Il me semble que la manière de traiter du sujet paraît problématique à double titre. D’abord, s’agissant d’une analyse portée par l’une des directions de la banque centrale, l’intérêt devrait recouvrer l’ensemble des agents économiques de manière équitable. Ensuite, à tout le moins, puisque la raison évoquée est, outre l’orientation fixée par l’OCDE en 2005, l’impact de la crise, avec un regard sur le COVID-19, la cible principale n’aura-t-elle pas dû être les plus vulnérables ? C’est-à-dire les PME et les salariés directement exposés aux perturbations de la conjoncture économique. Plus particulièrement, on peut considérer que sont concernés les salariés ou les chefs d’entreprise dont la rémunération ne dépasse pas 2500 euros, voire ceux dont les revenus atteignent 4000 euros, en activité dans des secteurs vulnérables parce que extrêmement sensibles à la conjoncture.
Que nous disent Lisa GERVASONI et Mark BEGUERY de la direction de l’éducation financière de la Banque de France ? Exploitant une étude d’opinion réalisée par Audirep, en juin 2018, pour le compte de la BDF, ils affirment que seules 17 % des personnes interrogées considèrent avoir une connaissance élevée sur les questions financières. Pour suivre leur démarche et comprendre leur arguments, jetons un œil sur les contours de l’étude.
1. La mission: Accompagner nos concitoyens en développant leurs compétences en matières économique, budgétaire et financière.
La BDF a été désignée opérateur de la stratégie nationale d’éducation financière du public. Tenant compte de cette mission, elle est censée apporter, aux citoyen et entreprises qui en ont le plus besoin, les bases économiques, budgétaires et financières pour optimiser leurs choix.
La stratégie d’éducation économique, budgétaire et financière repose sur les axes ci-après :
- Développer une éducation budgétaire et financière pour les jeunes ;
- Développer les compétences à mobiliser dans l’accompagnement des personnes en situation de fragilité financière par les intervenants sociaux ;
- Soutenir les compétences budgétaires et financières tout au long de la vie ;
- Donner à tous les publics les clés de compréhension des débats économiques ;
- Accompagner les entrepreneurs dans leurs compétences économiques et financières.
Il s’agirait-là d’un beau programme si l’on omettait de regarder les choses dans leurs détails. En effet, pourquoi une banque centrale se mêle-t-elle d’éducation économique et financière ? N’avons-nous pas une belle institution qui, jusqu’à preuve du contraire, assure l’éducation de base. Tout au plus, afin de conforter l’enseignement dispensé, pourrait-on, à partir de la classe de 3ème ou un peu plus tôt, mettre l’accent sur l’enseignement de l’économie qui, rappelons-le, ne se limite pas qu’ au budget et à la finance. Au besoin, les institutions de formation professionnelle (les réseaux de l’AFPA et des GRETA) peuvent valablement prolonger, auprès des adultes, l’enseignement dispensé par les collèges et lycées aux plus jeunes.
2. L’objectif: Donner au grand public et aux entrepreneurs impactés par la crise des informations neutres, gratuites et accessibles.
D’emblée, les auteurs prennent la précaution de signaler que le cadre de leur analyse est balisé par les recommandations de l’OCDE. De leur point de vue, c’est ce qui justifie que des pages ont été dédiées à l’information sur le COVID-19 afin de relayer les mesures d’aides financières relatives au grand public.
Dans le cadre du Coronavirus, nous synthétisons ce que propose la BDF aux personnes physiques qui :
- veulent en savoir plus sur le CORONAVIRUS en général, le public est invité de se rendre sur la page d’accueil (mesquestionsdargent.fr) ;
- ont un problème de surendettement ou pour avoir un compte bancaire (mesures exceptionnelles liées à la crise – foire aux questions) ;
- souhaitent un accompagnement sur le plan budgétaire (Points conseil budget, centres communaux d’action sociale, association Crésus, union nationale des associations familiales ;
- rencontrent des difficultés avec leur banque ou leur assurance (mesures exceptionnelles liées à la crise – foire aux questions) ;
- ont un problème en tant que consommateur (Institut national de la consommation) ;
- souhaitent annuler un voyage (droits en cas d’annulation d’un voyage à l’étranger) ;
- veulent gérer leurs crédits, leurs assurances, leurs placements pendant la crise (Coronavirus et épargne, Coronavirus COVID-19 et assurance, Coronavirus et banque, Restez chez vous ; Coronavirus : aménager son crédit immobilier ou à la consommation) ;
- souhaitent accéder au simulateur d’aides sociales (www.mesdroitssociaux.gouv).
Il est précisé que les services de la BDF rencontrent régulièrement les intervenants sociaux (travailleurs sociaux, bénévoles ou salariés d’associations venant en aide aux personnes en bute à diverses difficultés) pour recueillir leurs attentes quant aux solutions à apporter en matière de fragilité financière.
De même, nous résumons, ci-après, les types d’aides mises en place par la BDF pour les entreprises en raison de la crise liée au Coronavirus :
- liens utiles pour les entrepreneurs (mesquestionsdentrepreneur.fr) ;
- le prêt garanti par l’Etat ;
- la médiation du crédit (mediation.credit.XX@banque-france.fr) ;
- l’aide exceptionnelle de 1500 euros du fonds de solidarité en faveur des TPE, micro entrepreneurs, indépendants et professions libérales ;
- les difficultés pour payer les charges mensuelles (électricité, eau, loyers et factures TPE : report des échéances) ;
- les difficultés pour déclarer et ou payer les cotisations (URSSAF : mesures exceptionnelles) ;
- les difficultés pour régler les dettes fiscales (DGFIP : mesures exceptionnelles) ;
- litige avec une entreprise ou un donneur d’ordre (La Médiateur des entreprises).
Outre ces aides ou informations mises à dispositions ou suggérées par la Banque de France, les auteurs de l’étude passent en revue d’autres aides ou conseils :
- le dispositif de lutte contre la multiplication des escroqueries en période de crise ;
- l’accompagnement des jeunes en école à domicile (des fiches techniques et contenus numériques mises à disposition des lycéens ;
- l’aide au grand public pour comprendre la crise (clés pour comprendre la crise économique liée au COVID-1.
3. Que cherche la BDF ?
La banque de France a déjà beaucoup à faire avec les notes de conjoncture, l’analyse macro et micro-économiques et les études sectorielles, sans compter tout ce qui touche à la monnaie et ses contreparties, aux échanges extérieurs et à la balance des paiements, à l’emploi, à l’évolution des prix, à la compétitivité et à l’économie de demain, la réglementation et contrôle bancaire, etc. ?
La grille de lecture, en même temps que la réponse à ce que cherche la banque centrale, nous est fournie dans l’étude entreprise et présentée par les deux auteurs. Ils nous renvoient à la définition que l’OCDE donne de l’éducation financière : Le processus par lequel le consommateur financier améliore sa compréhension des produits financiers, concepts et risques financiers(…) pour développer sa capacité à faire des choix éclairés et savoir à qui s’adresser pour être aidé, via des informations, de la formation ou des conseils objectifs. Afin de rendre cette orientation acceptable et adaptable à tous, les experts de l’OCDE ajoutent que tout ceci devrait avoir un caractère purement pédagogique et se faire de manière accessible à tous, gratuitement et dans la neutralité.
En y regardant de près, nous n’avons pu nous empêcher de constater qu’à l’âpreté et à la cupidité inhérentes aux tenants de l’économie libérale, la financiarisation ajoute la duplicité et le contrôle des consciences. Pour que ce contat qui pourrait frapper les consciences soit laissé dans l’ombre, les deux auteurs nous amadouent. Par exemple, ils essaient d’expliciter le concept anglo-saxon empowerment qui ne signifie pas seulement faire des choix en conformité avec ses intérêts.
Relevons que l’agent économique, quelle que soit la latitude sous laquelle il vit, est rarement enclin à faire des choix en opposition à ses désirs ou son plaisir. On pourrait nous retorquer qu’il y a bien des personnes qui se suicident ou qui s’adonnent aux excès tels que l’alcoolisme, la drogue ou la surconsommation entrainant obésité et moult maladies. En effet, mais au moins sur une partie de nos arguments, ceux relatifs aux consommateurs qui ne se laissent pas tenter par le suicide, la responsabilité de la publicité et de la pression exercée par des médias de plus en plus intrusifs quant au libre choix ne reste-t-elle pas recevable ? Que dire de l’impact sur ceux de nos concitoyens mus par l’avidité du gain, enclins à une surexposition aux influences extérieures ou particulièrement fragiles !
Rappelons que c’est à la suite d’une étude menée par l’OCDE en 2005 et de l’injonction plus ou moins formelle d’impliquer les Etats dans des politiques volontaristes d’éducation financière que, en 2016, la France s’est appropriée cette stratégie. La Banque de France, désignée opérateur au niveau national, a commandité une étude en 2018 qui révèle, entre autres, que seuls 17% des sondés s’estiment très bien informés en matière financière.
L’étude publiée dans le bulletin 229/3 de la BDF affirme que l’enquête d’Audirep a mis en avant une certaine méconnaissance des produits financiers et des difficultés d’une partie significative des répondants à faire des calculs financiers simples. Si l’on voulait nous faire comprendre comment se laisser séduire par des transactions relatives aux produits financiers, on n’aurait pas trouvé un chemin plus direct. Ce qui intéresse les promoteurs des produits financiers est moins d’éduquer les citoyens que de leur inculquer une communication ciblée, orientée, sur-mesure et facilement compréhensible pour un consommateur lambda, existant ou à susciter. En effet, une fois la collaboration puis l’implication des gouvernants et des décideurs économiques acquises, il convient de ratisser large. Ce ratissage va jusqu’au bas-de-laine de grand-mère et le modeste contenu du livret A. Il n’a échappé à personne que ledit livret a été astucieusement vidé de son sens ; sa rémunération à un taux qui ne couvre même pas ou à peine l’érosion du pouvoir d’achat provoquée par l’inflation a fini par décourager les plus fidèles détenteurs. En conséquence, l’argument qui fait de l’éducation économique, budgétaire et financière un cheval de Troie devient imparable. De plus, ainsi que souligné, l’appel s’adresse à tous les niveaux de portefeuille. A ceux qui l’ont plat ou peu garni, l’information transmise sous la forme d’une éducation/formation au ras des pâquerettes incite à se détourner du livret A et des autres épargnes classiques, certes peu rémunérateurs mais sûres.
Plus clairement, cela signifie : puisque l’Etat vous a abandonnés à votre sort de laissés-pour-compte, venez voir du côté de la finance ; elle sait récompenser les audacieux. Les promoteurs de la libre finance prient les incrédules à se remettre aux spécialistes qui travaillent pour le smicard comme ils le feraient pour ceux qui ont des revenus dix fois supérieurs. De toutes les manières, pour ces financiers-là, le smicard comme celui qui dispose d’un revenu salarial plus élevé restent des péquenauds qui apportent leurs mises et attendent qu’advienne l’heureuse surprise. L’attention principale des commanditaires de la finance va aux détenteurs de revenus plus que consistants. Ils vont choyer ceux qui sont en mesure d’investir quelques points de pourcentage d’une affaire. Tous les autres, consciemment ou non, accompagnent et soutiennent les premiers de cordée que sont les gros portefeuilles.
La désinvolture envers les bas revenus tient à la désorganisation de ces derniers. Pire, même lorsqu’ils sont représentés pas des associations de petits détenteurs, c’est souvent un demi-gros ou un faux-petit qui tire les marrons du feu. Il arrive même que, bien que représentant, ensemble, un pourcentage appréciable du montant souscrit, la désorganisation due à leur éparpillement empêche de constituer une force autonome en mesure de revendiquer une meilleure part des gains. A contrario, les gros, même lorsqu’ils ne sont pas particulièrement importants, s’arrogent le contrôle ou se cooptent afin de constituer des majorités relatives, au moins de circonstance, qui leur permettent de gêner une prise de décision contraire à leurs intérêts.
Ce qui fait pencher la balance étant le taux brut de rémunération, les petits porteurs, passé l’euphorie initiale née d’une communication outrancièrement attractive, se retrouvent avec la portion congrue au moment de la répartition des revenus. Délaissés ou méprisés par l’Etat, ils sont ainsi grugés ou sous rémunérés par la finance. Le découragement n’est alors pas loin. L’idée des experts de l’OCDE de formater leur appétence, sous prétexte de développer leurs compétences en matière économique, budgétaire et financière se révèle un leurre insoupçonné et un piège d’une redoutable efficacité.
4. Ce qui devrait attirer l’attention
Le plus grave n’est pas que les mandataires de la finance veuillent embrigader ceux pour qui ils n’ont pas le moindre souci de prévenance, il est dans la connivence avec laquelle la Banque France, le service public par excellence, se prête à la même farce.
Ni l’éducation budgétaire et financière pour les jeunes ni l’accompagnement des personnes en situation de fragilité financière ne sont, à proprement parler, ce que l’on pourrait décemment appeler une éducation en matière économique et financière.
Les financiers empruntent le même subterfuge que leurs prédécesseurs. L’industrie, et surtout l’agro-industrie, n’a-t-elle pas si bien réussi à formater les goûts au point de faire acheter tout et à tout le monde ? Devons-nous nous étonner que la finance emprunte un procédé insidieux qui a si bien fonctionné ? Pourquoi voudrait-on qu’elle se prive d’utiliser un outil qui, avec une déconcertante facilité, a réussi à convertir puis à adapter de manière permanente les goûts et les choix des usagers, consommateurs ou épargnants ?
Enfin, dans le même ordre d’idées, comme conséquence de la mainmise des gros industriels et des magnats sur la presse écrite et sur la télévision, avec la connivence des politiques amis, le tour est joué. Par exemple, la rédaction de Le Monde qui faisait ou défaisait les directions s’est ainsi trouvée réduite à son rôle le plus simple : écrire des articles vendables. Les cessions de la 5 à Berlusconi et de TF1 à Bouygues n’étaient que le prélude à un contrôle général de la presse et de la plupart des médias par ceux qui gouvernent déjà l’économie.
C’est ce même processus qui conduit à faire de la banque centrale un relais de la mondialisation financière. Ce postulat n’est pas gratuit, je vais vous relater une expérience.
Une petite entreprise dont le chiffre d’affaires mensuel est de l’ordre de cent mille euros s’est trouvée en difficulté de trésorerie. Les factures se sont accumulées et la direction n’a pas su frapper aux bonnes portes pour obtenir un report des échéances ou un financement de trésorerie par une banque. Des huissiers ont été commis. Prompts à justifier leurs émoluments, ils expédient les lettres de sommation d’usage. Puis, sans réaction de l’entreprise dans les délais requis, ils demandent et obtiennent une saisie de ses comptes. Déjà en bute aux difficultés de trésorerie, l’entreprise est bloquée, asphyxiée et s’est trouvée inscrite au fichier des mauvais payeurs auprès de la BDF.
Outre les démarches auprès des créanciers, URSSAF et Impôts principalement, nous avons proposé de prendre attache avec les services de la Banque de France afin de bénéficier du droit au compte. En dépit de l’urgence de la situation, il a fallu pas moins de trois semaines pour une simple prise de rendez-vous.
Il importe, pour l’exactitude, de dire que les services de la BDF ont été courtois et accueillants. Il restait à vérifier leur promptitude à apporter une réponse sous la forme attendue : le droit au compte qui est du seul ressort d’une banque centrale. Ce fut inutilement long. Au lieu d’une issue immédiate, pour venir en aide à une entreprise en situation d’asphyxie, il a fallu se débattre pendant deux mois pour obtenir l’ouverture d’un compte.
Je vous épargne les détails tatillons des conditions imposées par la banque désignée. L’usager du droit au compte n’est guère plus autonome, dans la gestion de son propre compte, qu’une personne en situation de tutelle ou de curatelle. Je ne souhaite à aucun responsable d’entreprise de se trouver dans une conjecture semblable.
Cette expérience nous a rendu suspects au regard de la véritable utilité de la banque centrale, en tant qu’aide et conseil aux individus et aux TPE. A tout le moins, notre doute subsiste tant que dure son mode de fonctionnement d’aujourd’hui. Nous avons résumé supra les dispositifs mis en place pour venir en aide aux individus et entreprises fragilisés par la crise. S’interroger sur leur véritable impact quant aux attentes du citoyen, en particulier lorsqu’il s’agit d’un petit entrepreneur ou d’un salarié en situation de précarité, ne nous a pas paru superfétatoire.
La conclusion que nous tirons à la lecture de l’étude sur l’éducation économique et financière sous la plume des deux honorables analystes ne nous a pas davantage rassurés. Ils nous laissent la triste impression que le citoyen est tenu en laisse.
Comme si l’intention n’était pas assez transparente, l’étude ajoute : si les résultats confortent l’intérêt de la stratégie d’éducation financière en temps normal, celle-ci est encore plus nécessaire dans le contexte actuel de crise. Visiblement, même le recours à l’argument COVID-19 n’a pas semblé de trop aux deux auteurs pour démontrer l’utilité, voire le caractère indispensable de cette éducation dont l’objectif premier ne reste pas moins de fabriquer des consommateurs-épargnants à peu de frais.
En effet, ne sommes-nous pas passés des produits de base à portée de tous à l’équipement ménager tout azimut, de l’agriculture et de l’élevage à la dimension du paysan aux productions en batterie, des vacances communales et des colonies de vacances scolaires aux plages surchargées, du livret A au contenu disponible tout en étant rémunéré aux placements financiers dont on est même pas sûr qu’en cas d’alerte la mise de départ soit garantie ? Quel monde !
Relativement à la mission avouée qui est accompagner nos concitoyens en développant leurs compétences en matière économique, budgétaire et financière, la profession de foi est restée ce qu’en font les politiques. C’est-à-dire une promesse sans engagement.
De notre point de vue, de la prétention à éduquer à sa concrétisation, Il y a un écart que, en dépit de leur application, les deux auteurs ne sont pas arrivés à combler, loin de là.
Torcy, le 10 juin 2020
MAHAMAT MASSOUD.