Douze ans après ce crime dont l’émotion était telle une chape de tristesse, de douleur et de révolte qui s’était abattue sur le pays pendant plusieurs jours et dont les séquelles font qu’aujourd’hui la tombe de Lounès est le lieu le plus visité de toute l’Algérie, son assassinat se résume à deux thèses qui s’affrontent en dehors du prétoire.
La première thèse, officielle celle-là, vient du Pouvoir et ses relais locaux, en Kabylie, qui dit que l’auteur de cet assassinat est le « GIA » Groupe Armé Islamique. Une annonce, rappelons-le, faite trop vite, trop vite même, dès les premières heures qui suivirent la mort du Rebelle. Puis, la deuxième thèse, celle-ci, est partagée par une très large partie de la population, et qui s’en ait prit au régime, criant « Pouvoir assassin » lors même des obsèques du chanteur. Une thèse que la famille du défunt partage. Et qui refuse obstinément de croire à une mort programmée, exécutée par le « GIA ».
Durant toutes ces années d'attente, les appels de la famille de la victime comme ceux des détenus aux autorités les intimant de juger ce crime n'ont pas été entendus. Il n’y a eu ni procès ni véritable enquête sur l’assassinat. Pourtant, le chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika, lors de son escapade électorale à Tizi-Ouzou pour le référendum de « la concorde civile » en 1999, avait promis publiquement qu’il allait « faire la lumière » sur cet assassinat. En vain. « C'est un dossier sensible, il faut une décision politique » est la réponse obtenue par Nadia Matoub, la veuve du chanteur, qui, le 3 février 2008, s'est rendue au parquet du Tribunal de Tizi-Ouzou chargé de l'affaire.
Il faut donc « une décision politique » car « Dossier sensible ». A résumer très correctement, objectivement ces propos qui ont été tenu à Nadia Matoub par le Tribunal de Tizi-Ouzou et que la presse à rapporté le même jour, on comprend parfaitement qu’un procès qui relève de la justice mais auquel il faut une décision politique pour qu’il ait lieu, ce procès alors, trouve ses origines dans le politique, puise ses raisons dans la politique, bel et bien une affaire politique. Par conséquent, qui n’a rien avoir avec une embuscade de quelques égarés du « GIA » dont il ne reste que deux éléments d’ailleurs. Les autres éléments du groupe, nous dit-on, soit, ils sont morts dans différents ratissages menés par les forces de sécurités, soit ils sont encore en fuite.
L’un de ces deux détenus présumés assassins du chanteur, Malik Medjnoun, avait été enlevé par les agents de sécurités près de son domicile à Tizi-Ouzou le 28 septembre 1999, et détenu au secret durant plus de huit mois au Centre Antar d'Alger, dirigé par le DRS, fameuse sécurité militaire.
L’autre, Abdelkakim Chenoui, un maquisard, entre temps, repenti dans le cadre de la « concorde civile », avait quant à lui été arrêté à Tizi-Ouzou, le lendemain de sa reddition, soit le 19 septembre 1999, et détenu au secret durant plus de huit mois au Centre Antar d'Alger, dirigé par le DRS.
Tous les deux ont été brutalement torturés et incarcérés à la prison de Tizi-Ouzou. Ils se rencontreront pour la première fois de leur vie lors d'une audition chez le procureur de Tizi-Ouzou en mars 2000. Medjnoun apprendra qu'il est inculpé pour le meurtre de Matoub lorsqu'il sera présenté en mai 2000 devant le procureur. Durant tous les mois d'interrogatoire et de torture, aucun agent du DRS ne l'avait impliqué dans cet assassinat.
L'instruction de l'affaire a été clôturée par un arrêt de renvoi devant le tribunal criminel de Tizi-Ouzou le 10 décembre 2000. Un procès avait été fixé pour le 5 mai 2001. En dernière minute, il a été renvoyé, et n'a plus été programmé ensuite, jusqu'à l'audience du 9 juillet 2008, où un nouveau renvoi sans date a été décidé par le juge.
En 2004, au passage, devant les questionnements de l'ONU qui se préoccupait de ces détentions arbitraires, les autorités algériennes répondirent « que les incidents qu'a vécus la région ne permettent pas à la justice de juger cette affaire dans les conditions de sérénité requises dans une telle procédure ». Ce qui montre parfaitement bien que la Justice algérienne, contrairement aux allégations d'officiels algériens devant les tribunes internationales, n'est pas indépendante, pour ne pas dire plus.
Lors d’un point de presse animé par, Malika Matoub, la sœur du chanteur à Tizi Ouzou, le 9 juillet 2008, à la veille de la tenue du procès de l’assassinat de son frère, Malika a déclaré avoir remis à la justice une liste d’une cinquantaine de personnes qui doivent apporter leurs témoignages sur les circonstances de l’assassinant du rebelle.
Les personnes y figurant dans cette liste, on trouve, entre autres, des leaders de partis politiques, des médecins et même des journalistes, en déclarant : « Je ne cherche ni à régler des comptes ni à accuser qui que ce soit. Ce que je cherche, c’est l’éclatement de la vérité. » A noter que le procès prévu ce jour là, au tribunal criminel près la cour de Tizi Ouzou, deux accusés y étaient présents devant la justice. Et il s’agit justement de ces deux fameux Malik Madjnoun et Abdelhakim Chenoui.
Face à cette mascarade de procès Malika Matoub a laissé éclater sa colère devant les micros : « Nous assistons depuis 1998 à une procédure pénale totalement bafouée, de l’enquête préliminaire jusqu’à la cassation : interventions occultes, arrestations de suspects de manière illégale », avant d’ajouter que « la procédure judiciaire suivant laquelle est géré le dossier a été faussée dès le départ. D’ailleurs, il n’y a pas de nouveau. Tout est du réchauffé. C’est pour cela qu’on demande la réouverture du dossier », a-t-elle insisté.
Juriste de profession, la sœur du défunt, relève également que l’investigation préliminaire n’a pas été effectuée à Talla Bounan, lieu de l’assassinat : « On se demande comment ces deux candidats à l’inculpation » ont été injectés dans le dossier. Il n’y a pas eu d’enquête préliminaire qui détermine que Chenoui et Medjnoun sont les auteurs ou bien les commanditaires de l’assassinat de Lounes. Il y a une injonction de l’extérieur. Nous ne cautionnerons jamais la condamnation d’inculpés alibi », a- t- elle- précisée.
Ainsi est le désir et volanté de la justice algérienne pour ramener toute l’ampleur et l’importance de cette affaire à une affaire de quasi délinquants, l’affaire de celui, même après sa mort, est aujourd'hui un véritable phénomène de société, au-delà même des frontières algériennes, dans de nombreuses régions marocaines ses portraits ornent les façades des places et des allées.
A Grenoble, dans la commune de Saint-Martin-d’Hères, à Lyon, ville de Vaulx-en-Velin, deux rues portent son nom depuis 2003.
A Paris même, Bertrand Delanoë, lorsqu’il s'apprêtait à baptiser une rue de la capitale au nom de Matoub Lounès : « Je veux qu’on consacre en cette année 2008, un moment très fort à un Berbère amoureux de Paris que j’ai bien connu, beaucoup apprécié et admiré. C’est Matoub Lounès. Pour son talent, sa fermeté mais aussi sa générosité, sa capacité à partager avec les autres, sa sensibilité, et pour sa gentillesse, consacrons un moment d’hommage de Paris autour du talent, du message, et aussi de notre fidélité à cet homme mort en aimant passionnément la liberté » affirmait le maire de Paris, le 28 mai 2008, devant le conseil de Paris composé de l’ensemble des élus de la ville.
Les propos justes de Bertrand Delanoë sont dans une parfaite résonance avec ces mots prononcé par Lounès Matoub, le 9 octobre 1994 à l’amphithéâtre de la Sorbonne en recevant le prix de la Mémoire des mains de Danielle Mitterrand : « Le Berbère que je suis est frère du juif qui a vécu la Shoah , de l’Arménien qui a vécu le terrible génocide de 1915, de Khalida Messaoudi, de Taslima Nasreen et de toutes les femmes qui se battent de par le monde, frère du Kurde qui lutte sous le tir croisé de multiples dictatures, et de mon frère africain déraciné... »
C’est donc pour toutes ces choses là, ces valeurs, et ces combats, que symbolise vraiment la vie de Lounès Matoub, auxquelles, l’Algérie, qui fête aujourd’hui son indépendance, tourne le dos depuis 48 ans.
Ces toutes ces valeurs qu’elle étouffe depuis 12 ans à travers l’occultation de la vérité sur le procès de Lounès, pour pas donner lumière, pas faire lumière, lumière ne jaillisse.
Et enfin, c’est pour toutes ces choses et raisons que, après 48 ans d’indépendance « nationale » et douze années après le crime Matoub Lounès, l’annonce que vient de faire la justice algérienne pour la tenue du procès Matoub, à Tizi-Ouzou, le 10 juillet prochain, ne trouvera aucun, et personne pour croire à l’authenticité, ni à la crédibilité et encore moins à la sincérité et à la justice de ce procès.
La fédération du FFS (Front des Forces Socialistes), section algérienne de l’internationale socialiste, de Tizi-Ouzou, a tenu à dénoncer, dans une déclaration publique, à propos de ce procès annoncé : « des simulacres de procès destinés à détourner l’attention de sa famille et de la population, le crime est resté à ce jour impuni comme le sont d’ailleurs plusieurs autres qui ne sont pas encore élucidés » et « le laxisme et les tergiversations judiciaires ainsi que les multiples pressions exercées autant sur la famille du défunt que sur les médias». En exigeant la vérité et la justice sur l’assassinat de Lounès Matoub, le FFS considère que « l’affaire est loin d’être close tant que les commanditaires et les auteurs du lâche assassinat n’ont pas été confondus, arrêtés et punis».
Mais le pire que craignent déjà les populations, le génie populaire, si procès il y a, suite à ses renvoies à maintes reprises, c’est une condamnation des deux suspects à une peine couvrant leur période d'emprisonnement afin d'éviter toute protestation populaire tout en justifiant leurs années d'incarcération sans jugement.