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Billet de blog 13 février 2010

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Derb Moulay Chrif ou quand j’avais touché le fond du désespoir (1/8) -extrait du Courbis-

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Mercredi 8 août 1973Nous traversions le centre de Casablanca que je connaissais à peine. Notre silence était interrompu par les bruits assourdissants des klaxons de voitures. J’avais l’impression que la circulation était très intense. C’était normal, nous étions en plein cœur de cette gigantesque métropole à une heure de pointe où circuler en voiture devient un véritable casse-tête. J’imaginais !!! Le chauffeur de notre véhicule conduisait à une vitesse excessive et n’arrêtait pas de faire des freinages très violents qui nous nous secouaient et nous balançaient les uns contre les autres exactement comme des voitures tamponneuses. Il n’arrêtait pas de klaxonner, lui non plus, quand il se trouvait bloqué dans un embouteillage. J’imaginais toujours !!! Au bout d’un certain temps, notre fourgon commençait à emprunter des rues à pavées et où apparemment la circulation était moins dense et qui me semblaient être tortueuses. J’avais le sentiment que notre chauffeur cherchait à brouiller les pistes pour que l’on ne puisse pas suivre sa trajectoire. Pendant que notre fourgon fonçait à vive allure vers un lieu mystérieux, des idées angoissantes, parfois confuses et contradictoires m’envahissaient l’esprit. Je me demandais ce qu’on nous réservait au terme de ce voyage dans le noir ? Nous jeter d’une falaise à la mer ou nous éloigner vers le désert? Nous enterrer vivants ou nous fusiller d’abord ?Je n’étais pas certain de vivre dans le réel. J’avais l’impression que je faisais des allers-retours dans un sommeil où je faisais des cauchemars oppressants.Une demi heure plus tard le fourgon ralentit sa vitesse, nous roulions sur une piste recouverte de gravettes. On entendait des gens dehors s’activer. A l’arrêt du moteur je me sentais soulagé de l’ambiance asphyxiante dans laquelle nous avions été transportés mais en même temps mon cœur battait très fort de peur et d’angoisse pour ce qui nous attendait. Avant l’ouverture des portes du fourgon, la voix d’un des policiers nous sonna dans les oreilles comme un tonnerre :-Fils de putes, vous êtes arrivés à destination, c’est ici que vous allez moisir comme des verres de terre. Heureux sera celui d’entre vous qui en sortira vivant. Descendez dans l’ordre, il nous vous arrive rien si vous faites ce qu’on vous ordonne.Nous étions désemparés, et comme nous tergiversions, c’est avec des coups de pied et des insultes qu’ils nous sommèrent de nous mettre debout pour nous préparer à descendre. Nous fumes descendus un par un. Je ne voyais rien. J’étais escorté par deux personnes qui me tenaient fortement de mes bras. On m’ordonna de les suivre la tête baissée et sans faire le moindre geste. J’obéis aux ordres comme un somnambule. Je remontai deux ou trois marches d'un escalier avant de faire plusieurs mètres dans un long couloir et être amené à rentrer dans une pièce à gauche. On me replaça les menottes sur les poignets mains en avant et on m’obligea de m’allonger sur une couverture à même le sol sur le dos entre les corps de deux détenus qui me serraient de part et d’autre. J’avais l’impression de me retrouver dans un bain maure à cause de la chaleur, du bruit de l’eau qui coulait des robinets des toilettes qui ne devaient pas très loin et les appels « Hadj » qui s’élevaient de tous les côtés. Cette hallucination a perduré plusieurs minutes. J’étais demeuré prostré, mon état de conscience partagé entre l’éveil et la somnolence, comme dans un cauchemar jusqu’à ce qu je fus sorti de cette torpeur par les coups de coude que me donnait mon voisin de gauche. Il me chuchota à demi voix quelque chose que je ne comprenais pas. Malgré le bandeau, je tentais de jeter un coup d’œil autour de moi mais je n’apercevais que des silhouettes et des fantasmes que je pouvais juste sentir. Le bandeau était très opaque et son obscurité était totale et profonde. J’avais eu l’impression d’avoir été frappé par la foudre. Je m’efforçais de comprendre ce qui venait de m’arriver. J’avais mis quelque temps encore pour comprendre que j’étais dans une cellule où je côtoyais d’autres détenus. Mrabet partageait avec moi la même cellule. Je n’avais pas eu le temps de me ressaisir complètement quand soudain un bruit venait d’envahir notre cellule. Les détenus jusque là silencieux s’agitèrent bruyamment à leurs place. Un remue-ménage qui m’obligea de lever ma tête pour vérifier ce qui venait d’arriver.-C’est le passage de la gamelle, c’est l’heure du repas du soir, assieds-toi. Me lança le détenu qui était en face de moi. Je ne savais pas quoi faire ? Il devait être à peine dix huit heures. Je n’avais aucun appétit. S’apercevant que je restais toujours allongé, un garde s’était approché pour exiger de moi de me relever pour m’asseoir. Comment allais-je faire avec mes yeux bandés et les poignés attachés ? Me demandai-je. C’était encore le même détenu d’en face qui était déjà entrain d’avaler sa ration qui m’adressa de nouveau la parole :- Détends-toi, on est tous passer par là. Relève un peu le bandeau sur tes yeux et assis-toi en tailleur ou agenouilles-toi comme pour faire la prière.Je m’exécutai avec l’espoir de découvrir l’endroit où je venais d’atterrir. Je relevai légèrement ma bande, regardai à droite puis à gauche pour vérifier dans quelle position mes compagnons de cellule mangeaient. Je n’avais aucun appétit mais je voulais vérifier de quoi était fait ce magma épais contenu dans ce bol d’acier déposé devant moi. Ses senteurs me dégoûtèrent déjà. Je le gouttai quand même. Il était amer et répugnant. Je voulais profiter de ce moment particulier du repas pour demander à mes voisins le nom de l’endroit où je devais me trouver. Je n’avais pas encore eu le temps de parler quand la main d’un gardien qui probablement était là à me suivre du regard en tant que nouveau, me tira de ma chemise avec force. J’entendis sa voix me dire méchamment :-Tu n’as pas touché ton repas ? J’espère que tu ne commences pas ton séjour dans notre palace par une grève de faim ? Il faut manger vite, nous allons récupérer les bols pour les autres cellules. Ces premières menaces ne m’empêchèrent pas de continuer à refuser de manger. Je n’avais aucun appétit, j’étais toujours sous le choc.

La nuit venue, une sorte de chape noire allait s’abattre sur moi. Je me sentis enfermé dans une sorte d’étau qui me serrait la poitrine et créa un vide autour de moi. Je manquais s’oxygène. Je m’asphyxiais. De nouveau la panique s’empara de moi. Je me sentais seul face à ma solitude. Un violent sentiment d’injustice me serra le cœur.

A suivre

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