Lyes SALEM (avatar)

Lyes SALEM

comédien-réalisateur

Abonné·e de Mediapart

2 Billets

0 Édition

Billet de blog 30 décembre 2015

Lyes SALEM (avatar)

Lyes SALEM

comédien-réalisateur

Abonné·e de Mediapart

Lettre à François Hollande, Manuel Valls, aux députés et Sénateurs.

Lyes SALEM (avatar)

Lyes SALEM

comédien-réalisateur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

À

Monsieur le Président de la République,

À

Monsieur le Premier Ministre,

À

Mesdames, Messieurs les Députés,

À

Mesdames, Messieurs les sénateurs,

J’étais assis à la grande table de la salle à manger et je revois encore le visage heureux de mon père, le regard animé et excité qu’il posait sur ma sœur et moi pendant qu’il parlait à ma mère au téléphone, dont nous pouvions entendre les accents de liesse à travers le vieux combiné. Elle était partie quelques jours auparavant pour Paris.

Nous étions au soir du 6 mai 1981 et je n’étais ni à la Bastille, ni à Paris, ni même en province. J’étais à Alger où je vivais avec ma famille.  

J’avais 8 ans et je découvrais, émerveillé, l’existence de « LA » gauche.

Je me suis couché avec deux certitudes ce soir là : d’abord que  la double culture dont j’héritais à travers l’union de mon père et de ma mère était une force que j’allais devoir apprendre à dompter et que cela allait être possible grâce à « LA » gauche.

Aujourd’hui, 35 ans plus tard, les primevères poussent en décembre, le monde s’assourdit aux bombes humaines et  « LA » gauche, elle, se prépare à une sortie de route qui la précipitera tout droit sur un platane qui ne bougera pas d’un pouce quand elle viendra se fracasser dessus.

« La déchéance de nationalité pour les binationaux » .

Depuis quelques temps, je me sens menacé. Une armée de fanatiques, repousse à chacune de leur action les limites de la violence et de l’ignominie. Et j’ai peur qu’on découvre que ce puits soit sans fond. La violence peut sans cesse transformer l’essai.

Depuis que je suis en moyen de le faire, je combats cette vision binaire du monde que veulent imposer les salafistes. Je le fais à mon niveau et à travers un art : le cinéma. J’écris et réalise des films qui questionnent non pas directement ce phénomène, mais ce qui, au niveau de l’individu et ce qui l’entoure a pu permettre son émergence, là où chez les hommes et les femmes,  dans leur quotidien, se sont nichées les raisons de son si spectaculaire et funeste succès. Dénoncer le malentendu à la source.

Mais depuis quelques jours la menace est double. Un deuxième front vient de s’ouvrir, totalement inattendu celui-la et contre-nature.

La déchéance de nationalité pour les binationaux peut-être mise en place par un gouvernement socialiste, de gauche ?  

Quand la folie s’empare des Hommes, elle les atteint tous, sans distinction de race, de culture ou de religion!

A quoi peut bien servir cette loi ? Je ne cesse de me poser la question.

Serait-il vraiment possible qu’un individu radicalisé, prêt à ouvrir le feu sur des gens qu’il ne connaît pas et déterminé à se faire exploser pour ne pas avoir à répondre de ses actes devant la justice humaine, cet individu peut-il réellement en être empêché parce qu’il sera menacé d’être déchu de sa nationalité française ?

Non. Nous savons tous que cela ne se peut pas. Vous le savez aussi bien que nous.

Alors à quoi peut bien servir cette loi ?

A redonner du sens et de la valeur à la nationalité française ?  En la conditionnant pour des milliers de citoyens ? Pour eux seuls, pas pour les autres ? Parce que eux seuls seraient susceptibles bien plus que les autres de nourrir une violence à l’égard de la République et de passer à l’action ? Après nous avoir justement mis en garde contre les amalgames, voilà une mesure tout à fait contradictoire.

Mais qu’entendons-nous par « double nationalité » et faut-il la confondre avec une « identité binationale » ? Une identité binationale, c’est le mélange des différentes composantes identitaires et culturelles d’une sphère au sein de laquelle un individu va se développer et se construire. En France, c’est le cas pour beaucoup d’entre nous.

Une double nationalité, c’est la reconnaissance, sinon la revendication, par deux administrations nationales distinctes de l’appartenance d’un individu à leur citoyenneté respective.

La chance d’avoir une double culture n’est en rien une menace pour la République. J’en veux pour preuve que notre Premier Ministre est lui-même né à l’étranger et garde malgré tout une double culture qui n’a jamais été menaçante pour la République.

Alors à quoi peut bien servir cette loi ?

À rien, sinon à placer en sursis des milliers de personnes qui ne sont pas impliquées dans ce qui nous agresse, dans ce qui nous menace.

Cette loi les placerait, eux, en situation de défaut. Encore une fois, créer des groupes qui s’opposeraient les uns aux autres. Ceux qui seraient français pour toujours et ceux qui pourraient potentiellement ne plus l’être.

Désunir encore un petit peu plus cette nation, quand son seul salut se trouve dans la détermination à emprunter la voie inverse : l’unité dans sa diversité. Maintenir l’unité pour isoler le mal. Le piège tendu par l’ennemi est la désunion, il compte s’en nourrir parce qu’elle est la seule à pouvoir lui garantir ses victoires. Ne faudrait-il pas plutôt réaffirmer haut et fort la revendication de la République à chérir ses enfants d’origine, de culture ou de pratique musulmane et à leur donner les moyens d’isoler les courants extrémistes qui gangrènent ce courant religieux. Il n’y a que l’Islam qui puisse venir à bout de l’islamisme. Personne d’autre n’aura les efficaces et légitimes arguments pour retirer aux extrémistes le monopole de la religiosité qu’ils haranguent à tout bout de champs. Combien la communauté musulmane s’en relèverait grandi si elle réussissait à circonscrire, isoler et éradiquer le mal qui la ronge de l’intérieur. Et en y parvenant elle obtiendrait le respect d’elle même et de tous. Mais elle ne peut le faire, du moins en France, qu’avec le soutien et la confiance inconditionnel de la République. Et cette confiance « LA » gauche devrait la leur garantir.

Et ce ne sont pas là de belles phrases ; je ne m’essaye pas en ces heures difficiles à faire de la littérature, je m’efforce de préciser le plus possible ce que suppose la défense d’une grande idée comme la République. N’est-ce pas dans les pires moments qu’il faut lui rester fidèle.

C’est un peu comme l’humour si vous voulez, c’est face à l’adversité qu’il faut le déployer, c’est là qu’il prend toute sa valeur et qu’il fait le plus de bien.

La République et la Démocratie c’est aux heures sombres où la menace est grande qu’il faut avoir confiance en Elles.

Ne pas commettre l’erreur de les trahir en croyant les protéger. 

Confrontés à un ennemi d’une rare lâcheté qui se sert des facilités que notre organisation de vie permet, il importe de trouver les moyens de les défendre à tout prix, mais sans jamais remettre en question les valeurs fondamentales sur laquelle Elles reposent et sans lesquelles Elles s’écroulent.

Ce n’est pas un équilibre facile à trouver, je vous l’accorde, et vous risquez malheureusement de vous mettre hors jeu.

La déchéance de nationalité pour les binationaux.

 « -… Oui, c’est vrai que tu es concerné, toi. »

C’est un ami qui m’a dit ça, l’autre soir. Cette phrase, qui peut sembler anodine a raisonné sèchement en moi. Et puis subitement je me suis souvenu d’un élément important concernant cet ami (je l’appellerai Sylvain pour sa propre sécurité, parce qu’en ces temps incertains, je m’en voudrais de le dénoncer) :

« - mais Sylvain, ta mère est Suisse ? »

« - Oui. » me répond-il.

« - Donc tu as un passeport suisse ? »

« - Oui mais il doit être périmé, je ne m’en sers jamais… »

Peut-être ne s’en sert-il jamais, seulement il n’en est pas moins franco-suisse, mais visiblement, je suis aujourd’hui plus « concerné » que lui, qui n’avait même pas fait le lien.

Mon ami Sylvain est loin d’être un imbécile. Mais il perçoit la loi dans le contexte actuel, donc tout naturellement et presque légitimement il ajoute :

« - Oui, enfin tu avoueras que des djihadistes franco-suisse, ça ne court pas les rues et moi je ne serai jamais djihadiste… » Là, il a laissé un temps, roulé les yeux dans ses orbites puis, rouge pivoine, il s’est tout de suite repris :

« - Non, mais toi non plus Lyes tu ne seras jamais djihadiste, ce n’est pas ce que je voulais dire… »

Je sais bien Sylvain que tu n’as jamais voulu dire ça. Tu n’es pas mon ami pour rien.

Mais le voilà déjà qui clos la conversation par la conclusion un peu rapide que ni lui, ni moi ne deviendrons jamais djihadistes, donc que nous ne sommes pas concernés par cette loi qui reste symbolique.

Quand la folie s’empare des Hommes, elle les aveugle tous, sans distinction de race, de culture ou de religion!

Mais mon cher Sylvain la terminologie employé par la loi n’utilise pas le mot « djihadiste ». Elle n’est pas aussi précise. Elle emploie le mot « terroriste ». Et qui nous dis mon cher Sylvain et vous aussi Monsieur le Président de la République et vous aussi Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les députés, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, qui nous dit que nous ne seront jamais considérés comme « terroristes » ? Être « terroriste » ne sous entend pas forcément que nous le soyons dans les actes, il suffit que l’autorité en charge nous déclare « terroriste » pour le devenir aux yeux de la loi. Et il suffit parfois de si peu : deux tubes qui constituent une perche, un crochet posé sur un caténaire et voilà Julien Coupat accusé de terrorisme dans l’affaire de Tarnac en 2008.

Puis d’un coup je repense à la France libre qui avait été lâchement abandonné au 3ème Reïch… Dans ce contexte, Jean Moulin n’était-il pas considéré lui aussi comme un dangereux « terroriste » ? Et n’y avait-il pas déjà à ce moment là une loi qui avait destitué de la nationalité française le Général De Gaulle parce qu’il avait quitté le territoire national ?

Qui pourra empêcher demain qu’un gouvernement d’excellence, après avoir aliéné la justice à sa cause ne décrète comme terroriste quelqu’un qui s’opposera fermement à Lui et à ses dérives ? Que sans même qu’il ne menace la vie d’autrui, son action dans l’opposition ne le confonde, à travers une campagne de diabolisation, à un terroriste ?  Qui pourra empêcher que cet individu se voit retirer sa nationalité parce qu’il sera alors franco-algérien, franco-mexicain, franco-japonais, ou franco-jenesaisquoi, lors même qu’il se bat pour ce pays.

Parce que je pense sans aucune ironie qu’un individu doué de la double nationalité pourrait se révéler un fervent patriote et un défenseur éclairé de la patrie.

« La déchéance de nationalité pour les binationaux »

Ce qu’elle a d’évidemment pernicieuse c’est qu’elle va sans doute prendre la relève  du code de l’indigénat. Ce « monstre » législatif, qui a distillé dans les esprits pendant près d’un siècle d’empire colonial, que l’indigène français était inférieur au citoyen français. Pour un même crime deux français ne sont pas jugés de la même façon. C’est un code qui même si il n’est plus en vigueur est toujours dans les esprits. On est d’un côté ou de l’autre du code l’indigénat. Le code de l’indigénat est l’un des commanditaires des attentats du 13 novembre. Les assassins qui ont ouvert le feu sur des inconnus cette nuit là sont, entre autre, héritiers d’une humiliation nourrie depuis des générations par ce qu’a induit dans la pensée des uns et des autres le contenu profond du code l’indigénat.

C’est une rupture avec cette pensée qu’il est nécessaire d’acter, pas lui trouver une continuité.

Pour finir, je voudrais vous assurer Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs les Sénateurs que je suis français depuis mon premier souffle et que je le resterai jusqu’à mon dernier.

Je suis franco-algérien ou algéro-français, prenez le dans le sens qui vous convient le mieux, et même si par les temps qui courent ce n’est pas très glamour, je suis fier, très fier de cette dualité en moi. Elle me permet de voir le monde avec un regard qui visiblement vous fait largement défaut.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.