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Billet de blog 9 octobre 2025

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Fallait-il encore un drame humain pour reparler du Rif ?

Le drame de Soulitte, chanteur rifain populaire, a bouleversé tout un pays. Victime d’un acte criminel, il incarne aujourd’hui la douleur et la dignité d’une région trop souvent réduite au silence.

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Soulitte, la voix brûlée du Rif

Fallait-il encore un drame humain pour reparler du Rif ? Cette fois, c’est un acte tragique, un crime inqualifiable, qui a ramené cette région blessée sur le devant de la scène, au Maroc comme à l’étranger. Avant-hier, mardi après-midi, dans une rue de la ville, un homme a aspergé d’un liquide inflammable le corps fragile de Solitte, avant d’y mettre le feu. En quelques instants, le chanteur s’est transformé en torche vivante, sous les regards d’une foule d’abord pétrifiée, puis curieuse, dont certains ont préféré filmer l’horreur plutôt que d’intervenir. Les secours, arrivés presque trop tard, ont trouvé le corps noirci mais vivant. Transféré d’urgence vers l’unique hôpital de la région, il s’est vite avéré que l’établissement ne disposait d’aucun service adapté aux grands brûlés. Comme trop souvent pour les cas graves, il fallut l’évacuer vers le CHU de Tanger, à 350 kilomètres de là. Après un long transport, Soulitte a été pris en charge par une équipe médicale spécialisée et dévouée. Son état demeure critique, stationnaire mais non désespéré. En tant que médecin, j’ai pu le voir hier sur son lit de réanimation. J’en suis ressorti bouleversé.

Chanteur en langue rifaine et porteur d’un handicap physique lourd, Soulitte incarnait, à sa manière, une génération meurtrie : celle de la frustration, du chômage, de l’abandon scolaire et de l’exil comme seul horizon. Sans ressources, sans appui, il avait pourtant résisté. Il s’était fait une place, une voix. Par la force de sa guitare et de son harmonica, il était devenu une légende vivante, un repère pour une jeunesse désœuvrée. Inspiré par Bob Dylan, il mêlait — avec une aisance rare — les registres : la musique traditionnelle rifaine, le folk, le flamenco. Ses mélodies, à la fois tristes et romantiques, portaient en elles toute la complexité d’une identité mouvante, plurielle. Soulitte chantait comme on respire. Par amour, par instinct, sans folklore ni victimisation. Sa voix revendiquait, simplement, une appartenance. Artiste authentique et oublié des circuits officiels, il vivait à la marge, mais sa musique touchait juste. Il a fallu cet acte insensé pour que son nom ressurgisse dans l’actualité.

Nous lui souhaitons un rétablissement rapide. Qu’il revienne — cette fois, vivant — sur la scène, pour continuer à porter haut la voix des sans-voix. 

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