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Billet de blog 7 avril 2015

Luttes Paris 8

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Vivement demain à Paris VIII.... (témoignage d’une étudiante)

L’université de Paris VIII a été crée aux lendemains de mai 68, comme « centre expérimental ». Portée par des intellectuels désireux de promouvoir une autre forme d’enseignement, plus critique vis à vis des pouvoirs en place ; elle se voulait indépendante, cosmopolite,encourageant des personnes de toute classe sociale à rejoindre ses bancs, elle favorisait notamment l’accès aux études des travailleurs et travailleuses via des cours du soir, etc....

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’université de Paris VIII a été crée aux lendemains de mai 68, comme « centre expérimental ». Portée par des intellectuels désireux de promouvoir une autre forme d’enseignement, plus critique vis à vis des pouvoirs en place ; elle se voulait indépendante, cosmopolite,encourageant des personnes de toute classe sociale à rejoindre ses bancs, elle favorisait notamment l’accès aux études des travailleurs et travailleuses via des cours du soir, etc....

Ma première année à Paris VIII en sciences politiques ne m’a pas déçue : j’ai eu des cours très enthousiasmants. L’un de nos professeurs, Vincent Farnea, nous a diffusé en classe un reportage de ce qu’était Paris VIII à ses débuts, et cela paraîtrait improbable aujourd’hui : parmi les étudiants ont comptait nombre de travailleurs et travailleuses, de personnes en reprise d’études, des étrangers de tous bords, se côtoyant et étudiant ensemble. Oui, c’était l’ambiance post-soixante huit avec des étudiants et des professeurs qui pouvaient se tutoyer, fumer ensemble, mais c’était aussi une atmosphère intellectuelle exaltante. Les couloirs étaient envahis par des sortes de mini marchés de des bijoux, des vêtements, des livres, des cigarettes... Ces images m’ont marquée, cette université cosmopolitique, riche, solidaire, me semblait alors si belle.

Aujourd’hui.... Grâce à la politique de notre présidente Tartakowski, étiquetée à « gauche » (alors qu’elle n’a fait que réprimer les mouvements progressistes depuis son arrivée) notre université se « rationnalise » de jour en jour et dans peu de temps, il ne restera plus rien de l’esprit de Paris VIII à ses débuts. Depuis les attentats de Charlie Hebdo, nous avons pour nous accueillir à la porte de l’université toute une équipe de vigiles qui s’occupent de contrôler nos cartes et quand l’envie leur prend, de fouiller nos sacs. Comme quoi, l’université qui est toujours censée ne pas avoir d’argent en a non pas quand il faut répondre aux demandes des salariés, mais quand il faut faire des mesures sécuritaires (tout le monde sait bien que les vigiles ne jettent qu’un vague coup d’oeil dans notre sac, et comment pourraient-ils faire la différence entre une fausse et une vraie carte d’université?). Certains étudiants avancent l’argument que « c’est normal de présenter son identité quand on rentre quelquepart, puis on se sent plus en sécurité au moins ». Parce que oui, il paraît qu’il y aurait souvent des agressions à Paris VIII (autour de moi personne n’en a jamais été victime). .... Donc il faut qu’on s’enferme à double tour entre nous, afin que les agresseurs potentiels s’en prennent aux habitants de Saint-Denis et non pas à nous, étudiants qui pour la plupart traversons à peine une rue de leur ville (et qui leur avons pris leur parc pour y implanter l’université). Oui enfermons nous chez nous, traversons la rue au pas de course si on estime que c’est « mal famé » et vite retrouvons notre université pour nous enfermer à nouveau entre quatre murs.C’est tellement risqué de nos jours, surtout en France (pays au bord de la guerre civile... ah, ce que vivent les étudiants en Syrie, au Yémen, dans l’est de l’Ukraine ou récemment au Kenya et j’en passe... c’est de la rigolade à côté du quotidien d’un petit étudiant français obligé de vivre en autarcie sous contrôle dans sa fac... ah jeunesse pleine de bravoure qui affronte le danger la tête haute, comme je suis fière d’être dans tes rangs).... Cette acceptation large du contrôle comme corolaire de « notre sécurité », discours politique cher à tous les gouvernants qui vivent dans les endroits les plus privilégiés et les plus sécurisés de la planète, fait tellement fureur parmi un nombre non négligeable de jeunes de la fac que ca fait presque peur.

Bien sûr, nous sommes aujourd’hui un certain nombre à refuser ce contrôle ou simplement à être contre. Quelques actions ont d’ailleurs été menées pour sensibiliser les étudiants et leur montrer l’absurdité de ces contrôles. On peut citer notamment la distribution de fausses cartes par Solidaire étudiant- e-s ; avec des inscriptions comme VADOR Kart pour l’identité et une photo de Dark Vador en fonds (j’ai personnellement réussit à passer le contrôle avec celle là...). Il y a eu aussi beaucoup de cartes faites au nom de Danièle Cartakowsy…

Si vous arrivez à passer ce contrôle, vous pourrez avoir la joie de trouvez sur votre droite un fast-food où on propose des hamburgers à toutes les sauces pour un prix moyen de 6 euros le menu ; le restaurant est stylisé « américain », avec un mur sur lequel une tentative d’inscrire en plusieurs langues « bon appétit » comporte des fautes qui me font honte (notamment pour la traduction russe... je leur ai signalé, mais ils n’ont pas cru bon de le changer... Ben oui, ce qui compte, c’est le « style » pas le fond...), avec aussi un super écran plat qui vous diffuse en permanence BFM TV. L’odeur de friture, les tables et chaises au plastic dur et le charmant bruit de fond de BFM ne vous donnent pas envie de vous y poser pour discuter cours ou y préparer un exposé par exemple. A part un petit resto CROUS, une camionnette « friterie » avec son lots de chaises en plastique blanches... nous n’avons pas de lieu de sociabilité, de lieu où l’on peut s’assoir et échanger en dehors de toute consommation alimentaire. Il ya bien la bibliothèque, mais vous ne pouvez pas y parler fort. Pourtant, contrairement à ce que semble penser notre présidence, nous ne sommes pas que des consommateurs, et nous voudrions travailler, échanger entre nous... Alors certains étudiants ont l’idée d’aller dans les salles de classe vides. Mais là encore, elles commencent à être de plus en plus fermer à clef, parce que paraît-il, des jeunes y fumeraient en cachette. D’accord, fermons donc toutes les portes à double tour. Si c’est pour notre sécurité ca va.

Mais heureusement, l’esprit de Paris VIII résiste encore aux travers de collectifs, d’actions militantes, d’organisation de conférence, de professeurs remarquables, dont l’esprit critique nous éveille sur beaucoup de sujets.. .Certains collectifs sont très actifs, comme le collectif féministe Moeurs Attaque de la fac ; qui organise souvent des repas à prix libre autour de thématiques, des projections de films, des conférences... Et qui crée ce que la fac devrait créer, des espaces de rencontre, d’échange, de formation. Il ne se passe pas une année sans que l’université ne soit traversée de mouvements de luttes et de propositions en tous genres. L’année dernière, une mobilisation autour des étudiants sans papiers fut très active au sein de la fac, et il y avait notamment eu la proposition d’ouvrir une crèche collective pour les étudiantes qui a circulé (idée géniale, espérons qu’elle verra le jour). On peut aussi citer la MAP (association pour le Maintiend’une Agriculture Paysanne) qui propose des paniers de légumes aux étudiants et personnels de la fac issus d’une agriculture bio, ou lepaysan, grâce au système de forfait mensuel et à l’engagement annuel des consommateurs est sûr d’avoir un revenu stable.

Cette année, le collectif des bas salaires de Paris (composé de personnels de la fac, majoritairement des femmes) nous a montré un bel exemple de luttes à travers deux mois de grève. Leur réclamation principale était une demande d’augmentation de salaire de 98 euros. C’est en traversant la passerelle qui mène à l’université que je les ai rencontrées, elles tenaient souvent un stand ou elles proposaient du café chaud et tentaient de discuter avec les personnes de l'université, et j’ai tout de suite était convaincue que leur cause était juste. En tant qu’étudiante, je les ai soutenues sur quelques actions et j’ai toujours été admirative devant leur combativité et leur détermination. Mais j’ai pu voir aussi à quel point une grève est dure et fatigante. Cette grève s’est terminée la première semaine d’avril. Le collectif a réussi à faire plier la présidente sur la somme de 50 euros d’augmentation et à obtenir qu’elle n’effectue pas les retenues sur salaire des grévistes qu’elle avait envisagées pour le mois de mars.

Etant en troisième année de sciences politques, je m’attendais à voire plus d’étudiants de ma promo se mobiliser autour des luttes de la fac et notamment des grévistes, qui étaient présents tous les jours. Mais nous n’étions qu’une poignée. Les étudiants étaient majoritairement sympathisants, mais les excuses pour ne pas se mobiliser sont toujours les mêmes : nous n’avons pas le temps, pas l’énergie, « non j’ai déjà été à des AG et tout cela ne rime à rien », «non en ce moment il y a partiel », « non j’ai poney à 13H »... L’individualisme prime sur la grande majorité. Même certains profs de Paris VIII ont refusé de nous laisser faire des annonces ; ils nous ont regardé avec mé pris et dédain (heureusement certains prof nous font un accueil un peu plus chaleureux, merci à eux et elles par ailleurs).

Au delà de ces quelques combats et victoires, la politique de « normalisation » de Paris VIII se poursuit lentement mais inexorablement si nous ne faisons rien et laissons la présidente tuer l’esprit de Paris VIII à petit feu.Ce qui se passe en ce moment à Paris VIII est peut être le reflet de ce qui ce passe à une échelle plus large au sein de notre pays, et plus largement encore, au sein d’un système-monde.

Il faut qu’on se parque entre nous, sous l’oeil vigilant des caméras, avec des vigiles suffisamment baraqués pour bien nous garder, des contrôles de tout et de tout le monde afin de garantir « notre sécurité »... ET que les pauvres se tiennent loin, à leur place, limite que nous ne les voyions pas. Qu’on les exploite, les précarise, les violente au quotidien mais que surtout ils ne viennent pas effleurer notre univers de tour et d’acier, notre belle petite bulle.

L’important, c’est le menu hamburger coca, avec BFM TV en fond.

Elena Giraud

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