de son peuple, grâce bien entendu au soutien efficace des Occidentaux, en particulier des Américains. Mais il mérite encore certaines analyses, même s’il est impossible de résumer ici toutes les raisons psychologiques, culturelles et politiques de la genèse d’un tel discours. Nous n’avançons ici que quelques remarques préliminaires.
On pourrait légitiment se poser la question : ce discours défaitiste ne reflète-il pas tel un miroir l’état psychologique de certaines élites françaises qui n’ont plus confiance en la maitrise du destin de leur propre pays face un monde bouleversé, où la règle du plus fort fait son grand retour et où l’émergence de nouvelles puissances rebat les cartes du jeu international. Depuis ces dernières décennies, ce genre de discours revient de manière manifeste ou sous-jacente, sur divers sujets, quant à l’incapacité ou l’impossibilité pour la France de changer telle ou telle situation ou résister aux perturbations extérieures. Comment, ce qui semble impossible pour la France, puissance moyenne au moins, serait-il alors possible pour l’Ukraine?
Ce discours défaitiste fait aussi écho à l’anti-américanisme, au sentiment pro-russe sous-jacent, à droite comme à gauche, aveugle et problématique dans cette affaire. Certains voient en Russie un modèle alternatif, une force capable de contrecarrer l’hégémonie américaine. Il est incontestable que l’Amérique doit faire l’objet de critiques sur de nombreux dossiers internationaux et nationaux, surtout durant les années Trump. Mais oublier le rôle joué dans la défense de la démocratie et de la liberté par les Américains depuis l’époque moderne jusqu’à nos jours est aussi une erreur grave.
« Sous le règne du Guomindang, la question de la liberté se résume à ‘beaucoup ou moins’ ; si les communistes arrivent au pouvoir, cette question deviendra ‘il y a ou il n’y a pas’ ». Cette phrase devenue célèbre aujourd’hui en Chine, nous vient de l’intellectuel chinois renommé Chu Anping à la fin des années 1940. C’est un moment crucial où le Parti communiste chinois est sur le point de conquérir le pouvoir. Chu Anping ne croyait pas si bien dire : disparu durant la Révolution culturelle, même son corps n’a jamais été retrouvé. A un moment crucial où la reconfiguration mondiale et la la démocratie sont menacées, cette citation pourrait-elle interroger ceux qui prônent une politique française non-alliée, sans distinction qualitative entre l’Amérique, la Russie de Poutine ou la Chine de Xi Jinping ?
Enfin, ce discours défaitiste est largement s’appuie sur un raisonnement rationnel, des données « objectives », soldats, armements, … pour montrer les grands écarts entre les deux protagonistes de la guerre. Nous ne doutons pas la sincérité et même du professionnalisme des observateurs. Mais notre réserve est qu’ils oublient, ou sous-estiment, le facteur le plus important : le facteur humain !
A notre période où l’avance technologique spectaculaire donne l’impression que ce facteur humain est graduellement marginalisé dans de nombreux champs opérationnels, notamment militaire, les Ukrainiens nous rappellent avec force une vieille conception civilisationnelle : l’homme est l’élément le plus déterminant dans l’action historique. Face à une situation To be or not to be comme en Ukraine actuellement, c’est le courage d’affronter la mort qui donne l’espoir de vivre !
La guerre en Ukraine n’est pas terminée, mais les Ukrainiens ont déjà remporté des victoires par rapport aux objectifs fixés par Poutine, des victoires se poursuivront pour les Ukrainiens dans leur combat pour défendre la souveraineté nationale. Les spécialistes stratégiques et militaires du monde discuteront longuement des éléments qui permettent aux Ukrainiens de résister avec succès à l’armée russe : l’usage de haute technologie numérique, une décentralisation et une coordination efficace des troupes, dotées d’une mobilité extraordinaire, l’ingéniosité de la jeune génération politique et militaire, l’entrainement, le renseignement et l’armement reçu de la part des Occidentaux …Mais c’est la volonté, le sacrifice pour la patrie et la liberté, la conviction ferme de toute une nation sur la victoire finale qui déterminent le cours de cette guerre. « J’ai besoin d’armes, pas d’un taxi », comme l’illustre cette phase du président Zelenski.
C’est cet héroïsme, désuet aux yeux de certains modernistes, qui constitue la leçon ukrainienne la plus précieuse et inspirante, y compris pour les Français, dans la défense des valeurs comme la démocratie, la paix et la liberté, pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain. La victoire n’appartient qu’à ceux qui y croient. Aider les Ukrainiens à concrétiser leur victoire n’est pas un simple devoir moral, mais aussi une preuve de courage et un processus d’apprentissage du courage, en vue de notre propre victoire dans ces combats.