Une odyssée kafkaïenne sur fond de xénophobie… C’est ainsi que je qualifie cette lutte que je mène depuis plus d’un mois. Je suis Brésilien, doctorant à l’Université Paris 8 depuis 2011. J’ai eu un contrat doctoral pendant trois ans (dont les deux derniers en tant que moniteur-enseignant) et ensuite un poste d’ATER à temps plein pendant six mois. Ce poste était renouvelable, mais suite à un manque de budget, il n’a pas été renouvelé. Et là tout a commencé. Lorsque le poste n’a pas été renouvelé, on m’a fait remarquer que de toute façon j’avais la chance de l’avoir obtenu, et que je devais en être satisfait, « comme tous les autres ».
Normaliser la précarisation dans l’enseignement supérieur
La chance. La gratitude envers l’université. Argument étrange, vu que je travaillais pour l’Université – je donnais des cours magistraux, corrigeais des copies, suivait des étudiants. Ce n’était pas une faveur que la fac me faisait, puisque je travaillais pour elle. Donc, certes je vois la chance que j’ai – et je la nie certainement pas –, vu le manque des financements des doctorants, mais assumer que j’ai la chance parce que je fais exception au milieu de cette masse des doctorants qui font comme ils peuvent pour financier leurs thèses, c’est normaliser une situation scandaleuse et surtout normaliser la précarisation dans l’enseignement supérieur. Les doctorants contractuels et surtout les ATER travaillent comme des profs, mais sans la même stabilité et avec la peur constante de se retrouver au chômage à la fin des contrats. Pour les facs, ce n’est pas une faveur de financer ces doctorants, c’est au contraire une stratégie économique, car c’est beaucoup moins cher de payer des ATER que des maîtres de conférence ou des profs…
« Vous étiez censé rentrer chez vous… »
Bref, comme je n’ai pas eu de poste, que je n’avais pas d’autre travail, j’ai pensé faire comme plusieurs doctorants : demander une allocation chômage afin de finir ma thèse. De fait, j’avais cotisé pendant trois ans et demi. Mais là, la seconde étape de l’Odyssée a commencé. Suite à ma demande, le pôle emploi a refusé de me payer des allocations chômage. La raison? Je suis étranger non ressortissant de l'UE possédant un titre de séjour avec la mention « étudiant ». Pour cette raison, je n'ai pas le droit de toucher aux allocations, même si j'ai cotisé comme tout le monde pendant trois ans et demi. Le code du travail permet aux doctorants de demander le chômage, mais il semble faire une discrimination en fonction de l'origine du demandeur: européen ou non-européen. Même si j'ai travaillé pendant trois ans et demi à cette Université, si j'ai enseigné, fait de mon mieux pour aider mes élèves et collègues, organisé des colloques, publié, maintenant je ne peux pas faire valoir ce droit. Je deviens un parasite et on ne veut pas de moi ici : on m'a fait remarquer sans cesse ma condition d’étranger. "Vous êtes censé rentrer chez vous après 3 ans de thèse", "Si vous étiez, Portugais, par exemple, il n'y aurait pas de problème", etc... A chaque démarche, j’ai entendu cela.
La fac ne m’a rien dit au moment de la signature du contrat
En fait, je me retrouve maintenant dans un trou noir juridique kafkaïen. La cellule chômage de Paris 8, qui est censé me payer, affirme qu’elle ne paiera que si je suis inscrit au pôle emploi – « formalité administrative nécessaire », dit-elle. Le pôle emploi, à son tour, me dit que je ne peux m’inscrire que si Paris 8 change mon statut d’étudiant. En effet, si au moment de la signature de mon contrat, j’avais fait une demande de changement de statut – d’« étudiant » à « chercheur-scientifique » –, j’aurais droit à toucher aux allocations chômage. Un tel changement doit être fait auprès de la préfecture de police par l’Université. L’Université le sait, pourquoi m’a-t-elle embauché, m’a-t-elle fait cotiser, sans me prévenir de cette clause ? Maintenant, je ne peux plus le faire, car il me faut un contrat – que je n’ai plus depuis le 28 février. De cette manière, tout est bouclé et je suis bloqué. J’ai essayé d’aller personnellement à la préfecture de police, mais elle me refuse d’opérer ce changement de statut, selon elle c’est la fac que doit le demander (et non pas moi), et il me faudra un contrat. Même si continue à faire de la recherche, à publier, à organiser des événements pour la fac, à suivre des élèves, bref si dans les faits je continue à exercer la fonction de chercheur scientifique, sans le contrat je n’ai pas droit au changement de statut. Comme je ne le savais pas auparavant, comme au moment où j’ai signé le contrat et j’ai renouvelé mon titre de séjour sans demander ce fameux changement de statut, comme j’aurais dû le demander, mais je ne l’ai pas fait, je n’ai plus maintenant le droit – je l’ai perdu... Et la fac ne m’a rien dit au moment de la signature du contrat.
Toujours plus de discrimination et de précarisation
Il y a là un argument technique : c’est simplement une question de statut et non pas une discrimination selon la nationalité, disent-ils. Pourtant, si j’étais européen… Derrière l’argument « technique » – comme d’habitude, par ailleurs… –, il y a une machine d’exclusion très puissante. Et toujours cette même fausse raison : il y a des personnes plus discriminées, vous avez de la chance d’avoir eu du travail. Est-ce une raison pour accepter toujours plus de discrimination et de précarisation ? Et reste la question : où est l’argent de mes cotisations ? À la précarisation absolue à laquelle les doctorants et bien d’autres ont dû s'habituer au fil des années, s'ajoute maintenant un appareil discriminatoire évident. Je suis sûr que cela n'est en rien comparable à ce que d'autres étrangers, d’autres immigrés souffrent quotidiennement, mais je suis maintenant en mesure de comprendre leur situation et leur révolte un peu plus.
Marlon Miguel