PACES, LE TRAVAIL DU GALÉRIEN
PACES comprenez année préparatoire aux études de santé, est une année concours accessible théoriquement à tout bachelier même si dans la pratique, il s'agit en majorité de filière scientifique.
Derrière cette appellation, une fois le verni du prestige social retiré, se cache une formation intensive et ultra sélective puisque soumis à un numérus clausus. C'est aussi au sein de cette filière que l'on découvre des taux anormaux de suicides chez les étudiants.
Pour comprendre le mécanisme de cette mécanique de destruction, il faut d'abord gommer les clichés de l'étudiant insouciant, fêtard, qui prend la vie du bon côté. Dès le premier jour de cours le ton est donné : "ce n'est pas le moment de vous trouver un petit(e) ami(e)", "Ne vous croyez pas des étudiants en médecine, nous ne l'êtes pas" et bien d'autres formes d'encouragements de la part du corps "enseignant" comme le dénigrement quasi systématique des bacheliers non issus de la voie royale "S".
Cette année concours n'est pas une année d'étude normale. Elle nécessite un travail personnel de 10 à 15 heures de travail par jour et la mémorisation de centaines de pages dans des matières scientifiques, des lois, des dates, l'organisation du système de santé, l'anatomie... Les cours sont dispensés sans que les étudiants ne puissent interpeler les enseignants pour raison d'équité devant le concours. Dans certaines universités, il a été mis en place une espèce de Forum permettant aux étudiants de poser des questions. Les réponses sont soit celles d'autres étudiants, et plus rarement celles d'enseignants. Aussi lorsqu'ils répondent c'est plutôt de manière générale et pour l'ensemble de la communauté. Autant dire, que l'étudiant qui ne vient pas d'une famille de médecins a très peu de chance de trouver de l'aide à l'université. Même si le tutorat, lorsqu'il est bien fait, vient atténuer un peu les choses.
Les étudiants sont mis en concurrence à cause du numérus clausus, comprenez le nombre d'étudiants autorisés à passer en deuxième année. Cette concurrence aigüe dans certaines universités conduit à des comportements déviants : prise de stupéfiants, de boosters ou d'autres poudres promettant monts et merveilles. Dans d'autres universités, on note une recrudescence des vols de portables, d'ordinateurs, de cours. Dans d'autres encore, ce sont les étudiants qui s'arrangent pour court-circuiter leurs camarades par des crasses de potache : verrouillage des portes d'amphi pour empêcher d'assister au cours, destruction vol de pages de cours... Dans ce contexte, l'étudiant en médecine doit posséder une motivation et un moral à toute épreuve et une famille capable d'absorber le choc.
UNE DÉCONNEXION SOCIALE COMPLÈTE
Un étudiant de PACES n'a plus de vie sociale, plus de weekend, plus d'amis, reste la famille lorsqu'elle existe. La famille est le soutient psychologique de premier rang et l'organisateur de l'intendance. La moindre minute gâchée est un pas en arrière sur le chemin de la réussite.
Aucun étudiant de PACES ne peut passer l'année sans le soutien inconditionnel de sa famille. Elle est à la fois, le psychologue, le coach, le meilleur ami, l'intentant, le soutien, l'oreille, le coeur... En PACES l'investissement émotionnel est très fort pour l'étudiant mais aussi pour sa famille. Le succès ou l'échec est celui du groupe familiale entier. Lorsqu'on sait les chiffres des divorces, des familles monoparentales, les densités de CSP... L'école laïque, républicaine emprunt de liberté et d'égalité est mise à mal. L'étudiant de PACES n'a pas d'autre choix que de s'investir totalement ou renoncer. Cette fuite en avant dans le travail, parfois stupide comme apprendre par coeur des centaines de dates en plus du reste, crée un conditionnement et un enfermement mental qui pourront avoir de fâcheuses conséquences en cas d'insuccès.
UN SENTIMENT D'INJUSTICE PROFOND
La PACES est un concours régional au niveau de l'université. En d'autres termes c'est l'université qui décide des contenus, des épreuves, de leur forme, des coefficients, du classement et des corrections, l'état se chargeant du numérus clausus. L'université est juge et partie. Ainsi le concours est différent à Perpignan ou à Poitiers. Le numérus clausus aussi. Comme tous les concours, il suffit d'être le premier pour passer, peu importe le niveau, c'est là, la première aberration de ce système. Avec une soit-disant volonté d'ouvrir à d'autres filières, certaines universités ont mis en place des passerelles vers la deuxième année. Officiellement des étudiants ultra doués en Biologie par exemple, peuvent rejoindre la deuxième année, sans passer le concours, une sélection sur dossier. Quelles sont alors les garanties d'un traitement équitable des dossiers ? L'effet pernicieux des passerelles est de, à la fois donner un sentiment d'injustice et de méfiance auprès des étudiants de PACES qui ne comprennent pas pourquoi il existe des passes-droits au concours mais aussi de réduire leurs chances de réussite. En effet, les passerelles viennent consommer leur part dans le numérus clausus, privant les étudiants de PACES de places supplémentaires (60 places de prises en médecine à Poitiers sur 212, pire pour le dentaire qui comptait 27 places dont 10 prises pour la passerelle... le taux de réussite en PACES pour le dentaire avoisine alors les 0,5%). C'est donc un sentiment profond d'injustice, un investissement sans fond et une coupure sociale nette qui rend ce cursus dangereux. C'est là la deuxième aberration.
Les étudiants voient le concours coupé en deux. Une partie au premier semestre puis une autre au deuxième. Les matières sont (volontairement ?) mal réparties. Celles très denses sont mises au premier semestre pour garantir un taux de préparation moindre. En effet, les étudiants ont moins de temps de préparation au premier semestre qu'au deuxième. L'issue du premier concours est sans appel : si insuffisamment classé l'étudiant n'est pas autorisé à poursuivre son semestre et réintègre la fac de droit ou de psycho, deux secteurs sous tension ou la biologie. Le taux d'écrémage est sévère. Pour les chanceux, s'ouvre la voie du deuxième semestre. Là encore, si l'étudiant réussit, c'est à dire qu'il se trouve dans le haut du panier, le numérus clausus, il peut aller dans la filière de son choix... enfin pas tout à fait. Pour les autres, deux choix, soit être autorisé à redoubler l'année et pouvoir repasser le concours, soit choisir une autre voie que médecine. Pour les redoublants... c'est bien pire.. ils n'auront plus la possibilité en France de pouvoir intégrer un cursus médical, adieux les études de santé à vie ! Les redoublants sont donc les dégâts collatéraux de cette formation élitiste. Comment reconstruire un projet professionnel après deux années de labeur intensif, à manger avec la PACES, à boire avec la PACES, à dormir avec la PACES et en définitive mourrir avec la PACES. Et derrière eux, leurs familles. Parcoursup finira de les achever.
ABERRATION D'UN SYSTEME DÉPASSÉ, TECHNOCRATIQUE ET ÉLITISTE
La PACES n'a pas toujours été comme ça. Mais pourquoi avoir regroupé les filières médecin, dentaire, sage-femme, pharmacie et kiné au sein d'une même unité ? Chacune de ses professions a son âme. Dans l'exercice du métier, on ne se projette pas de la même manière si on veut être un médecin, une sage-femme ou un kiné... L'échelle des salaires est elle aussi très différentes et les évolutions très variables. À moins d'avoir voulu faire des économies, il n'y a pas de raison valable à réunir dans un même concours ces différents métiers. D'autant que la réussite au PACES ne présage pas d'obtenir la filière que l'étudiant souhaitait. Par exemple, si les 20 premiers étudiants du numérus clausus décident de choisir dentaire (17 places pour Poitiers) les autres n'auront qu'à choisir ce qu'il reste. Le doyen de la faculté peut alors s'offusquer qu'un étudiant ayant réussi, étant dans le numérus clausus, refuse d'embrasser la profession de sage-femme ! La place laissée vacante ne sera pas comblée par le suivant de la liste. Lorsqu'on sait que ces professions demandent beaucoup d'investissement et de motivation, comment ne pas comprendre qu'un étudiant voulant être dentiste refusât de prendre une place en sage-femme. Au-delà de la formation, il faut percevoir le métier. C'est ainsi que l'on trouve des dentistes qui se destinaient à être médecin... mais qui n'ont pas eu de chance. Cette technocratie dans le choix de la filière est la source de nombre d'abandons dans les années suivantes et c'est logique. La première condition pour réussir ses études de santé, c'est d'être motivé. Comment l'être si vous vous trouvez dans la filière que vous n'aimez pas mais que vous n'avez pas eu le courage de renoncer à cause de la sueur et de l'investissement laissé dans cette PACES. Cette absurdité technocratique se retrouvera plus tard dans les ECNI, sorte de concours à numérus où là encore seuls les ultra meilleurs pourront choisir leur spécialité, pour les autres les restes.
COVID-19 EST PASSÉ PAR LÀ
Confinement oblige les cours ont été perturbés. Faute de présence des enseignants sur place ou d'étudiants, il a fallu fouiller dans les archives pour fournir des vidéo de cours des années antérieures pour finir l'année. Le concours est maintenu et s'organisera avec les gestes barrières, dit-on. Le port du masque sera obligatoire mais interdit pendant l'épreuve pour éviter la communication entre les étudiants. Derrière un masque c'est sûr qu'on ne reconnait pas celui qui a communiqué. Les élèves susceptibles d'avoir été contaminés ou présentant des symptômes pourront passer le concours dans une salle à part... avec majoration de temps peut-être ?
Les épreuves ont été revues dans plusieurs universités. Celles rédactionnelles ont été remplacées par des QCS, questionnaires à choix simple où seule une réponse est juste ou QCM à choix multiple. La durée des épreuves a été raccourcie... les étudiants non préparés à ces changements de dernière minute. Cerise sur le gâteau, le numérus clausus est publié par le gouvernement avec quatre mois de retard. Le chiffre sur l'ensemble de la France n'est pas encourageant. Environ soixante places de plus, toute filière confondue... c'est à dire rien de plus.
Après avoir annoncé la distribution de médailles aux soignants, des médailles en chocolat bien sûr, quelques primes et une reconnaissance médiatique qui laissaient penser qu'enfin le pouvoir avait perçu l'urgence de réformer et d'investir dans le système de santé. Le numérus clausus est encore une douche froide et un signe vers le retour à l'inaction et l'économie budgétaire. Ce n'est pas la réforme de la PACES qui changera la donne.
Le nombre de médecins est stable depuis plus de 20 ans alors que le pays est en manque criant de soignants. Le numérus clausus, lui, n'a pas cessé de baisser au fil du temps. La raison est que la formation étant intimement liée aux capacités du CHU, celui-ci ne peut pas accueillir tous les étudiants. D'où cette écrémage inhumain. Aussi au lieu de réformer la formation pour former d'avantage de médecins, ou d'acteurs de santé, on persiste à utiliser le vieux système quitte à palier le manque de soignants par l'emploi de praticiens étrangers qu'on paye au rabais et écorchant au passage leur capacités de soignant, plutôt que d'augmenter les capacités de formation. Un médecin étranger ne vaut pas un médecin français, c'est bien connu. Ce mépris est très révélateur d'un entre-soit affirmé. L'étudiant veut voir le numérus augmenter, mais une fois de l'autre côté c'est l'inverse qui se produit. Il s'agit d'un comportement de caste. Au delà de ce mépris, il existe un avantage financier évident à ce système de broyage. En étant aussi sélectif et en interdisant définitivement l'accès à la filière, les étudiants les plus motivés ou les plus fortunés pourront se tourner vers la Roumanie ou l'Espagne, pour enfin voir réaliser leur rêve ou retourner dans un processus de concours via la Belgique qui n'offre guère plus de chances de réussite.
Les étudiants en se tournant vers l'étranger, font faire à l'état français une bonne affaire. Cela lui permet de voir revenir des praticiens français, formés et diplômés sans que cela lui ait coûté le moindre centime, la formation ayant été supportée par les étudiants eux-mêmes (sans possibilité d'obtenir une quelconque bourse ou aide d'Erasmus). Mieux, ils pourront être payés à bas prix dans le secteur public. La bonne affaire ! L'exploitation de ces personnels n'est plus a démontrer, les internes avec leur misérable indemnité de stage en travaillant à l'hôpital en sont un bon exemple. Une forme de travail dissimulé sous prétexte de formation.
LES CHANCES DE RÉUSSITES
Les chances de réussite de l'étudiant de PACES sont très faibles. 212 places en médecine, 17 places en odontologie (dentaire), 72 en pharmacie et 23 pour sage-femmes, par exemple pour l'université de Poitiers pour cette année 2020-2021, sur environ 1500 étudiants en début d'année. C'est à dire 14% pour les médecin, 1% pour le dentaire, etc. Chiffres faux puisqu'à ceux-ci il faut enlever les places réservées aux filières qui ne passeront pas les épreuves. Autant dire que la réussite au concours est presqu'un coup de dé. D'autant que les chercheurs en psychologie cognitive avaient déjà évoqué les effets pervers des QCM. Le nombre de pharmaciens est toujours plus élevé alors qu'on n'en manque pas.
Les événements COVID-19 ne vont malheureusement pas aider les étudiants. L'épreuve arrivant, ceux-ci sont aussi confrontés à parcoursup. Là encore c'est la douche froide. Les algorithmes de parcoursup ne semblent favoriser que les bacheliers ou futurs bacheliers. Un étudiant de PACES refoulé car n'ayant pas atteint le numérus ne sera pas prioritaire, tout comme n'importe quel étudiant voulant changer de voie. Les choix sont distribués en priorité aux bacheliers (70%), les restes aux autres. Du coup, non content d'être laminé, effondré, perdu et sans véritable orientation suite à son éconduite du parcours santé, l'étudiant voit ses choix fait par dépits mis sur liste d'attente, très loins de la pôle position. Mieux, habitant dans une ville universitaire, très peu de chances d'y rester, les seuls voeux ayant une chance d'être acceptés sont hors académie... même si le cursus existe à côté de chez soi. Un comble et un véritable non sens écologique et économique. Obliger les étudiants en échec, à trouver une piaule dans une autre académie, supporter des frais d'hébergement, des frais de transports, etc, alors que tout existe en face de chez eux, relève encore une fois d'une absurdité technocratique. L'accès à l'université serait donc bien conditionnée aux revenus et réservée à l'élite, comme autrefois.
Et après ? La PACES est en voie de réforme mais en fait ce n'est qu'une copie mal embouchée. D'abord la formation reste dans les mains de l'université. Le redoublement devient interdit, les étudiants sont donc éjectés. Le numérus clausus n'existe plus, ou plutôt s'appelle autrement et intervient en fin de cycle, au bout de trois ans. Autrement dit vous obtenez un diplôme qui vous interdit d'aller plus loin si vous n'entrez pas dans le nouveau numérus qui ne sera guère plus élevé que l'ancien. Avec le diplôme en poche vous êtes sauvé, vous pourrez rejoindre des professions paramédicales et faire une croix définitive sur votre rêve ou votre vocation de devenir médecin, dentiste, sage-femme ou pharmacien... D'autres universités ont fait d'autres choix et de n'offrir qu'un système de passerelle réservé à des filières ayant pris une option santé. Après 3 ans d'études (licence), les étudiants pourront postuler... La encore les critères d'acceptation resteront opaques puisque la décision restera dans l'entre-soit universitaire. Le reste des études n'en sera pas changé, les chanceux intègreront la deuxième année de médecine.
La réforme ne répond donc en rien aux problèmes déjà posés par la PACES. La frustration est même plus grande. Et le nombre de médecins formés ? Il ne bougera pas. C'est avec ce genre de réforme que l'on finira d'étouffer le service public de santé et par delà tout le système de santé.