Suite à la publication le 18 octobre 2009 sur mon blog de mediapart d’un billet sous le titre : « Avant-propos d’un livre / témoignage sur les années de plomb du Maroc : écrire contre le silence et l’oubli », j’avais reçu en plus de quelques appels téléphoniques, un courrier électronique de beaucoup d’amis qui tous ont apprécié mon initiative et m’encourageaient à publier mon récit témoignage. Un courrier particulièrement intéressant m’est parvenu de la part d’un vieil ami que je n’avais pas vu depuis bientôt 30 ans. Il s’agit de Abdelkarim Chiguer, « Krimo » aujourd’hui professeur universitaire de littérature française. Il a fait joindre à son message une « Note de lecture » rédigée en marge l’avant-propos du livre/projet. C’est par souci de partager cette note avec tous les lecteurs de mediapart et avec l’accord de l’auteur de la note que je l’insère dans mon billet d’aujourd’hui en même temps que les messages que nous nous sommes échangés.
Cher Lachkar,
Heureux, très heureux, d’apprendre que tu es porté sur un si beau projet ;il n’y a rien qui puisse se substituer à ce travail « d’épaississement » de nos « lieux de mémoire » par les mots … D'aucuns diraient, cyniquement, "par les maux". Heureux également de pouvoir te livrer « telles quelles » ( parce que c’est toi… ! ) des notes que je comptais mettre dans un des mes fichiers relatifs à l’étude des « seuils » dans les écritures maghrébines de langue française : champ théorique parmi d’autres de la poétique comprenant, entre autres :titre, illustration, préface, entretien, prière d’insérer, bref, tout ce qui « entoure » et « enveloppe » le texte tant en amont, avant publication, qu’en aval, après publication ; là où, bien souvent, ce qui se dit via: les déclaration de l’écrivain, ses dédicace, ses agissements d’ordre personnel, intime, politique, etc., « semble largement l’emporter sur l’écriture elle-même » … Enfin voici juste une proposition de lecture…dont on devra sans doute affiner les termes…
Khadija est très heureuse de re-saluer Soumaya…et vos enfants.
Au plaisir de te lire de plus près
Krimo
NOTE DE LECTURE
SEUILS ET EFFETS D’ANNONCE D’UN DISCOURS « ASSERTIF »
Lecture des « seuils » : Préface et commentaires de « Dr Lachkar Mhamed » relatifs à son livre à paraître
Il se peut que la densité du texte de « Dr Lachkar Mhamed » proprement dit nuance voire contredise carrément la nature de l’hypothèse de lecture avancée ici. Il se peut que le « corps » du « texte » à paraître prochainement soit aux antipodes de ce qui, aux seuils du livre à venir, semble rester pour le moment « corpus » de « bonnes intentions » et de « déclarations de principes » ne ménageant la moindre place à l’idée (utopie ?) d’un
tiers-espace, une zone interstitielle ; celle là même qui, devant le ton si assertif de l’auteur, appelons-le préfacier, se réduit sans doute à une sorte de quête néo-mystique (?) permanente, à du « perfectible » (Rousseau) - le contraire des « recettes », et autres « remèdes » dits définitifs. Partant de constats, interrogations et, surtout, de ce qui relève donc pour nous d’une hypothèse de lecture élaborée via ce qui, jusqu’à nouvel ordre, se formule à travers les deux seuils que sont le discours que nous qualifions de préfacier et les réactions apportées par l’auteur en marge des lectures faites par un groupe d’internautes, « adhérents » de
Médiapart, nous pensons avoir affaire à ce qui d’entrée avance en tant que jugement sûr de lui-même, sans failles. Il s’agit d’un discours d’« autorité », d’une volonté de « pouvoir » amplifiée par le fait que l’« auteur » ayant été « incarcéré » pendant la période des « années de plomb » juge sa « courte » expérience « carcérale» source d’un « capital humain », inestimable « richesse ». L’auteur se dit aussi « continuer à être le même », jugeant ses « blessures » définitivement « cicatrisées », pe(
a)nsées. Aussi, aucune allusion attestant le souci de quête, de devenir, ne vient-elle nuancer une écriture qui s’avère l’équivalent d’une expérience « achevée », « finie ». Il s’agit d’un parti pris ouvertement assertif, « idéologique », « installé » dans une « assurance » sans failles. Sans doute avançons-nous ici un argument contestable aux yeux de celui qui se dit doté d’une mémoire « infaillible ». Il y va de l’équilibre de son argumentation tendue vers ce qui se veut d’emblée porté par une « logique » située loin, si loin de la moindre « subjectivité ». Aucun souci de « construction » ni de concertation ou de dialogue ne pointe ici
avec ceux que l’on peut par moment qualifier « d’opposants » voire « d’ennemis de classes » comme se plaisait à ressasser la « jeunesse » d’hier en toute innocence dans lesdites « années de plomb ». Le terme « peuple » au même titre que « jeunesse » est utilisé sans
guillemets et sans le moindre discernement. Par ailleurs, aucune des « réactions » enregistrées sur le blog n’a, - notons-le-, réussit à lui (nous) faire
part de la moindre critique. Aucune zone d’ombre ne réussit à troubler l’équivalent d’un jeu de miroirs si catégorique. Or, comment ne pas relever à ce propos le courage et l’humilité du tout récent témoignage intitulé :
Ilal Amam, autopsie d’un calvaire, de Aziz Tribak (éd. S.W.E, Tanger, 2009), qui, outre la critique,
non manichéiste et
sans merci, des « idoles » d’antan, en l’occurrence celui qu’il qualifie de « chef de troupe » : Abraham Serfaty, ne manque de nuancer
la vision qu’on peut avoir de ce qui est désormais un réel «
lieu de mémoire » (Pierre Nora), les dites «
Années de Plomb » ? Ces dernières ne devons-nous pas les appréhender comme étant le contraire d’un Haut-Lieu, clos, immuable et mollement consensuel ? N’est-ce pas ce qui doit rester ouvert au travail politique, juridique, littéraire, artistique, etc., au sens d’un travail de
dé-re-construction sans fins ? Une instance, quelle qu’en soit « l’autorité », peut-elle prétendre détenir
LA « clef » ? Notre hypothèse au sujet du caractère assertif voire prescriptif et idéologique de ce qui se décline ici aux seuils du « livre » promis nous espérons bien évidemment la voir
démentie par la
totalité (sic) de la « mémoire » et du « témoignage » à venir. Mais, du fait que l’auteur
agit après avoir circonscrit son « lieu » d’écriture, nous avons l’impression d’être d’entrée face à un discours des plus « sérieux », « urgents » et « graves », et qui, plus est, comprend deux zones nettement séparées : « Victimes », d’un côté, et « Bourreaux », de l’autre. Le ton si « sérieux » aussi bien de la préface que des commentaires «cyberespacé» s’empêche de douter de lui-même, appréhendant le fait d’« ironiser », de se « distancier ». En d’autres termes : quelle peut bien être la raison d’un acte « d’écriture » dont les tenants et les aboutissants s’annoncent connus d’avance, transparents ? La « soixantaine » atteinte, l’auteur entame-t-il la quête d’une espèce d’aura politique, la formule d’un nouveau type de militantisme « tablrasique » et si méfiant à l’égard des compromis(sions) inhérent(es) à toute démocratie? Une telle décision évite surtout de se réserver une place à ce qui se
révèle parfois en cours de route, lors de l’acte de « frayage » qu’est l’acte d’écriture proprement dit
entre mots et choses, oubli et mémoire, conscient et inconscient. Les mots nous parlent autant que nous les parlons, souvent à
l’insu, - Derrida se plaît à ajouter : à «
l’invu » et à «
l’indu »-, de toute Autorité. Ici, la référence à la « transcendance », - argument d’autorité-, souligne davantage le caractère d’un écrit s’annonçant « mémoire infaillible » et, dirions-nous, « intouchable » au sens littéral du mot
harâm en langue arabe. Face à un énonciateur » qui se dit « resté lui-même », s’attendre à la moindre hésitation et, encore moins, au moindre doute quant aux limites d’un tel « lieu d’énonciation », relève peut-être de l’impossible. Le lecteur se doit, semble-t-il, de rester « sage » devant une « assurance » imperturbable au risque de subir les foudres de celui qui qualifie les « camarades d’hier » de « chiens de garde ». Et si la
texture des mots du « texte » à paraître se frayait d’autres voies (voix), volant de leurs propres ailes, à l’écart du poids de l’écran que sont les
seuils, portant un démenti à ces derniers ainsi qu’au « message », - souvent attentif à la « réception » et à son « succès » beaucoup qu’à l’écriture elle-même, dont ils sont porteurs ? Ne devrait-on donc pas parier sur la souveraineté, l’autonomie intrinsèque des mots ?
MA REPONSE/REACTION A LA NOTE: Cher Krimou,C'est avec un grand plaisir que j'ai lu ton premier message. Je trouve très intéressante la note que tu viens d'écrire en marge de la publication de l'avant propos provisoire de mon futur récit. Ton écriture me fait retourner plusieurs années en arrière quand je m'aventurais dans des textes du structuralisme (construction/déconstruction), ceux de Rolland Barthes en particulier. Ta démarche découle d'une perception très intelligente de tout ce qui sous tend toute écriture. Je n'avais jamais fait attention à cet approche par le passé. Ce que je peux avancer par rapport à ce que je crois avoir compris, c'est qu'en effet l'avant propos publié pourrait donner une fausse idée par rapport au récit lui même. En attendant de t'envoyer à partir de demain la première partie du projet/livre, c'est que je n'ai pas l'intention de publier un livre à connotation politique. A part l'avant propos où effectivement il y a une mise en scène d'ordre plotico-idilogique, le reste du récit raconte une histoire humaine assez personnelle. Personnellement je n'ai pas à régler de compte avec quiconque. Je n'ai pas et je n'ai jamais eu par le passé de conflits personnels avec d'autres camarades qu'ils soient à la base ou en haut de la hiérarchie. D'ailleurs je n'avais jamais été embrigadé dans une structure quelconque. J'étais un militant de base mais libre. J'avais des affinités certes en particulier avec Ilal Amam. Mais jamais je n'avais accepté de me soumettre à une quelconque discipline d'ordre dogmatique. L'objectif de mon livre est de raconter comment à une époque encore récente des centaines de marocains souvent innocents et dont je faisais partie se sont retrouvés pris dans une machine répressive infernale. Je raconte mes souffrances, celle de ma faille et comment, j'ai pu surmonter tout ça. Je parle beaucoup aussi de l'aventure amoureuse avec celle qui allait devenir ma femme. Je t'en dirai pas plus pour ne pas gâcher ta lecture. Il est déjà trop tard.Merci pour ton encouragement.Autre chose : est ce que je peux placer tes notes sur mon blog. Cela encouragerait peut être les autres à faire des commentaires plus critiques.Salut et à bientôt.M.Lachkar