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Billet de blog 22 février 2010

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Derb Moulay Chrif ou quand j’avais touché le fond du désespoir (2/8) -extrait du Courbis-

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Effondré par le drame que je vivais, une angoisse terrible m’empêchait de fermer l’œil toute la nuit. Je tentais de fermer mes yeux pour me libérer et m’échapper désespérément de cette réalité effroyable dont moi-même je faisais partie. Quand j’arrivais à dormir pendant quelques minutes, je n’arrivais pas à me détacher de cette horreur, je ne faisais que des rêves où je me retrouvais toujours entre les mains de mes bourreaux qui me torturaient. Je me réveillais immédiatement en sursaut. Ce qui venait de m’arriver dépassait tout imaginaire. Ce que je sentais, ce que j’entendais, ce que je n’arrivais pas à voir est indescriptible. Je me croyais dans une caverne où je venais d’être accueilli par des bêtes immondes et assoiffées de sang humain. Je m’étais rendu compte qu’en l’espace de quelques heures le ciel m’était tombé sur la tête. Qu’aurais-je commis pour mériter tout cela ? Je venais de me retrouver face à une réalité absurde et étrangement nouvelle pour moi. Une réalité qu’on ne m’a jamais racontée, que je n’avais jamais vue dans un film, ou lue dans un livre. Ici vous êtes remis entre les mains de vos geôliers qui se relayent sur vous toutes les huit heures. Vous surveillent vingt quatre heures sur vingt quatre heures, l’œil aux aguets du moindre mouvement et le juron prêt et brutal. Il ne faut rien leur demander. Il ne faut surtout pas leur poser des questions. Pour aller aux toilettes, il faut crier fort « Hadj » et attendre à ce qu’ils vous l’autorisent. Obligés de rester des heures et des heures, allongés, silencieux et inertes : des fantômes, ni endormis ni véritablement vivants. Dans ces moments de servitude, j’avais l’impression que ma vie ne m’appartenait plus et que mes gestes ne dépendaient plus de moi. Je souffrais intérieurement pour avoir perdu mon autonomie et d’être obligé de faire ce retour forcé à l’âge postnatal ; une régression décidée par des tyrans impitoyables qui voulaient faire de nous des frustrés éprouvant un sentiment d’infériorité vis-à-vis d’eux. J’appris plus tard que je me trouvais au commissariat de Derb Moulay Chrif en plein cœur d’un quartier populaire de Casablanca qui porte le même nom. Par le passé je n’avais jamais entendu parlé de ce Centre secret pour torture et détention des opposants politiques. Je connaissais plutôt le sinistre centre Dar Lmakri situé à Rabat. Les jours suivants, la violence à laquelle nous étions soumis est inimaginable : les yeux bandés, les mains menottées, interdits de parler, interdits de bouger de sa place. Notre cellule était éclairée d’une lampe qui émettait une lumière éblouissante de jour comme de nuit et nous empêchait de dormir. La porte de notre cellule restait ouverte de façon permanente. Le rythme du travail des gardes est le même. Le plus dur à supporter était l’humiliation au quotidien. Nous étions soumis à l’humeur de nos geôliers qui prenaient un plaisir cynique à nous maltraiter. Nous étions souvent torturés sans aucune justification, traités en sous-hommes à qui on a dénié tout droit d'humanité. Dès notre arrivée, certains de ces gardes nous avaient même menacé de nous réserver un traitement particulièrement sévère à part, du fait que nous étions des communistes, des non musulmans et des maudits du roi « msakhit lmalik. Au troisième jour de mon arrivée, j’étais amené dans un bureau pour un interrogatoire. Malgré le bandeau qui m’empêchait de voir, je croyais avoir à faire à deux ou trois personnes. En tout cas deux voix distinctes se relayaient pour me poser des questions de façon agressive et insinuante. Les questions étaient expéditives mais sans menaces. On ne m’avait parlé ni d’armes ni du Dr Khattabi. Il fallait juste leur rappeler mon identité complète et ensuite répondre par oui ou par non au sujet de mon appartenance au « Front », sur mes activités syndicales à l’université, ma présence au quinzième congrès de l’UNEM. Le tout avait dû durer une trentaine de minutes sans plus. Je ne leur avais pas menti, de peur de me créer à nouveau des complications. J’avais répondu sans hésitation mais avec vigilance pour ne pas laisser échapper des informations qu’ils pourront utiliser à charge contre moi par la suite. Je n’avais pas l’impression qu’ils me soupçonnaient outre mesure. J’avais pensé qu’ils avaient bouclé leur enquête à mon sujet. Mon dossier était apparemment vide, il n’ y avait aucune raison de me retenir d’avantage. Je devrais être relâché incessamment, croyais-je quand j’avais regagné ma cellule tout content et rassuré. Passé plusieurs jours dans cette situation inchangée, je commençais à douter que mon sort allait être désormais le même que celui des autres détenus, c'est-à-dire que je n’allais pas voir le monde extérieur de sitôt. Je repassais pour la énième fois le déroulement de mon dernier interrogatoire. Je n’y trouvais, ni accusations, ni menaces. Mais alors pourquoi me retiennent-ils toujours ? M’insurgeais-je au fond de moi-même. Je n’arrêtais pas de me demander qu’ai-je donc fait pour mériter de tomber si bas et atterrir dans ce trou. Plus je manquais de réponses, moins je gardais ma lucidité. Ce dont j’étais sûr c’est que ma carrière universitaire s’était écroulée comme un château de cartes et que mes ambitions de devenir un médecin un jour s’étaient effondrées. C’était ce qui m’angoissait le plus et me rendait confus et perturbé. J’étais désespéré au point de souhaiter, crever plutôt que de supporter de croupir dans cet épouvantable asile à attendre un procès qui de toute façon ne me laisserait aucune chance de m’en sortir. A suivre

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