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Tribune 23 novembre 2023

Amazon démontre l'impasse de l'action climatique volontaire des entreprises

En juillet dernier, alors que le monde vivait le mois le plus chaud jamais enregistré, Amazon publiait son rapport de développement durable. Sous les applaudissements, l'entreprise a célébré la première diminution de ses émissions totales depuis le début de leur reporting en 2018. Or Amazon mène notre planète droit dans le mur. En tant qu’élues, nous nous soutenons les activistes de la campagne « Make Amazon pay ». Par Lynn Boylan, Sénatrice, Irlande & Alma Dufour, Députée, France.

En juillet dernier, alors que le monde vivait le mois le plus chaud jamais enregistré, Amazon publiait son rapport de développement durable. Sous les applaudissements, l'entreprise a célébré la première diminution de ses émissions totales depuis le début de leur reporting en 2018. Une diminution d’à peine 0,4 % depuis 2018, soit 71,3 millions de tonnes. À ce rythme, il faudrait atteindrait son objectif de zéro émission nette d'ici 2040 en l’an… 2378.

Amazon mène notre planète droit dans le mur. C'est ce qui a été confirmé lors du tout premier Sommet Make Amazon Pay, un rassemblement mondial de travailleurs, syndicalistes, activistes climatiques, personnalités de la société civile et parlementaires, comme nous, qui s’est tenu à Manchester fin octobre. Il est crucial de comprendre les multiples façons dont Amazon alimente le dérèglement climatique - et comment une coalition,  allant des défenseurs des droits des travailleurs  à ceux du climat, pouvant s’appuyer sur des alliés dans les parlements nationaux tels que nous, peut y mettre un terme.

Le fondateur d'Amazon, Jeff Bezos, a annoncé l’objectif d’atteindre la neutralité carbone, en 2019 sous la pression d'une grève de milliers d'employés de son siège à Seattle. Il l’a fait avec  le 'Climate Pledge' (‘Engagement pour le climat’) déclarant : "Nous voulons utiliser notre échelle et notre envergure pour montrer la voie". Il avait raison sur la taille de l'entreprise et l'empreinte carbone colossale qui en résulte, pas sur le leadership. Amazon, bien conscient du danger que représente l'échec de son plan de décarbonation, est de loin le plus grand émetteur des "Big Five". Ses émissions totales ont augmenté de près de 40 % depuis l'annonce du ‘Climate Pledge’.

Bien que cela constitue déjà une augmentation lourde de conséquence, en réalité, elle est probablement encore plus élevée qu’il n’y paraît : contrairement à des concurrents tels que Target, Amazon a recours à une forme originale de comptabilité pour sous-évaluer massivement son empreinte carbone. Dans sa méthodologie de comptabilité carbone, Amazon reconnaît qu'elle n'inclut que les émissions associées à "la fabrication de produits de marque Amazon, tels que les dispositifs Echo, les liseuses Kindle, Amazon Basics, les marques Whole Foods Market, et d'autres produits de marque Amazon". Cela ne représente que la pointe de l'iceberg carbone d'Amazon : à peine 1 % des ventes totales.

L'autre grande annonce dans le rapport sur le développement durable d'Amazon était l’intention de s'attaquer aux émissions de la chaîne d'approvisionnement. Elles représentent plus de trois quarts de ses émissions totales. Mais Amazon ne prend pas en compte la vente de 99 % des produits vendus et distribués directement par Amazon ou par des vendeurs tiers, la grande majorité des émissions dont l'entreprise est responsable resteront donc non déclarées. Plutôt que de mener la bataille pour la décarbonation, Amazon crée une dynamique qui menace de faire baisser les reportings et les standards environnementaux de ses concurrents.

Ce qui  amène au prétendu leadership d'Amazon. Selon son site web, plus de 424 entreprises et organisations de 38 pays ont rejoint le ‘Climate Pledge’ depuis 2019. Comme Amazon elle-même ne parvient pas à respecter ses objectifs, le ‘Pledge’ risque de ne devenir rien d’autre que du greenwashing - et montre la voie à d'autres entreprises pour ne pas respecter la neutralité carbone. Certaines grandes entreprises ayant adhéré au ‘Pledge’, telles que PepsiCo, Coca-Cola, Unilever et Iberdrola, ont depuis versé dans le greenwashing, voire fait marche arrière sur leurs promesses de zéro émission nette.

Pour les membres du collectif Amazon Employees for Climate Justice, le collectif de travailleurs d'Amazon qui a organisé la grève en 2019, la goutte d’eau fut l’annulation d'un programme appelé "Shipment Zero" (Livraison Zéro). Lancé  en 2019, il visait à rendre la moitié de toutes les livraisons neutres en carbone d'ici la fin de la décennie. Les travailleurs ont donc repris le mouvement de grève au début de l'été, après une pause due à la pandémie.

Mais ce n'est pas seulement sa taille et son envergure qui exigent une remise en question du bilan environnemental d'Amazon.

Outre les déchets plastiques et d'emballage, Amazon détruit des millions de produits neufs et invendus chaque semaine. Au Royaume-Uni, un employé d'Amazon a divulgué un tableau montrant que plus de 124 000 articles neufs, notamment des ordinateurs portables, des téléviseurs connectés, des sèche-cheveux, des écouteurs, des drones et des livres, ont été détruits, et ce dans un seul entrepôt. Certaines estimations suggèrent qu'Amazon pourrait être responsable de la destruction d'environ un milliard d'articles par an. C'est pourquoi nos pays, la France et l'Irlande, ont légiféré pour l'interdiction de la destruction des invendus par Amazon et d'autres entreprises.

Ensuite, il y a les data centers d'Amazon. Le bras armé technologique d'Amazon, Amazon Web Services (AWS), possède un tiers du marché mondial du cloud computing, en faisant le plus grand fournisseur de services cloud au monde. Une grande partie de l'économie numérique fonctionne avec l'infrastructure d'Amazon, allant des câbles sous-marins aux centres de données. Amazon se vante d’être le "plus grand acheteur d'énergie renouvelable" pour ses data centers. Ces achats sont d’ailleurs à l'origine de la majorité des réductions d'émissions de gaz à effet de serre de l'année dernière. Cependant, le manque de transparence laisse craindre en réalité un non-respect de ses engagements en termes de développement des énergies renouvelables. La soif de croissante incessante d'Amazon peut faire exploser le budget carbone d'un pays entier. Les plans de l'entreprise pour la construction de trois nouveaux data centers en Irlande cette année rendraient pratiquement impossible pour le pays d'atteindre ses objectifs climatiques.

De plus, alors même qu’EirGride, l’opérateur d'électricité public irlandais, alerte sur la forte instabilité du réseau électrique national et sur le risque de coupure de courant, les data centers d'Amazon auraient besoin de plus d'électricité qu'un million de foyers irlandais. Les plans de construction de nouveaux data centers d’Amazon ont été interrompus in extremis en raison du risque qu'ils faisaient peser sur le réseau. 

En parallèle, AWS est très impliqué dans différentes phases de l’industrie pétrolière, pipelines, transport maritime et stockage selon un rapport de Greenpeace en date de 2020. En 2021, Amazon a signé un partenariat stratégique avec TotalEnergies pour les aider à "accélérer leur transformation numérique", autrement dit, garantir la rentabilité des énergies fossiles en aidant à rendre l'extraction plus efficace. TotalEnergies a utilisé ses bénéfices records en 2022 pour lancer plus de projets d’expansions pétrolières et gazières qu’aucune autre major pétrolière internationale.

En grande partie responsable de l’effondrement du commerce physique du XXe siècle, pour construire une "entreprise tout en un" monopolistique, Amazon façonne de plus en plus la manière dont nos économies et nos sociétés sont gérées. Face au dérèglement climatique, à l'inaction et même à l'obstruction des multinationales, il n'a jamais été aussi urgent de construire un contre-pouvoir face à ce qui est devenu l'une des entreprises les plus puissantes au monde.

Heureusement, une coalition de travailleurs, d'activistes et de communautés impactées riposte - des chauffeurs de livraison d'Amazon aux États-Unis font grève pour demander à Amazon de prendre des mesures contre les températures extrêmes au travail, des travailleurs de la tech se mettent en grève au siège de Seattle, des activistes climat bloquent les centres de distribution d'Amazon au Royaume-Uni et en Allemagne, des communautés en Autriche, en France et en Afrique du Sud luttent contre la construction de nouveaux entrepôts ou datacenters. Cette coalition, à la fois écologique et sociale, sera mobilisée ce vendredi 24 novembre, jour du Black Friday, dans plus de 30 pays à travers le monde pour exiger qu'Amazon respecte enfin ses travailleurs, l’écosystème économique et les limites planétaires.

En tant qu’élues, nous nous soutenons ces travailleurs et ces activistes et nous porterons leurs revendications dans les Parlements. Des réglementations sur la croissance et l'impact climatique des data centers, aux lois visant à empêcher Amazon de détruire les invendus, nous sommes présentes et déterminées pour lui faire respecter le droit environnemental et fiscal, seule condition pour un avenir viable pour tous.