Le chef de l'État algérien, Abdelaziz Bouteflika, a décliné vendredi soir, dans un discours au pays ses réformes «profondes», à commencer par la révision de la Constitution, la loi électorale, des partis et associations et une nouvelle loi sur l'information.
De son bureau en différé durant 18 minutes visiblement très affaibli, Bouteflika a choisi d'abord de discourir dans l'autosatisfaction de son bilan à la tête de l'État depuis 12 ans, sans s'arrêter une seule fois, pas un mot sur les émeutes du début de l'année ou sur la crise sociale sans précédent qui secoue le pays depuis janvier dernier; et, dont un décompte réalisé par TSA montre bien l'ampleur pourtant: « le pays a enregistré au moins 330 actions et mouvements de protestation en trois mois, entre le 15 janvier et le 15 avril ». Sachant que ce mouvement du monde du travail continue à travers le territoire national et touche tous les secteurs d'activités. Pour l'anecdote et le mécontentement généralisé, y compris à El Mouradia, palais présidentiel, les agents du service des transports se sont mis en grève pour revendiquer leurs droits et demandent le départ de leur responsable jugé « Hautin » et « Haggar-( méprisant) ».
Ce « Discours du 15 avril » ne répond pas aux attentes du peuple ni sur plan social ni politique. Bouteflika a dû laisser sur leur faim ceux qui attendaient de lui un élan pour le changement.
« L'enjeu national majeur, a-t- dit, était, au début de la décennie écoulée, d'éteindre le feu de la fitna, d’œuvrer au rétablissement de la paix et de la concorde et de consacrer la réconciliation nationale. Grâce à Dieu et à votre engagement à mes côtés, ces objectifs ont été atteints conformément à nos valeurs séculaires de clémence et de pardon. Les craintes se sont dissipées et les esprits apaisés. Avec le retour de la paix, il devenait impératif de dépasser les séquelles de la destruction et de rattraper les retards accumulés. A cet effet, nous avions engagé successivement deux gigantesques programmes d'investissements publics à tous les niveaux. Le troisième programme est en cours de réalisation. Ces programmes ont incontestablement porté leurs fruits et les années 2000 furent riches en réalisations à tous les niveaux et sur tout le territoire national, notamment en matière d'infrastructures de base et d'équipements socio-économiques. Dans le même temps, le déficit en logements a été considérablement pallié par la réalisation, tous les cinq ans, d'un million de logements et le chômage a été également résorbé dans une large proportion ».
Bouteflika tout comme chacun sait est dans sa bulle et ce triomphalisme de son action à la tête du pays est une non réalité, plutôt une étrange vue de l'esprit. Le bilan dont se targue le chef de l'État, à qui il reconnait quelques manques périphériques pour qu'il soit honorable se fonde en effet sur la perpétuation du système politique algérien, reposant particulièrement depuis 1999, c'est-à-dire depuis son avènement au pouvoir, sur concessions sur concessions faites aux terroristes et voyous de tout acabit avec à la clef un budget colossale et deux référendums; en contre partie, « la paix en Algérie » se fait toujours attendre, comme nous le donne à voir l'actualité de ces derniers jours. Bouteflika se vante d'un exercice de pouvoir dangereux à moyen et long terme pour le pays.
Quant au bilan économique, là encore, il n'y a pas de quoi se réjouir comme le chef de l'État l'a fait vendredi à travers les écrans. La même feuille de route année après année, quinquennat après quinquennat reconduit les mêmes chantiers et les mêmes projets qui dans la plus part des cas sont indéfiniment en voie d'aboutissement, que ce soit d'ailleurs pour la fameuse autoroute Est-Ouest, que ce soit des tramways ou encore ce métro d'Alger que les usagers de la capitale attendent depuis l'ère de Chadli Benjdid, c'est-à-dire, depuis le début des années 80, à ce jour inachevé...
De même pour la politique du logement, qui a décollé légèrement, certes, ces dernières années toutefois reste très loin des besoins malgré les recettes commerciales pharaonique (hydrocarbure) jamais atteint de toute l'histoire du pays. Autrement, rien à inscrire de reluisant dans ce bilan dont le locataire d'El Mouradia et « l'alliance présidentielle » tirent indécemment fierté. Quant à la politique de l'emploi avec le chômage qui s'élève officiellement à 10%, mais en réalité il est plus largement plus du double (statistiques fiables n'existent pas), c'est le désert complet. La baisse du chômage évoquée vendredi soir est à la dimension d'un slogan tragiquement factice.
Tout compte fait, le bilan de 12 ans de pouvoir d'Abdelaziz Bouteflika, se limite à l’aéroport d’Alger et de quelques barrages qui ont pu voir le jour « Hamedoulah ! »; avec toujours cette constante et invariable de retard accumulé pour leur livraison. Le retard et toujours du retard. Le Retard est implacable et inflexible en Algérie. Retard dans tous les domaines, à toutes les échelles d'activités; du simple responsable d'une administration pour se rendre à son bureau ou dans son prôpre travail jusqu'au poste suprême du pays dans les projets qu'il engage comme nous venons de le voir.
Ce constat d'une nette clarté fait de lourdeur, de laisser aller et d'abondant en dit long en fait de l'esprit sclérosé des racines bureaucratiques du système politique algérien. Bureaucratie qui s'est enrichie depuis, bourgeoise aujourd'hui, fonctionnant par alliances familiales, tribales et claniques.
L'inauguration d'une gare par-ci ou d'un barrage par-là est exploitée comme un événement majeur dans le pays et qui fait souvent objet d'un cérémonial digne d'un prophète lorsque Bouteflika se rende sur les lieux. Dans une démarche et usage de pouvoir purement archaïque. A titre d'exemple, au lendemain même de son discours, à Tlemcen, dans l'ouest algérien où il s'est rendu samedi, voici comment il est accueillie par ses partisans dans une ambiance pittoresque: « Bienvenue à l’homme de la paix et de la réconciliation», «Bienvenue à l’homme des réalisations», «Bienvenue à l’homme qui a bâti l’avenir», lit-on sur les affiches placardées pour l'occasion tout au long du trajet de sa visite dans la ville. A travers cela, bien sûr, il cristallise et fixe des intérêts d'une part et d'autre part il endoctrine ainsi l'exercice du pouvoir dans un sens qui n'est pas celui d'une « Algérie démocratique et sociale » inscrite dans le Congrès de la Soummam (août1956) de Abane et Larbi Ben M'hedi, que même le coup d'État de 19 juin 1965 de Boumédiène n'a pas remis en cause étant donné que celui-ci est reconnue à ce jour comme le Premier Congrès du FLN. Par conséquent, ce n'est pas la loi fondamentale du pays qui pose à priori problème et encore moins la Constitution du 23 février 1989 qui est au juste un copier/coller de la Constitution de la cinquième République en France avec quelques légères modifications et retouches (sans pour autant dire bien entendu que celle-ci est la meilleure Constitution des mondes) .
Voici ce qui nous ramène au cœur du discours de vendredi soir et directement à cette « révision approfondie de la Constitution » que Bouteflika propose aux algériens, plus par diversion, pour calmer l'état bouillonnant actuel attendant que le vent de la révolution qui souffle sur le Maghreb et le Moyen Orient n'étreigne le pays.
Le fond de la question n'est donc pas l'esprit de la Constitution. Ce n'est pas la loi fondamentale actuelle qui bafoue et transgresse le Champ des libertés politiques, syndicales, associatives, médiatiques; bref, de la démocratie. Ce n'est pas non plus la Constitution qui procède aux fraudes électorales massives à chaque élection opérant à l'aide de quotas d'élus à tel ou tel parti en fonction de la conjoncture politique. Au contraire celle-ci permet entièrement et pleinement une certaine transparence et l'exercice démocratique dans le pays.
Écoutons la réaction à chaud sur ce point précis suite au « Discours du 15 avril » rapportée par Maghreb Emergent, d'Abdelhamid Mehri, ancien secrétaire général du FLN, plusieurs fois ministre, connaissant bien les rouages et mécanismes du système algérien, aujourd'hui proche des sociaux-démocrates algériens; il dit ceci: « L’aspect le plus visible de ce discours est de limiter la réforme à une révision des textes ce qui dénote qu’une grande vérité est ignorée, à savoir que l’échec du système de pouvoir et ses défauts résident davantage dans les pratiques du régime et ses règles de fonctionnement occultes que dans les textes que ce soit la constitution ou les lois ». On ne peut plus claire !
Revenons maintenant à la mise en œuvre de cette « révision de la Constitution ». Bouteflika assure que cette révision « passera par la création d’une commission constitutionnelle à laquelle participeront les courants politiques agissants et des experts en droit constitutionnel ». Le piège ! et le cadeau risque d'être poissonneux. Pourquoi ?
Premièrement, il est à craindre que cette « Commission constitutionnelle » ne va pas être à l'image de la majorité actuelle -« l'alliance présidentielle »- avec son poids aussi dominant dans tous les organes décisifs de l'État, même quand il est dit, que « des courants politiques agissants » que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'assemblé participeront à cette commission.
Ces courants vue leur réalité et leur histoire respectives de cavalier seul, sans aucune relation politique digne de ce nom entre eux, ni cohérence minimale, ni but, ni programme politique minimum partagé, alors que va être leur influence en solitaire sur les textes sinon aucune, face au courant FLN que dirige un islamiste notoire et au MSP (Hamas) à sa tête, un autre islamiste ça-va-de- soi, puis un Ouyahia marginal vue les tensions actuelles au sommet de l'État, notamment sur la question de changement de gouvernement que demande de ses vœux Belkheddam dans le jeu de clans. A résumer, nous aurons un tête-à-tête entre Belkheddam et Soltani en terme d'influence idéologique des traveaux de la commission puis quelques figurants de l'opposition qui viendraient prendre place pour la photo que l'on archivera pour l'Histoire. Histoire qui nous dira un jour que les travaux entrepris par la Commission n'avaient pas pris le chemin des Lumières ou d'Ibn Rochd (Avaroès), ni celui de Abane et M'hidi. Ils avaient emprunté le chemin de l'obscurantisme à petits pas...
Deuxièmement, quand on sait où est le niveau de l'esprit progressiste et l'attachement à la république démocratique et sociale en Algérie depuis au moins 20 ans, cela nous permet de mesurer objectivement ce qu'elle va être la doctrine et la philosophie juridicopolitique de ces éventuels experts en droit Constitutionel qui seront associés à cette Commission.
Et enfin, en dehors de cette proposition de loi de la « révision de la Constitution » qui est plus un piège qu'une volanté objective pour « consolider la démocratie », commission qui n'assure aucune transparence, aucune participation citoyenne et associative et pis encore, aucun débats public en perspéctive; il y a ces autres réformes annoncées, que nous citons dans l'introduction de ce billet qui sont essenteillement que des révisions de textes qu'avait déjà introduit en 1990 Mouloud Hamrouche, chef de gouvernement d'alors, y compris dans leur formulations: la loi sur les partis/associations, le code de l'information, la loi électorale et le renforcement du rôle de l'élu entre autre de l'élu local.
Non ! Bouteflika n'inspire et n'aspire à rien de nouveau et « Le problème en Algérie n’est pas dans les textes, mais dans les attitudes et comportements des institutions, lesquelles agissent en dehors de la loi ». « Quelle que soit la nature des législations, elles ne conduisent pas forcément à des réformes politiques », commel'a déclaré Me Mustapha Bouchachi à TSA.