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Billet de blog 26 janvier 2010

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L’Islam a-t-il besoin de la laïcité ? (2/3)

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Un peu d'histoire pour rafraîchir les mémoires :

La problématique de la relation entre le temporel et le spirituel / le sacré et d'une façon plus particulière entre le politique et le religieux s'était posée aux musulmans juste après la mort du Prophète, du fait qu'au niveau des textes sacrés, Coran et hadith, aucune indication n'imposait un quelconque système politique. On ne trouve dans ces sources rien qui puisse légitimer l'institution califale, pas plus que n'importe quelle autre forme de pouvoir. Le modèle de gouvernance instauré par le Prophète à Médine ne pouvait être assimilé à un Etat, car il s'agissait d'une communauté strictement religieuse qui ne pouvait être reproduite du fait qu'elle était liée à l'action prophétique. Les dissensions entre les compagnons du Prophète, (la grande discorde) n'étaient pas que le fruit de tensions d'ordre métaphysiques, mais aussi politiques et sociales.

Ces dissensions ont été à l'origine de toutes les divisions qu'ont connues les musulmans par la suite donnant naissance à différents mouvements et courants (sunnites, chiites...)

Aujourd'hui encore, ces mouvements et ces courants existent toujours, les mêmes questions se perpétuent et restent d'actualité avec l'apparition (ou réapparition) d'autres tendances plus récentes (islam politique, intégrismes ...), qui en réalité ne font que prolonger la « grande discorde ».

Ce bref rappel des difficultés rencontrées par les musulmans au début de la construction de leur Etat sous le concept d' « Islam religion et Etat » avec tous les efforts pour faire réconcilier la politique, l'organisation, les rouages du pouvoir avec leur religion, va nous permettre de mieux saisir la relation conflictuelle que le concept de laïcité va entretenir dès son apparition en terre d'Islam vers le XIX siècle.

Un survol rapide de l'historique de cette relation islam/laïcité va nous permettre de nous éclairer sur la singularité de cette relation marquée par les conflits, les passions et les malentendus qui devraient être dépassés aujourd'hui par la construction d'une confiance mutuelle et d'un dialogue vivant.

Le début effectif des relations islam/laïcité remonte à plus d'un siècle. L'arrivée des premiers colonisateurs sur la rive sud de la méditerranée à partir du XIX siècle allait poser le problème de cette relation avec acuité. Bien que les relations entre les Européens/chrétiens et les musulmans remontent à des dates ultérieures, un contact direct et constant allait s'établir entre les deux parties avec la colonisation.

Au premier choc, les musulmans, en découvrant la force des Européens se demandaient comment se fait-il que ces chrétiens étaient devenus si puissants au point de prétendre les dominer et de les exploiter. De leur côté, les Européens cherchaient à comprendre la réalité de cette partie du monde musulman, qu'ils étaient entrain de conquérir et qui jusque là était considérée comme un rival historique redouté/admiré.

Dès le départ, donc, ces questions se sont posées sur un mode passionnel, et se rapportant essentiellement au mode de présence de la religion dans la société et au rapport entre le religieux et le politique plus précisément.

Pour les musulmans ces questions touchaient directement à leurs croyances. La sécularisation n'avait aucune racine dans leur passé. La religion était encore la référence à partir de laquelle étaient produites, les lois et les institutions qui assuraient le fonctionnement de la société.

Dés la fin du XIX siècle, on avait adopté dans les sociétés islamiques, le terme « ladini » qui signifie littéralement « non religieux » ou « antireligieux » parceque l'expression « séculier » n'existait pas. Les musulmans se voient ainsi dés le départ proposer, ou croient qu'on leur propose, un modèle où l'on rejette la religion. Cette première réaction, fondée sur un malentendu, restera gravée dans la mémoire des musulmans pour toujours. Par la suite un terme « Ilmania » plus proche du sens du mot « séculier » allait substitué le premier, sans pour autant changer en rien à l'attitude de la majorité des musulmans qui aujourd'hui encore continuent à croire qu'adopter le sécularisme revient à remettre en question l'ordre moral, à rejeter la vérité du message religieux et enfin de compte à s'aligner sur un modèle étranger importé. Cela n'a pas empêché que les pays musulmans à leur tour d'échapper partiellement à un processus de sécularisation à pas forcés et de fait, même s'il n'en n'ont pas vécu l'histoire conflictuelle pour les raisons que l'on verra plus tard et qui distinguent l'islam des autres religions.

La Grande guerre de 14-18 qui avait entraîné la disparition de l'Empire Ottoman, a eu comme conséquence la fondation de la république turque, par Kemal Atatürk en 1923. Le califat fut aussitôt aboli et une constitution laïque adoptée un an après. L'abolition du califat, événement historique majeur de l'islam contemporain, a été vécue par l'ensemble des musulmans comme un effondrement de tout l'édifice communautaire traditionnel, qui était pour la majorité le symbole de leur existence comme musulmans et , pour certains un obstacle à la réforme en profondeur. Ce qui était certain pour tous, c'est qu'une page de leur histoire avait été tournée et, qu'une nouvelle ère avait commencé.

La laïcité était perçue comme une pensée étrangère qui signifie de fait que le temporel et le sacré ne peuvent gérer ensemble la cité en suivant l'exemple du christianisme en donnant la terre à César et n'y laissant pas de place pour Dieu. Pire encore pour d'autres qui y voient une idiologie antireligieuse, un moyen sournois de désislamiser les musulmans, comme c'était le cas dans l'URSS stalinienne, dans un contexte tout à fait différent

Après la colonisation, on a vu naître des états nouveaux avec des appareils administratifs « modernes », souvent directement hérités du colonisateur et, qui ont eu pour mission de contrôler l'ensemble des activités des populations, de changer les anciennes structures d'organisation de la société et de mettre fin à ses formes d'expression traditionnelles.

C'est avec la naissance de l'Etat moderne qu'allait apparaître un courant moderniste et favorable à la laïcité, qui demandait d'accélérer les changements pour transformer et la société et l'Etat pour les débarrasser de leur caractère religieux. Ils trouveront un certain appui auprès de certains régimes « progressistes » comme celui de Nasser en Egypte.

Entre temps un mouvement intégriste puissant allait apparaître (ou réapparaître) sur la scène pour déborder le courant traditionaliste sur sa droite avec une volonté farouche de faire face à l'appareil de l'Etat moderne et de l'appropriation de la symbolique religieuse par des élites liées au pouvoir. Un mouvement qui aura une influence déterminante sur l'évolution des débats autour de toutes ces questions, une influence qui deviendra de plus en plus importante avec l'échec de tous les projets des états arabes dits « socialistes » et l'avènement de la révolution iranienne de Ayatollah Khomeini.

L'avenir des musulmans, va dépendre, à mon avis, dans une large mesure de l'évolution de cette problématique et des réponses qui lui seront apportées par les musulmans eux même.

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