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Billet de blog 18 novembre 2009

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La descente aux enfers -première partie-(1)

Alhoceima: après-midi du dimanche 5 août 1973  Tout le long du voyage, les flics se parlaient, se racontaient des plaisanteries. Moi, assis derrière, la tête dans les mains et les yeux fermés, je voulais éviter de regarder dehors. J'étais plongé dans mes pensés et à réfléchir à ce que j'étais entrain de vivre. Je n'arrivais pas à assimiler ce qui m'arrivait. J'étais au courant de l'arrestation, ces derniers mois, de quelques militants mais jamais je n'aurai imaginé que cela puisse m'arriver à moi aussi.

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Alhoceima: après-midi du dimanche 5 août 1973

Tout le long du voyage, les flics se parlaient, se racontaient des plaisanteries. Moi, assis derrière, la tête dans les mains et les yeux fermés, je voulais éviter de regarder dehors. J'étais plongé dans mes pensés et à réfléchir à ce que j'étais entrain de vivre. Je n'arrivais pas à assimiler ce qui m'arrivait. J'étais au courant de l'arrestation, ces derniers mois, de quelques militants mais jamais je n'aurai imaginé que cela puisse m'arriver à moi aussi.

J'étais tellement naïf que j'étais loin d'imaginer ce qui m'attendait. Je n'avais jamais été appréhendé par la police et je ne pouvais pas prévoir comment je réagirai face à un interrogatoire musclé ? J'avais peur que je n'allais pas pouvoir garder le silence. Je continuais quand même à garder le moral et à me dire qu'une fois au commissariat, le malentendu dissipé, je vais être libéré. Je ne désespérais pas.

Après une heure et demi de route, enfin nous étions arrivés à la ville d'Alhoceiama sous un soleil de plomb. La ville m'avait semblée vide, les rues étaient désertes. C'était dimanche, les gens devaient être tous à la plage.

La jeep s'arrêta devant la porte du commissariat nouvellement construit. De toute ma vie je n'avais franchi la porte d'un poste de police. Les officiers me demandèrent de descendre avec mes bagages et de les suivre. Dans le hall, il y avait peu de mouvement, un policier derrière un grand comptoir parlait au téléphone. Nous prenions le premier couloir à droite jusqu'au bureau du commissaire qui se trouvait au fond du couloir toujours à droite. Les deux officiers frappèrent à la porte avant de rentrer pendant qu'on m'avait demandé d'attendre un moment dehors sous l'œil d'un policier en tenue.

Quelques minutes après, on m'ordonna de rentrer. Je savais que c'était le moment de vérité pour moi. J'étais resté calme et confiant. Le commissaire G. me salua sans se relever de son grand fauteuil. Je lui tendis une main qu'il ignora méchamment. C'était un signe de mauvais augure pour moi. Je m'étais contenté de me tenir debout, les mains croisées devant moi et les yeux fixés au sol. Nous étions seuls face à face. Il avait l'air d'un cruel fauve des savanes. Il portait une chemise blanche manches courts, une cravate bleue rayée et des lunettes opaques, genre Lino Ventura charisme en moins.

Il me fixait de ses yeux. Son regard était empli d'une haine si intense que j'avais commencé à sentir mes premiers frissons dans le dos. Rapidement son visage se détendit et me demanda de m'asseoir sur une chaise. Il n'avait pas tardé de me lancer :

-Enfin te voila, bienvenue, ça fait une semaine que tu cavales sans laisser de traces, on t'a cherché partout et maintenant tu te rends toi-même, qu'est ce qui a dû changer dans ton plan. ?

Surpris par ce que je venais d'entendre, je ne trouvais pas de mots. Mes yeux allaient se fixer sur le commissaire le temps de vérifier s'il avait l'air sérieux ou pas ? Sans me donner le temps de bien le dévisager, le commissaire reprit:

-Il parait que tu étais au courant que la police allait débarquer chez toi à Rabat la nuit du jeudi au vendredi pour t'arrêter ?

-Je ne suis au courant de rien du tout, lui répondis-je, d'un air innocent.

-Et comment se fait t-il que tu as quitté Rabat dans la journée sans attendre la fin des examens et les résultats ? Me rétorqua t-il en forçant ses épais sourcils.

Je lui avais raconté avec beaucoup de détails ce qui s'était passé réellement en essayant de lui expliquer qu'il s'agissait probablement d'une erreur. Il m'écoutait avec un air de pas convaincu du tout. Au bout d'un moment, agacé par mon baratin, il m'interrompit :

-C'est pas la peine de brouiller les pistes. Tu es bien Lachkar d'Alhoceima, étudiant en médecine à Rabat ? Mrabo c'est ton pseudonyme, c'est ton nom de guerre ?

-Je suis bien la personne que vous cherchez. Mrabo c'est le nom dont les espagnols appelaient mon père et toute ma famille est connue sous ce pseudonyme. Vous n'avez qu'à demander à vos collaborateurs pour le vérifier.

-Mes subordonnés m'ont dit beaucoup de bien de vous et de votre famille. Il parait que tu es un brillant étudiant. Alors ne m'obliges pas à te forcer de parler. La police est en possession des confessions d'un de vos amis vous impliquant dans des faits très graves.

-Ce n'est pas possible monsieur le commissaire, ça doit être une erreur.

-Touha, c'est ton ami ? Cria t-il d'un air irrité.

-Non, je n'ai pas d'ami qui s'appelle de ce nom, lui répondis-je avec sang froid pour lui montrer que je n'étais pas surpris et pour éviter de le faire douter.

-Touha K., ça te dit rien ?

A entendre ce nom, j'avais la tête qui tournait, une sorte de vertige accompagné de nausée. J'avais froid dans tout mon corps malgré la chaleur qui faisait. J'avais peur qu'il leur ait parlé de l'organisation clandestine « VRM » que j'avais créée avec quelques camarades au début de 1972 et que nous avions dissoute un an après. Je doutais que Touha ait été au courant de nos activités mais on ne sait jamais ? Je me méfiais beaucoup de lui. Certains camarades le soupçonnaient d'être un flic carrément.

Le commissaire attendait toujours ma réponse. Les traits de son visage allaient retrouver rapidement l'expression d'un véritable rapace. J'apercevais dans ses yeux une haine que je ne comprenais pas.

-Oui, je connais ce type, mais de loin et je n'ai aucune relation avec lui. Je sais qu'il est originaire de la province d'Alhoceima et qu'il est étudiant à la faculté de droit.

-C'est tout ? Me cria t-il.

Je n'avais pas eu le temps de répondre avant qu'il ne s'était mis debout et se pencher sur moi en me pointant du doigt à me toucher le visage :

-Et le Dr Khattabi, tu le connais ? C'est lui qui vous envoyait à l'étranger pour vous entraîner sur le maniement des armes ? Dans quels camps tu as séjourné ? Syrie ? Iraq ? J'ai vérifié ton passeport, tu as voyagé beaucoup ces dernières années ? Tu étais où ? Touha t'a remis des armes à Rabat ? Tu les as cachées où ? Et les attentats contre le siège des journaux Le matin et Maroc soir, c'est pas toi et ton groupe qui les ont commis ? Où sont les armes ? Les autres vous ont dénoncé. Il faut dire la vérité parce que si on arrive à la confrontation c'est grave ! Si tu dis la vérité, tu seras libéré ; mais si tu ne parles pas, nos moyens vont te faire parler ! Qui sont tes contacts ?

Subitement j'eus la bouche sèche et je sentis mes membres trembler. J'étais dans les vapes. Je n'en revenais pas. Je ne savais pas quoi répondre.

Le commissaire s'approcha d'avantage de moi et devenait très menaçant :

-Tu ne veux pas répondre ? Tant pis pour toi, je vais demander qu'on vient te chercher pour te faire cuisiner pendant quelques minutes et on verra bien si tu te décides à parler ou pas ?

Au bout d'un moment je me ressaisis en inspirant à fond. Je prenais conscience que les choses allaient tourner mal pour moi et je voulais tenter une dernière chance :

-Je ne sais pas de quoi vous me parler monsieur le commissaire, je suis complètement étranger à cette histoire. Lui répondis-je avec un air craintif.

On me fit descendre au sous-sol et rentrer dans une petite pièce éclairée par la lumière d'une petite fenêtre. Deux personnes en civil venaient de me suivre et de fermer la porte avec violence. Sans attendre :

-C'est l'heure de la cuisine, pourquoi tu ne veux pas avouer ? Me cria l'officier H. un colosse au visage de gorille, avant de continuer :

-Tu nous fais gâcher notre dimanche, nous allons te faire gâcher ta vie.

Avant de finir sa phrase, il recula pour prendre son élan et me rentra dedans avec toute sa force, le genou droit en avant. Son coup venait de cibler mon rein gauche. Je tordais de douleur. Je voulais me soulager en penchant mon corps devant quand l'officier K, un maigre et chauve, m'envoya un crocher sur la région sous costale droite qui coupa ma respiration.

Cette séance de coups dans tous les sens avait duré quelques minutes : ils avaient cogné sur mon corps comme le font les boxeurs sur leur sac d'entraînement avec acharnement et sans précision, tout en me traitant de chien, pédé, fils de... Je me défendais comme je pouvais, j'esquivais leurs coups, je me protégeais le visage et les côtes.

Au terme de cette séance d'échauffement, j'étais épuisé, eux aussi. Ils décidèrent de faire une pause, ils me demandèrent de m'asseoir par terre, de prendre mon souffle et de me préparer à confesser.

-Vous êtes entrain de me torturer messieurs, vous n'avez pas le droit de le faire, je ne suis pas un criminel, je n'ai rien à confesser, tout ce que je savais je l'ai déjà dit au commissaire toute à l'heure dans son bureau.

-T'as aucune chance de sortir d'ici vivant si tu nous ne montres pas où sont cachées les armes et tu nous ne donnes pas les noms de tes complices, me cria le colosse en jetant son regard méprisant sur mon corps et en crachant sur le sol juste à coté de moi. Avant de continuer avec un air moqueur :

-Tant que tu es entre nos mains personne ne peut se porter à ton secours, même Dieu !!!

-On te concède cinq minutes pour réfléchir et te décider, on ne va pas se gêner à passer à autre chose, j'espère que tu as compris : on veut pas te forcer à t'asseoir sur une bouteille, enchaîna K. le chauve essoufflé et qui ne tarda pas à allumer une cigarette et me l'a tendre.

-Non merci, je ne fume pas lui répondis-je, avant de continuer : vous perdez votre temps, cette histoire d'armes vous l'aviez inventée pour vous venger d'un simple étudiant qui ne veut que du bien pour son pays.

- On verra bien tout à l'heure, si tu pourras tenir, fulmina H. le colosse en se ruant sur moi, avant qu'il ne sorte entraînant avec lui son compagnon.

J'étais resté immobilisé le dos contre le mur, la tête dans mes genoux. J'étais recouvert de sueurs. J'avais soif mais je n'avais pas demandé à boire de peur d'entamer ma détermination à résister jusqu'au bout.

Je souffrais en silence : j'étais intrigué de ce qui m'arrivait. Suis-je entrain de faire un cauchemar me demandais-je ? Je n'en revenais pas. Et ce satan de Touha, d'où sort-il ? Pourtant je m'étais toujours méfié de lui. Je soupçonnais quelque chose, mais je ne m'étais jamais mêlé à lui. Et puis, je ne l'avais pas revu depuis des mois.

Notes :

(1) Extrait de mon futur livre : LE COURBIS -témoignage sur les années de plomb au maroc-

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