Cinq jours après l’attentat ignoble qui l’a brûlé vif, Soulitte, de son vrai nom Mostapha Oumoussa, s’est éteint. Les médecins ont lutté, lui aussi. Mais le feu, cette fois, a eu raison de sa voix. Cette voix profonde, âpre et belle, qui portait les blessures du Rif et l’espérance d’un peuple.
C’est tout un pays qui pleure. Justice pour celui qui chantait sans haine, avec la seule force de la parole et de la dignité. L’assassin a voulu faire taire la voix des humiliés, brûler les cordes vocales de la liberté.
Mais rien n’éteindra Soulitte. Il chantait comme on résiste. Sa musique naissait de la poussière et de la misère des rues d’Alhoceima. Il n’avait pas appris à chanter. Il avait appris à survivre, à parler pour ceux qu’on n’écoute pas. Ses chansons, en rifain, étaient des cris clairs, sans artifices. Elles disaient la fierté, la douleur, et l’injustice, mais aussi cette obstination à ne pas plier.
Avec sa guitare et son harmonica, il avait su mêler la mémoire du Rif à l’écho du monde. Son art, à la fois ancré et universel, liait les rives, rappelait que la dignité ne se négocie pas. Pour les jeunes du Rif, il n’était pas qu’un chanteur. Il était un frère, un repère, une boussole.
Je l’ai connu autrement. Il était mon voisin durant vingt-cinq ans. Chaque soir, derrière nos murs, j’entendais ses accords s’élever, hésitants, puis pleins et vibrants. Il s’excusait souvent du bruit, ce bruit qui, pour moi et pour mes enfants, était une respiration, une méditation. Courtois, discret, d’une douceur presque timide, il avait cette manière rare de saluer avec le regard souriant avant les mots.
Un jour, quand on écrira l’histoire du Rif, on dira qu’il fut la voix d’une génération, celle des jeunes sans emploi, des exilés, des oubliés. Il chantait leur silence, et leur redonnait une langue.
Et moi, qui fus à la fois son voisin et parfois son médecin, je garde en mémoire le silence profond où il se reposait, la dernière fois où je l’ai vu sur son lit de réanimation : calme, presque apaisé, comme s’il me disait que la vie valait encore d’être chantée, même dans la brûlure. J’ai cru jusqu’au bout qu’il s’en sortirait, qu’il reprendrait sa guitare, qu’il reviendrait nous chanter la lumière.
Cette fois, la voix s’est tue. Mais son chant lointain, mais vivant, demeure, demeurera pour l’éternité.
Adieu, mon ami. Que la terre du Rif, que tu as tant aimée, te soit douce.