Les relations entre Alger et Paris vraisemblablement n’ont jamais été aussi mauvaises comme elles le sont aujourd’hui. Des informations de toutes sortes circulent que ce soit dans les rues algériennes comme françaises, des écrits dans la presse notamment algérienne disent et laissent toutes à penser que même les lignes téléphoniques entre les deux pays sont en dérangement presque hors service.
Nous allons pas revenir ici sur le passé colonial qui pèse encore de tout son poids entre l’Algérie et la France, un passé pas vraiment digéré, pas assumé pleinement à présent et qui fait que depuis l’indépendance de l’Algérie (1962) les relations politiques entres ces deux pays ont souvent été chaotiques et compliquées. Cependant ces relations n’ont jamais atteint une telle froideur et une telle ignorance de part et d’autre. Si sur le plan politique les relations étaient plus ou moins difficiles pour la raison citée, les relations d’affaires, en revanche, étaient excellentes depuis la première heure même de l’indépendance de l’Algérie et qui n’ont par conséquent pas connues sérieusement d’embûches. Mais, cette année voire un peu bien avant ce sont justement ces relations d’affaires et commerciales qui en subissent le coup et compliquent donc d’avantage les relations entre ces deux pays de « je t’aime moi non plus»... Évidemment les démentis et les usages diplomatiques des deux côtés tenant à ne pas trop envenimer les relations tentent de se faire sonores et audibles comme si on pouvait «cacher le soleil à laide d’un tamis».
Bref !
Les récentes mesures prises en Algérie dans le cadre de la Loi de finances complémentaire 2009 entrée en vigueur le 26 juillet ont été mal accueillies en France; et pour qui ces mesures menacent l’activité du port de Marseille et de plusieurs entreprises françaises travaillant avec l’Algérie. Des critiques sur cette LFC 2009 ont été formulées notamment par les élus de Marseille et le secrétaire d'État français chargé du Commerce, M. Hervé Novelli. Ce qui a agacé par ailleurs le gouvernement algérien qui touve que ces critiques sont encore bien des raisons supplémentaires pour narguer plus l'ancienne puissance coloniale. Quant à sa réaction public, du gouvernement algérien, elle ne s’est pas faite attendre et qui par le billet de son ministre du Commerce, M. El Hachemi Djaâboub, a appelé le 21 octobre dernier «les étrangers à respecter les lois algériennes, certains pays n’ont pas réussi à établir des relations économiques privilégiées avec l’Algérie à cause de leur attitude négative dans leur manière de traiter avec l’Algérie ou leur tentative d’ingérence dans les affaires internes en demandant l’annulation ou l’amendement d’une loi qui ne sert pas les intérêts de leurs opérateurs», a déclaré M. Djaâboub, en allusion directe à la position française qui «préfère investir dans les pays voisins, la Tunisie et le Maroc, et de vendre en Algérie, notamment dans l’automobile, l’agroalimentaire et le médicament ou comme l’a fait Renault et certains groupes pharmaceutiques.
En vue de faire fléchir la décision algérienne, le gouvernement français use de tous les moyens et frappe à toutes les portes pour se faire entendre: Union européenne (UE) et même l’Union pour la Méditerranée (UPM). M. Novelli fait savoir que «la France va rassembler les pays européens en vue de parler d’une seule et même voix». En réponse à une question d’un député des Bouches du Rhône à l’Assemblée nationale, M. Novelli a déclaré que «le gouvernement algérien a adopté plusieurs mesures restrictives à l’importation mais aussi d’autres mesures relatives aux sorties de devises, ce qui est très pénalisant pour les entreprises françaises installées en Algérie», tout en soutenant que «les conséquences sont autant négatives pour l’économie algérienne».
M. Novelli dit également «partager les préoccupations des représentants de la région de Marseille, dont le port est d’autant touché par ce problème qu’il est le poumon économique de la France. Ainsi, les chiffres parlent d’eux-mêmes, le port de Marseille a enregistré une perte de 45% de parts de marché du fait des nouvelles lois encadrant les importations». De ce constat il rappelle aux autorités algériennes que «les conséquences de la LFC 2009 sur les entreprises françaises sont aussi conséquences sur des entreprises européennes installées en Algérie. Au-delà de la France, nos amis espagnols et italiens sont également concernés par la loi de finances complémentaire, et de ce fait nous allons agir ensemble pour convaincre nos amis algériens qu’ils font fausse route». Soulignant dans ce sillage que «le 9 décembre prochain aura lieu, à l’initiative française, une réunion des ministres du Commerce des pays de l’UPM qui traitera ce problème».
Du côté algérien on répond que «la France et l’Union européenne n’ont-elles pas adopté par le passé des lois économiques très pénalisantes pour les pays de la Rive sud sans que ceux-là trouvent à redire?».
Dans cette tension qui dure maintenant depuis début août et qui n’a encore point trouvé de répit c’est l’ambassadeur de France à Alger, M. Xavier Driencourt, qui tente pour sa part de trouver un équilibre entre «les belligérants» après avoir sillonné durant quinze jours les départements algériens pour expliquer que «les entreprises françaises vont davantage s’investir et investir en Algérie».
C’est à Marseille, premier port de France et de Méditerranée de trafic de frets et la plus touché par cette fameuse LFC 2009, qu’il a choisi de continuer sa campagne de sensibilisation, cette fois-ci, à l’adresse des élus de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) et des élus locaux de Marseille ainsi qu’aux patrons des PME de la région et des opérateurs du port de Marseille. Pour qui il a déclaré: «Il faut s’adapter aux nouvelles mesures, envisager l’avenir. Il ne faut surtout pas baisser les bras en ce moment et encore moins faire la leçon aux Algériens, ce serait très mal venu de la part des Français».
Dans un point presse à la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille (CCIM), M. Xavier Driencourt, a déclaré que: «Mon rôle est d’expliquer ces mesures et tenter de dépasser les lectures simplistes de la presse française ou algérienne. Cette loi des finances complémentaire a été prise dans un cadre d’urgence. Face à la dégradation assez nette de ses revenus due à l’effondrement des cours du pétrole, de moins 46% en cinq mois, et une augmentation en parallèle des importations, les risques sur le déficit algérien est important. D’où cet arrêt brutal des importations»; propos étrangement semblables à celui du ministre algérien des Finances, Abdelkrim Djoudi.
Devant des chefs d’entreprise de Marseille complètement abasourdis voyant ainsi leurs activités pratiquement gelées suite à l’arrêt de l’importation de produits français, et devant les membres de l'association des musulmans de Marseille également touchés par ces mesures, l’ambassadeur de France se veut zen: «Il faut voir le verre à moitié plein» dit-il. Il poussera la comparaison jusqu’à indiquer que «la France a eu, par le passé, à prendre des mesures tout aussi protectionnistes pour sauvegarder son économie. Si les Algériens veulent faire dédouaner les voitures à Mostaganem (ville de l’Ouest algérien), on a eu à faire la même chose sous le gouvernement Cresson, quand on dédouanait nos magnétoscopes à Poitiers». Sauf qu'on attendant les dégâts économiques et financiers «que nous avons enregistré ces mois-ci depuis cette fameuse Loi de Finance algérienne sont scabreux» répondent les chefs d'entreprises.
En effet, avec un chiffre à l’export de 630 millions d’euros en 2008 pour le port de Marseille, l’enjeu est immense. Délicatement, afin de ne pas heurter des patrons d’entreprise furibards, Xavier Driencourt leur glissera ce conseil: «Il serait très mal venu de s’ériger en donneurs de leçons à l’Algérie. Il ne faut pas appréhender l’économie et le commerce sur ce mode-là avec l’Algérie.»
Ce conseil trouve son écho chez le vice-président de la CCIM, Raymond Vidil, dont l’entreprise de transport maritime a également été percutée par la LFC 2009 comme une Maruti par un semi-remorque. «Le port de Marseille a connu une chute très brutale de son trafic en direction de l’Algérie. Sur les conteneurs, c’est presque de l’ordre de 100%. Sur le bassin Est, on a eu une chute de 40%. La chute a été très violente pour les entreprises surtout au mois d’août 2009. On n’avait jamais vu ça auparavant» confie-t-il.
Selon Hervé Balladur, président de l'Union maritime et fluviale (UMF), qui regroupe les opérateurs privés du port, l’ensemble des transitaires marseillais est affecté: «Le mois d'août a été catastrophique, avec des baisses de transit avec l'Algérie de l'ordre de 55 % pour les marchandises et 70 % pour le matériel roulant».
Les plus pénalisées encore sont les entreprises d’exportation de matériel de travaux publics d’occasion, qui est une des grandes spécialités de la région de Marseille. Les entreprises spécialisées dans la logistique ont également été secouées au point qu’une dizaine, travaillant exclusivement avec l’Algérie, ont déposé leur bilan comme la société Traco, très connue pour ses liens commerciaux avec Alger. Les autres attendent des miracles de la prochaine visite des élus locaux et de la région de Marseille à Alger pour tenter de désamorcer une crise aiguë des transactions avec l’Algérie.
Les entreprises d’exportation frigorifiques, d’agroalimentaire, d’emballage, de chimie et de matières premières industrielles sont au bord de la faillite. Seules surnagent quelques mastodontes comme les laboratoires pharmaceutiques (65 millions d'euros que l'Algérie a importé en médicaments uniquement pour ce 1er semestre 2009), les groupes automobiles ou des entreprises d’engins de travaux publics comme Lieberg ou Caterpillar qui sont plus habitués à des contextes aussi difficiles.
Certains opérateurs économiques de la région annoncent que les répercussions de la LFC 2009 ne seront visibles sur Marseille, en terme de mise au chômage, qu’au début 2010 et tous, ou presque, maudissent le fameux crédit documentaire Credoc : «Si vous, en Algérie, avez pris ces mesures avec vos raisons qu’on peut comprendre, il n’en reste pas moins que l’instauration du Credoc pénalise d’abord la relation de confiance qui a toujours existé entre les patrons des PME algériennes et marseillaises».
Du côté algérien, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a annoncé que: «Nous n’allons pas faire marche arrière.» et que «les intérêts de l’Algérie priment». Même son de cloche du côté des chefs d’entreprises algériennes pour qui ces mesures de LFC2009 sont plutôt bonnes.
Néanmoins, le Premier ministre Ahmed Ouyahia a donné avis favorables aux nombreuses sollicitations que lui ont adressées les différents élus de la Région et qu'ils seront reçus à Alger dans les jours qui viennent dit-on. Une délégation qui sera composée du président du Conseil régional, le socialiste Michel Vauzelle, considéré comme un ami de l’Algérie, et Jean Noël Guerini, président du Conseil général des Bouches du Rhône, de la Communauté urbaine de Marseille, du maire de Marseille Jean-Claude Gaudin qui avait adressé dernièrement une lettre au président Bouteflika l’enjoignant de ne pas asphyxier la région de Marseille et du président de la Chambre de commerce et d'industrie pour évoquer cette situation avec le mince espoir que le président Bouteflika ordonne au gouvernement Ouyahia de trouver des parades pour tenter de «sauver» les relations commerciales avec Marseille où vit une communauté imposante d’Algériens et de Franco-Algériens.
En revanche les relations politiques sont bloquées. La visite à Alger du Secrétaire général de l'Elysée, qui devait intervenir avant la fin de l'année, n'aura pas lieu. Les deux pays n'ont toujours pas défini une base pour relancer les relations bilatérales. Alger n'a donné, non plus, aucune suite à la demande de Paris pour organiser une visite du ministre français de l'Immigration, de l'Intégration. de l'Identité nationale et du Développement solidaire, Éric Besson. Il devait déjà se rendre en Algérie en février 2009 dans le cadre d'une tournée africaine. Mais le déplacement a été annulé. La demande a été relancée l'été dernier à l'occasion de l'ouverture des négociations sur les accords de 1968 en matière d'immigration, sans que les autorités algériennes ne donnent de réponse claire. Même blocage pour la ministre de l'Economie et des finances, Christine Lagarde, qui souhaiterait aussi s'y déplacer surtout que la France «souhaite garder sa position de premier investisseur hors hydrocarbures dans le pays». Mais là encore, Alger n'a toujours pas fixé de date à cette visite. Une rencontre entre le ministre des Affaires étrangères algérien, Mourad Medelci, et son homologue français, Bernard Kouchner, en marge de l’Assemblée Générale précédente des Nations Unies à New York a été annulé. Et c'est dans ce climat et tension que la visite de M. Bouteflika à Paris prévue juin 2009 a été annulée sans explications côté algérien.
Récemment encore à New York, en marge de la tenue de l'Assemblée générale de l'ONU, les présidents Bouteflika et Sarkozy ne sont pas rencontrés «à cause d'un problème d'agenda».