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Billet de blog 17 août 2009

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Le pantalon de la résistance!

Loubna Ahmed al-Hussein est journaliste soudanaise âgée d'une trentaine d'années. Sa chronique régulière dans le quotidien de gauche As Sahafa, qui s’intitule «Paroles d’hommes» (kalam ridjal) n’est tendre ni avec les idées rétrogrades ni avec le pouvoir politique.

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Loubna Ahmed al-Hussein est journaliste soudanaise âgée d'une trentaine d'années. Sa chronique régulière dans le quotidien de gauche As Sahafa, qui s’intitule «Paroles d’hommes» (kalam ridjal) n’est tendre ni avec les idées rétrogrades ni avec le pouvoir politique. Elle travaille également à la section communication des Nations unies au Soudan.

Une de ses dernières attaques, un pamphlet qui dénonce la propagande du régime soudanais, relayée par les médias publics, et qui tendait à faire croire à un grand projet de production d’éthanol à partir de canne à sucre!

Bref !

Au soir du 3 juillet dernier, elle avait été arrêtée avec 12 autres femmes alors qu’elle était dans un restaurant de Khartoum, capitale du Soudan.

Les faits énoncés, l'on croirait à une insolite. Le motif de l'arrestation de ces femmes, leur crime n'est autre que le port en public du pantalon, une tenue jugée indécente. Par conséquent le châtiment qu’elles méritent, selon la loi soudanaise, c’est d’abord de les bastonner de 40 coups de fouets et ensuite d’une amende de 250 livres soudanaises soit environ 55 000Fcfa.

Dix d'entre ces femmes avaient été convoquées 2 jours après l'incident dans les locaux de la police, elles avaient reçu 10 jours plus tard des coups de fouets. Quant à Loubna et deux des autres femmes avaient requis les services d'un avocat.

Ce procès du pantalon, procès de la honte comme on l'appelle là-bas, devait se tenir initialement le mercredi 29 Juillet 2009, et finalement, il est reporté au 4 août.

La journaliste soudanaise s’est présentée devant le tribunal bondé de monde, dans la même tenue comme lors de son interpellation par la police; «Avant, je portais différents styles de vêtements. Des vêtements traditionnels soudanais, des robes et des pantalons mais depuis que la police m'a arrêtée je ne porte plus que des pantalons avait-elle déclaré.

Le report du procès s’explique par l’éventuelle immunité dont bénéficie en effet l’accusée en sa qualité d’employée des Nations Unies.

Devant ses juges, Loubna, en pantalon «immoral» elle a demandé que la procédure se poursuive normalement, alors que des journalistes, des représentants de la société civile et des responsables politiques étaient présents dans la salle d’audience pour la soutenir, dans le même temps, d’autres journalistes se faisaient matraquer par la police devant le palais de justice.

Pour sa part, Loubna, a indiqué clairement qu’elle entendait démissionner pour laisser l’affaire être jugée au fond.

Son avocat Nabil Adil Abdalla a abondé dans le même sens: «Elle veut avant tout démontrer sa totale innocence et invoquer son immunité ne le permettrait pas. Et puis, elle veut combattre la loi, qui est trop lâche et doit être réformée».

Pour échapper au châtiment, la journaliste, qui porte la «tarha», ce grand foulard traditionnel soudanais recouvrant la tête et les épaules, aurait pu, en effet, faire jouer l'immunité dont elle bénéficie en tant qu'employée des Nations unies en vertu d’accords signés entre ces organisations et le gouvernement soudanais.. Mais cette nouvelle icône du droit des femmes a au contraire préféré présenter sa démission, pour que son procès suive son cours, tout en affirmant que «je n’ai absolument pas peur du verdict».

Une façon de leur dire, mais nous sommes en train de parler chiffons.

Avoir insisté de faire appliquer la loi, Loubna, a effectivement mis ses Juges devant leurs responsabilités. D’autant que si les autorités avaient parié sur la propension de la journaliste à se cacher derrière son immunité, ils ont étaient à leur frais.

Pour sa collègue journaliste, Amel Habbani, l’arrestation de Loubna, est «une tactique politique pour intimider et terroriser les opposants». Particulièrement les femmes car on les voit de plus en plus nombreuses militer dans les partis politiques, jouer les premiers rôles dans la société civile et exprimer de manières audacieuses leurs opinions.

Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, qui a réagi à cet événement, il a indiqué que «l’usage du fouet est contraire aux normes internationales».

«Je suis prête à recevoir 40 000 coups de fouets», affirme-t-elle à l’AFP, la voix pleine de défi. «Mon principal objectif, c’est de supprimer l’article 152» dit-elle. «Cet article est contraire à la Constitution», la loi islamique en vigueur dans le nord du Soudan depuis 1983.

L’affaire a pris de l’ampleur, elle a déclenché depuis quelques jours une vague de protestation contre une justice totalement restrictive des libertés des femmes au Soudan. Une véritable chaîne de solidarité et de sympathie pour soutenir l’accusée est née spontanément. Les voix se sont élevées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Soudan pour dénoncer et condamner cette atteinte à la liberté et l’intégrité physique de la personne.
La presse locale et internationale s’en est fait largement écho et continue d’informer le public sur la suite de cette affaire. Les journaux soudanais et étrangers ont consacré plusieurs articles pour alerter le public et faire en sorte que le pouvoir soudanais n’enfreigne pas aux droits humains des plus élémentaires.
Reporters sans frontières, section africaine suit attentivement l’évolution de cette affaire Loubna, à qui, ils apportent tout leur soutien.

Signalons par ailleurs, l’engagement très actif de nombreux sites et blogs, notamment les blogs africains qui ont largement couvert cette affaire très médiatisée.

En quittant le tribunal, Loubna a salué la foule dans un geste de défi et sous les applaudissement de nombreuses manifestantes qui ont suivi son exemple et portaient un pantalon devant le tribunal.

Le procès pour «tenue indécente» a été reporté de nouveau au 07 Septembre 2009.

«Je veux que les gens sachent. Je veux que la voix de ces femmes soit entendue», proclame-t-elle. «Si je suis condamnée à être flagellée, ou à quoi que ce soit d'autre, je ferai appel. J'irai jusqu'au bout, jusque devant la Cour constitutionnelle s'il le faut», dit-elle.

«Des dizaines de milliers de femmes et de jeunes filles ont été flagellées à cause de leurs vêtements ces vingt dernières années. Ce n'est pas rare au Soudan», selon elle. «Simplement, aucune d'entre elles n'ose se plaindre, car qui croirait qu'elles ont été flagellées juste pour avoir mis un pantalon? Elles ont peur du scandale, des doutes sur leurs mœurs», affirme la journaliste. «Loubna a précisé que 43 000 femmes ont été arrêtées en 2008 au Soudan par la police de l’ordre public, selon le chiffre officiel, confirmé par le directeur de la police générale».

«Nous sommes ici pour soutenir Loubna, parce que traiter les femmes de cette manière est arbitraire et incorrect», a déclaré Zouhal Mohammed el-Amine, professeur de droit à Khartoum à la sortie du tribunal devant une assistance assez nourrie.

Si la journaliste se dit submergée par les témoignages de soutien, elle n'en a pas moins fait l'objet de menaces. Alors qu'elle s'apprêtait à monter dans sa voiture un matin, un homme à moto lui a lancé, sans ôter son casque, qu'elle finirait comme Marwa el-Cherbini, une jeune Egyptienne récemment assassinée dans un tribunal en Allemagne.

Actuellement en liberté conditionnelle, Loubna s’est vue interdire de sortir du territoire soudanais, alors qu’elle essayait de prendre un vol pour Beyrouth au Liban dans le cadre de ses activités professionnelles.

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