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Billet de blog 8 septembre 2025

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Nasser Zefzafi n’a pas changé : sa voix, comme sa présence, dérangent toujours.

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     Le Rif, hier comme aujourd’hui, reste une énigme. Terre de résistance et de blessures, il échappe à quiconque prétend le cerner, comme s’il refusait de livrer ses vérités dans leur nudité entière. Dans ses récits, dans ses légendes, les limites entre le possible et l’invraisemblable se brouillent, et celui qui s’aventure à le comprendre doit s’armer autant de patience que d’intuition. Le Rif ne se lit pas par les faits seuls : il se devine dans la rudesse de ses montagnes, dans les contes de ses anciens, dans les colères de ses tribus comme dans la fierté têtue de ses braves habitants. Ici, un mot lâché à la hâte, un geste retenu, une parole échappée au détour d’une émotion suffisent à dévoiler un monde. Chaque signe se tisse dans une trame ancienne et fragile, faite d’histoires croisées et de douleurs jamais apaisées.

C’est sous ce prisme que je relis ce qui s’est joué à Alhoceima, il y a trois jours, lors des funérailles d’Ahmed Zefzafi. La présence de son fils, Nasser, a déclenché une pluie de commentaires, de récits et d’interprétations. Les langues se sont déliées, les vérités se sont affrontées, chacun cherchant à inscrire sa lecture dans l’éphémère d’un instant insaisissable.

Pourquoi ce droit lui a-t-il été accordé, et par qui ? Était-ce une faveur concédée par clémence, ou la simple reconnaissance d’un lien filial que nul pouvoir ne saurait rompre ? Et cette liberté de se mouvoir, jusqu’à ce bref discours lancé à la foule, comme une réplique à une histoire inachevée : justification peut-être, ou éclaircissement d’un ancien malentendu ? Pourquoi ces remerciements adressés à un responsable que le défunt, de son vivant, avait tant décrié ? Et comment expliquer qu’aucun ordre apparent n’ait encadré une foule débordante, comme si l’événement devait se vivre nu, livré à lui-même ? Était-ce un test ? Une rupture avec le passé ? Il y eut aussi cette absence lourde et incompréhensible de l’élite intellectuelle et politique locale, alors que les premiers rangs étaient occupés par des délégations venues de loin… Puis ces éclats, ces heurts à la fin : expression spontanée d’une colère trop longtemps contenue, ou provocation discrète, rappel que rien, ici, ne s’efface jamais tout à fait ?

Le Rif demeure un mystère. Peut-être faut-il se résoudre à l’accepter ainsi : une terre où chaque événement, chaque mot, chaque regard ouvre sur une réalité plus vaste que nul récit ne pourra enfermer. Dans ce Rif insaisissable, certaines vérités survivent au temps. Parmi elles, celle de ceux qui, comme Nasser et ses compagnons, ont porté haut la voix d’un peuple et la dignité de sa lutte. Que cesse le silence imposé depuis trop longtemps, car une véritable réconciliation est toujours possible — elle est même souhaitée par la majorité. Mais avant tout, il est urgent que la liberté soit rendue à Nasser, Jelloul, Ahamjik et leurs compagnons, pour que leurs noms et leur courage continuent de résonner dans cette terre qui, depuis toujours, refuse de se taire et de plier l’échine.

 Tanger 08 septembre 2025

 Dr Mhamed Lachkar

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