Question de la journaliste :
— Quel regard portez-vous sur l'évolution de la société marocaine depuis les "années de plomb" jusqu'à aujourd'hui en matière de droits de l'homme et de mémoire collective ?
Ma réponse :
— La société marocaine a incontestablement évolué depuis les années de plomb. Une période marquée par le silence, la répression et la peur, où toute contestation était perçue comme une menace à l’ordre établi. Le Maroc a indéniablement amorcé un tournant à partir des années 2000, marqué par l’émergence d’une société civile plus active, de journalistes et d’écrivains engagés. Mais cette dynamique reste inachevée : les responsabilités n’ont pas été clairement établies, les efforts de réconciliation n’ont jamais été accompagnés d’une véritable volonté de rendre justice aux victimes et à leurs familles, et beaucoup de dossiers restent ouverts. Quant à la mémoire collective, elle demeure fragmentée. Inégalement transmise selon les régions, les milieux sociaux et les générations. Et s’il y a un lieu où cette mémoire peine véritablement à exister, c’est bien le Rif. La réconciliation avec le Rif peine toujours à émerger. Ni la guerre anti-coloniale ni la rébellion de 1958 n’ont fait l’objet d’un vrai travail de mémoire. Le cas d’Abdelkrim Khattabi est emblématique : sa dépouille repose toujours en Égypte, et le souhait de son rapatriement, reste sans réponse. Il n’existe aucun lieu de mémoire digne de son nom. Reconnaître cette histoire, c’est aussi reconnaître une partie de nous-mêmes. Pourquoi ne pas imaginer un musée national qui lui serait dédié, et à travers lui, à toute une mémoire longtemps marginalisée ? Ce serait un pas essentiel vers une réconciliation sincère et durable.