Billet de blog 23 janvier 2010
L’islam a-t-il besoin de la laïcité ? (1/3)
Quelques précisions nécessaires :
C’est en réponse à l’invitation de Jean Paul le Goff qui m’avait demandé la semaine dernière d’apporter mon point de vue sur la laïcité en islam que j’ai rédigé ce document.
Je tiens tout de suite à préciser que mon billet ne participe pas du débat actuel en France sur l’identité nationale ; non parce que Médiapart et d’autres s’étaient mobilisés pour la non participation à ce débat qui me parait personnellement hors de l’histoire, mais plutôt parce je considère qu’il s’agit là d’une affaire franco-française qui ne me concerne que de loin.
Dans un environnement de déficit démocratique chez nous, je suis conscient de l’importance de l’espace de liberté offert par ces forums de Médiapart, qui favorisent le débat des idées et la confrontation pacifique des points de vue des uns et des autres, de façon franche mais dans l’humilité et le respect de l’autre. Je précise que je parle ici en mon nom personnel, je ne fais pas mes déclarations au nom d’une quelconque tendance prétendant parler au nom des musulmans. Je ne suis pas un spécialiste des questions religieuses. Je parle tout simplement à partir de ma foi, de mes convictions, de mon expérience et de mes lectures.
L’objectif de ce premier billet sur l’Islam et la laïcité est d’ouvrir sur Médiapart un débat contradictoire et critique qui se propose de contribuer à briser certains fantasmes véhiculés par les médias européens, français en particulier et par des écrits de certains intellectuels de gauche qui conçoivent , le plus souvent, la diversité culturelle autant que la diversité religieuse aussi bien localement qu’au niveau mondial, comme un simple principe de bonne volonté à énoncer mais rarement comme une réalité, qu’il faut reconnaître et avec laquelle il faut composer, et pourquoi pas se construire ensemble.
Je dois préciser aussi que c’est au nom de ma fidélité à l’islam que je veux entreprendre cette réflexion sincère sur comment on peut être en même temps musulman croyant convaincu, fier hériter de traditions qui sont adaptables au vingt et unième siècle et riche d’une culture ancrée dans l’éthique et la rationalité universelles ? Autrement dit je revendique et ma foi et mon siècle comme tant de millions de musulmans anonymes.
Je refuse donc d’engager tout polémique me poussant à faire le choix impossible entre la fuite en arrière vers « l’intégrisme » et la fuite en avant vers le « modernisme ». Tout raccourci qui consiste à simplifier de façon réductrice la question de l’islam à cette équation : intégrisme / modernisme risque de nous éloigner du vif du sujet. J’écarte donc à la fois et l’aliénation simpliste sur un passé glorieux mais déjà lointain et la réduction de ma religion à une simple référence culturelle et identitaire pour ne pas « menacer » un universalisme uniformisant. Aujourd’hui les seules et vraies questions qui se posent pour moi et pour tant d’autres : comment je peux être musulman ici et maintenant ? Comment répondre aux attentes et aux espoirs de ces jeunes désemparés qui ne demandent que de vivre dans l’harmonie entre le temporel et le spirituel mais dans la dignité, la reconnaissance de l’autre et sans peur.
Pour être mieux compris, je dois avouer que le parcours de ma foi religieuse est tumultueux et atypique. Un itinéraire loin d’être linéaire. Je suis né au début des années cinquante dans un milieu musulman modérément pratiquant, comme la grande majorité à l’époque. Et comme tous les enfants de ma génération, j’ai fait l’école coranique pendant cinq ans où j’ai appris par coeur la première partie du livre sacré le Coran et je faisais mes cinq prières. Vers dix neuf ans, je deviens « marxiste » et je remets tout en question et je ne le cachais pas (voir sur les extraits de mon récit autobiographique sur mon blog). C’est très tardivement vers quarante deux ans, deux années après la chute du mur de Berlin, que j’ai fait mon « aggiornamento » pour redevenir un « musulman moderne ». Il y a cinq ans j’ai fait avec ma femme un premier voyage à
la Mecque
après des lectures studieuses, en arabe cette fois-ci. Depuis, beaucoup de choses ont changé pour nous deux. La composante religieuse allait prendre sa place normale qui lui revient dans notre vie de musulmans, sans tomber dans les excès. Mais certains diront que je suis passé de quelqu’un qui vivait un « islam libre et éclairé » à un degré supérieur : je suis devenu «islamiste» et pourquoi pas « intégriste », pour d’autres ???
Ce petit détour sur ma vie privée, je le fais par principe de sincérité et de transparence. Je ne suis pas un intellectuel qui théorise sur des questions abstraites. Je suis un musulman d’aujourd’hui qui vit pleinement sa foi et sa culture sans se sentir obligé de se couper en deux : apparaître et penser en public une chose pour faire plaisir à certains et se réfugier la nuit chez lui pour vivre autre chose.
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.