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Billet de blog 6 janvier 2023

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J'habite l'intérieur d'un écrivain

Un appartement… C’est là où on pose ses meubles, sa victuaille, et le bazar qui se sédimente dans les encoignures de nos printemps. Une intersection d’espace et de temps, voulue singulière, faite d’objets communs répondant à des nécessités conformes. Si nous le traversons souvent d’un pied souple, Thomas Clerc décide d’en faire un compte-rendu phénoménologique.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Thomas Clerc est professeur de lettres, romancier, poète, chroniqueur, essayiste… bref, un homologue, prolétaire du mot, exerçant toute discipline qui requiert la valse des phalanges sur un clavier AZERTY. Il fait sienne une écriture tournée vers soi, qui confond l’œuvre et son auteur. Dans son livre « Intérieur », je découvre son personnage principal, lui-même, et le théâtre de son ballet, son appartement. Il souffre de la pire des possessions, celle de son propre esprit. Ses chroniques domestiques ont la prétention de maculer des pages entières pour dire que la marche des Hommes compile des traversées de carrelages. 

La structure de son œuvre, évoluant en parfaite symétrie avec l’agencement spatial de son lieu de vie, laisse deviner dès le sommaire ses penchants monomaniaques. Intérieur pèse 3 ans, 412 pages et est divisé en autant de chapitres qu’il n’y a de pièces dans son appartement. S’empilent alors l’entrée, la salle de bains, les toilettes, la cuisine, le salon, le bureau et puis la chambre. Chaque espace, introduit par un plan méticuleusement dessiné, m’alerte sur la nature de ce qui suivra. Ce livre ne se lit pas, il se visite. 

Explorant un champ littéraire particulier, il réussit à réconcilier littérature et voyeurisme. Et même si je ne trouve toujours pas de réponse à ce que faisait Socrate à 14 heures, je peux néanmoins avancer avec précision qu’une goutte d’eau tombe toutes les 8 secondes dans l’évier de Thomas Clerc. Plus qu’une œuvre, « Intérieur » est une ode aux bidules que nous voyons avec une certaine économie d’observation. Que révèle la spatule du premier tiroir ? Combien de mètres carrés vous coûterait une psychanalyse ? 

D’ailleurs, en tournant les pages, on ne sait trop ce qu’on lit. Un roman ? Un essai ? tant il élève les rituels domestiques les plus banals au rang de purs sujets de réflexion. Dans « Intérieur », la relation avec l'inerte esquisse l’abondance et les pénuries d’un esprit. L’objet est la mesure de l’être et l’introspection passe par un tour de propriétaire. 

Dans une écriture fragmentaire, qui m’apporte le confort de l’aphorisme, l’auteur fait de la langue un usage quasi-clinique. L’article est substitué par le chiffre 1 comme pour tout androgyniser. Le verbe précis, la chute toujours vertigineuse, opérant des va-et-vient constants entre la l’objets et son essence, il irait  jusqu’à employer Heidegger pour justifier la texture d’une éponge de lavabo. Sous les replis de ses propos, l’ordinaire s’invente une virtuosité. Combien de nuits consacrées à la lecture et à la dactylographie de tous ses passages ? Beaucoup… moi, la ménagère obsessionnelle, compulsive, sédentaire, ascétique et autocentrée, trouvais enfin la bible réhabilitant la somme de mes démences. En déclarant les siennes, jamais un auteur n’aura autant sublimé mes névroses dans une esthétique qui rattache l’intime à son ossature et éclate les effets de leur pesanteur réciproque.

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