Je suis parti de mon Tchad natal pour atterrir en France, à Paris, le 24 septembre 1977. Comme nombre de mes compatriotes, j'ai bénéficié d'une bourse d'études. La décision qui affectait les nouveaux bacheliers, en fonction des besoins du pays en personnel d'encadrement, m'avait destiné à l'enviable fonction de dirigeant d'entreprises. C'est donc fort logiquement que l'OCAU, en charge de la gestion de nos bourses sur le territoire français, après avoir pris connaissance de mes préférences, me répondit, par la voix d'une serviable Dame que, au vu de l'intitulé de ma décision de bourse, mon chemin est tout tracé. Ce fut donc le concours d'entrée à l'Ecole Supérieure des Dirigeants d'Entreprises. Nous étions deux sur la décision de bourses ; mon camarade de promotion a été passablement intéressé par le projet et s'en est allé voir ailleurs. Je m'engageai dans le parcours classique d'une école de gestion, en même temps qu'en maîtrise de gestion à Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Je suis retourné en Afrique, au Cameroun, où j'ai été en activité pendant 26 années dans les services d'une banque centrale. S'agissant d'un institut d'émission appartenant collégialement à cinq puis six pays, cet engagement tenait lieu de libération en considération de l'engagement décennal que tout boursier était tenu de consentir au bénéfice de son pays. Les hauts et les bas d'une carrière qui aurait pu mieux finir firent que je quittai la banque centrale, à mon regret, après un conseil de discipline faisant suite à la publication d'un livre polémique mais guère exagéré relativement aux mœurs que j'y décrivais avec moults exemples à l'appui.
A priori, et au vu de ce parcours, rien ne laissait présager mon intérêt pour la politique. J'ai eu la chance de disposer, en classe de 4ème, d’une grosse radio, de marque allemande. Elle me permettait de suivre les principales radios étrangères : France, bien entendu, USA, Royaume-Uni, Allemagne, URSS, Suisse et même Afrique du Sud du temps de l'apartheid. Ce fut une belle époque et une bonne école pour celles et ceux parmi nous qui voulaient porter un regard équilibré sur les affaires du monde.
J'espère que ce court rappel donne, à défaut d’une clé de compréhension de mon tempérament, un aperçu d'un parcours hors politique tout en étant totalement mordu par la politique. Il y a peu, je dis à un ami qui se désolait de me voir hors du pays à l'âge qui est le mien : puisque notre parole ne peut influer le cours des choses, je préfère mon exil en terre beauceronne à l'humiliation des dirigeants qui frappent sans trop se soucier des conséquences de leurs actes. Les exemples sont édifiants, après Bisso, Koty, Ibni Oumar et bien d'autres encore, ce 28 février 2024 a vu l'assassinat de Yaya Dillo.
Un homme politique est mort parce qu'il est resté en phase avec ses engagements. La vérité me force à dire que je le connaissais peu. Son nom était connu ; il était l'un des principaux opposants. Je sais aussi qu'il a eu maille à partir avec Idriss Deby. D'après des sources concordantes, ils seraient proches, voire parents. Ne voyez nulle excuse ou début de justification dans cette mise en relation. Mieux, quel que fut le motif, l'assassinat d'un opposant politique est inacceptable.
Le doute n’est plus permis, puisqu’il y a assassinat, seuls en sont responsable les détenteurs des pouvoirs au Tchad. Le président de la transition, son premier ministre, l'ensemble de son gouvernement et la cohorte des généraux sous leurs ordres sont responsables de la mort de Yaya Dillo et des compagnons.
En tant que Tchadien, je suis meurtri. Je souffre. Je perds le sommeil. Je ne saurais dire de quoi demain sera fait ! J'en appelle à l'opinion internationale, aux institutions judicaires internationales, aux organisations non gouvernementales à vocation humanitaire, aux juges et avocats, où qu'ils se trouvent, afin de mettre leurs réseaux en mouvement. Aidez-nous pour qu'aucun dirigeant politique, militaire ou religieux lié au pouvoir en place au Tchad n'échappe à la justice. L’Etat doit protéger les citoyens. Puisque la démonstration est faite qu'il est vain d'attendre un jugement équilibré par le biais des instances de justice au Tchad qui sont tenues et contrôlées par un régime dynastique, clanique et dictatorial, vous, Mesdames et Messieurs, pouvez agir. Faites-le ! Les Tchadiens aussi méritent votre compassion et votre secours. Ce qui est arrivé à Yaya Dillo s'est maintes fois produit au Tchad. Dites : assez, cela suffit !
Je précise qu’il ne s'agit ni de vengeance ni de combat politique d’arrière-garde. Il est question de faire comprendre aux autorités à la tête du Tchad que tous les hommes, toutes les femmes, naissent libres et égaux. Mesdames et Messieurs, l'honneur de ceux qui ont proclamé la déclaration universelle des droits de l'homme (donc aussi de la femme) mérite votre engagement.