Le racisme : expression d’une éducation culturelle mal assumée !
Je vous soumets un point de vue sur une vision possible du racisme. Puisque chaque citoyen peut avoir son opinion sur le sujet, il m’a semblé utile d’apporter ma lecture ou ma perception. Ma réflexion est partie des propos, de prime abord, ordinaires qui ne sont pas moins révélateurs d’un état d’esprit sinon de l’influence ou de l’impact de notre culture et de notre éducation. Cette charge culturelle tend à instaurer des différences tenant à la couleur de la peau, la religion, la provenance géographique, etc.
1. Une rencontre amicale bienvenue
Les propos dont il est question ici proviennent d’échanges lors d’une récente rencontre. Nous n’avons aucune raison de soupçonner, même indirectement, que le racisme put affecter les personnes dont nous faisions connaissance. D’ailleurs, nous n’avons pas changé d’avis.
Pour situer le contexte de notre conversation, disons qu’elle s’est déroulée le 13 juin 2020, dans un village environnant Provins. Nos hôtes forment un beau couple sexagénaire, confortablement installé et jouissant d’une situation sociale enviable. Ils peuvent même être perçus comme faisant partie des 10 à 15% les mieux lotis. C’est dire s’ils courent le moindre risque d’être exposés aux tracas ou à la promiscuité familière aux habitants de la proche banlieue parisienne et de certains quartiers de Paris intramuros. Le mari a été notre interlocuteur principal ; son épouse n’a pas semblé abonder dans le sens de son conjoint lorsque les questions étaient équivoques.
Par commodité, nous l’appelons Victor, un homme affable, courtois, d’abord simple, féru d’histoire et d’excellente compagnie. Nous avons discuté de choses et d’autres touchant à l’histoire. Puis, rappelant ses origines grecques et l’occupation ottomane qui n’a pas été sans douleur, Victor dit : les Africains donnent l’impression que l’esclavage n’a concerné que les Noirs. Nous avons acquiescé. En effet, l’esclavage et la colonisation ont existé bien avant que les Blancs découvrent jusqu’à l’existence même de l’Afrique. On peut tenter de le dater en remontant guère plus loin que trente à quarante mille ans. Depuis l’avènement sur terre d’Homo sapiens, chaque fois qu’un groupe humain s’est constitué, la domination, l’exploitation, l’esclavage et la colonisation ont accompagné ses mouvements. Le dominé payait tribut ou était voué à la réalisation des tâches ingrates et avilissantes. Il était amené à embrasser les pratiques sociales et la religion du plus fort. Il était utilisé pour renforcer l’armée du dominant, etc. En fonction des circonstances, cet état des choses pouvait changer. Grâce aux alliances, en raison de l’évolution démographique ou avec l’avantage du progrès technologique, le dominé renversait son maître et le transformait en vassal. Il arrivait même qu’il le supprimât afin d’éviter un retournement de situation dont lui-même avait été bénéficiaire. Tel était, sans doute, le cas dans le bassin africain qui a vu naître Homo sapiens. Tel avait pu être une des raisons qui provoquaient les migrations. On peut supposer que les plus agiles parmi les dominés, n’acceptant pas la soumission, choisissaient de s’éloigner des prédateurs. Tel pourrait avoir été la cause de l’arrivée de Sapiens en Asie puis en Europe.
Il va sans dire que, tant dans son berceau africain qu’à travers la migration, Sapiens a appris à se renforcer. Il constituait des groupes plus nombreux donc davantage susceptibles de se défendre et d’agresser d’autres. Le regroupement implique la quête de plus de nourriture donc plus de ruse et d’industrie, notamment pour la fabrication d’armes et d’outils. Fatalement, et jusqu’à démonstration contraire, la quête de bien-être et l’accumulation de biens, de richesses, y compris les plus basiques, était violente en ces temps-là. La structure mentale et sociale d’Homo sapiens suppose qu’un groupe s’approprie un territoire, un champ, un abri au détriment d’un autre. Dans les meilleurs des cas, cela se faisait en annexant les domaines et en assimilant les populations. Il arrivait que le groupe dominé paie tribut et sauve, en quelque sorte, sa spécificité. Plus souvent, la loi du vainqueur imposait des sacrifices qui ont pour nom exploitation, colonisation, esclavage.
2. Le racisme, résurgence ou sécularisation ?
Ainsi que l’a rappelé Victor, l’esclavage ne se circonscrit pas à la traite négrière. Il est l’exploitation d’un peuple ou d’une personne sans que sa production ou sa contribution soit compensée ou rémunérée à la hauteur de la peine endurée. A ce premier critère s’ajoute un second : l’exploité dispose de peu de degré de liberté ou de choix quant à la possibilité d’apporter ou non cette contribution. Autrement dit, l’esclavage, tout comme la colonisation, est le résultat le plus plausible lorsque la loi du plus fort est mise en application, dans un contexte de totale liberté tant pour le fort que pour le faible. En l’absence d’une structure régulatrice, type Etat de droit démocratique, la loi est faite et dictée au bénéfice du plus fort ou des plus nombreux ou encore des plus industrieux.
Quel que soient les précautions prises pour tempérer les rigueurs de la colonisation, elle ne diffère de l’esclavage qu’en raison de son moindre degré quant au servage ou la soumission qu’impliquent l’une et l’autre. Le propre de Sapiens est de s’adapter, c’est-à-dire maintenir la domination du plus fort en adoucissant les contraintes qui pèsent sur celui qui subit, le faible.
Puisque l’esclavage a fini par être aboli, parce que devenu inutilement abominable, comment justifier l’avènement de sa sœur cadette qu’est la colonisation ? La question s’était posée et elle a été tranchée : la colonisation, comme l’esclavage, annihile le caractère sacré de la personne humaine. N’en déplaise au Sieur Louis XIII et son Code noir, ne sommes-nous pas, tous ensemble, bien mieux en un monde moins ouvertement ségrégationniste ?
Après cette digression, revenons à nos échanges avec Victor. Tout en lui sachant gré pour la justesse de son affirmation quant à l’esclavage qui a, en effet, existé entre Blancs avant de déborder sur d’autres mondes si non sur d’autres populations, nous avons noté un point de désaccord dont nous ne lui fîmes pas cas de suite afin de laisser la discussion suivre son cours.
Abordant les manifestations antiracistes en cours en France, Victor fit remarquer que ceux qui manifestent si bruyamment devraient se rappeler que la couverture sociale est bien meilleure en France qu’elle ne l’a jamais été dans aucun autre pays, y compris parmi les plus développés. Sur ce point encore, nous ne pouvons que nous incliner et reconnaître que son point de vue tient la route.
Avançant dans sa narration, Victor lâcha quelques critiques à l’encontre des services préfectoraux en charge de la régularisation des sans-papiers. Il vint à conter les mésaventures advenues à l’un de ses protégés qui, après dix ans de vie clandestine, s’était présenté à la préfecture du ressort de sa résidence en vue de solliciter la régularisation de sa situation. La requête fut reçue avec la disponibilité et la courtoisie requises. Cependant, on fit comprendre au récipiendaire que l’obtention d’un titre de séjour est soumis à condition. Afin de prouver une situation stable et économiquement autonome, la présentation d’un contrat de travail à durée indéterminée est exigée. Une fois encore, nous avouâmes notre similitude de vue et partageâmes son étonnement.
3. Certains gestes sèment un sérieux doute
Enfin, le troisième point évoqué par Victor porte sur la sécurité qui vint bousculer notre calme et cordiale conversation à quatre, sans que nous nous y soyons préparés. Si les points sur l’esclavage et sur le caractère tatillon de la loi relative à la régularisation des résidents irréguliers de longue durée, l’accord fut total, il n’en fut pas de même lorsque la méfiance ou la peur fit irruption.
Victor avoua que, en ses souvenirs, au moins une fois, la vue d’un groupe de jeunes Noirs, à la sortie des Halles, suscita en lui une réelle peur. Quels que surpris que nous ayons pu être, il nous parut malaisé d’afficher vertement notre désaccord. Notre retenue se justifiait d’autant plus que peu d’explication vint éclairer notre compréhension de cette réaction.
Pour prévenir tout jugement par trop sévère que, par ailleurs, Victor, en tant que citoyen, aurait le moins du monde mérité, rappelons brièvement son excellent parcours. Il quitta tôt l’école et s’engagea dans la vie active à un âge où d’autres poursuivent leurs classes de collège. Cette précocité, synonyme de détermination et de fidélité quant à l’atteinte de ses objectifs, explique sans doute sa réussite professionnelle et sa situation sociale riche. La preuve, son assise confortable se signale par un patrimoine résidentiel d’ordinaire demeure des membres de la haute société. Il eut deux enfants, aujourd’hui grands, et, à travers deux mariages, mène une vie amoureuse que l’on peut sans exagération qualifier de réussie.
Alors que s’est-il passé dans la représentation mentale de Victor qui évoquerait la peur à la vue d’un groupe de jeunes furent-ils noirs ? Les parents de ceux-ci auraient juré la main sur le cœur qu’ils ne sont ni menaçants, ni agressifs. Ils flâneraient et seraient en quête de passe-temps pour se sortir d’un quotidien contraint. Avouons que, pour notre part, la réaction première qui nous vient, à la rencontre de ces jeunes, serait davantage la compassion ou la tristesse que la peur ou la crainte, par exemple de se voir subtiliser un portefeuille.
Sans soupçonner en Victor quel que trace de racisme que ce soit, la question quant à l’explication de sa réaction craintive continue d’effleurer notre esprit. La zen attitude verrait dans la déambulation des jeunes une quête d’espace de vie à partager et d’air de jeux pour se dégourdir. Il n’y a qu’un certain discours, symptomatique de liens sociaux conflictuels, qui associerait, du moins les jeunes sinon tout ce qui est plus ou moins basané, à un risque de fauchage de sac-à-main de grand-mère ou d’arrachage de Rolex d’un Bobo inoffensif en villégiature.
Si nous ne pouvons décemment qualifier Victor d’être sujet à une réaction à tendance raciste, nous nous montrons moins enclins à exonérer l’influence exercée par notre éducation ou par la culture ambiante qui installe dans certains esprits la crainte et la méfiance. La peur peut ainsi induire une forme de racisme de protection voire de conviction qui ne reste pas moins une forme outrancière, agressive et déshumanisante de la gestion du rapport à l’autre.
Quel est le socle du racisme, de l’antisémitisme, de la xénophobie ? Sur quoi reposent ces déviances ou ces comportements criminels ? Négligeons ce que nous pourrons qualifier de réaction irrationnelle ainsi que la crainte ancestrale de survie propre à l’Homo sapiens qui, par définition, dépassent l’entendement. Intéressons-nous à la culture et à l’éducation.
4. La parole du premier de cordée
Prenons les termes culture et éducation dans un sens simplificateur : tout ce qui contribue à accepter et à mettre en application les règles de vie édictées par les lois de la République. Même vue sous cette acception à minima, la perception que nous en tirons varie en fonction de notre rang dans la société, notre vision du vivre-ensemble et sans doute aussi des considérations qui tiennent à l’apparence physique, l’orientation sexuelle voire le lieu d’habitation.
Une illustration du relativisme ou de la banalisation dont le soubassement pourrait être l’éducation ou la culture, nous a été donnée par le Chef de l’Etat lors de son allocution du 14 juin 2020. Parmi les points évoqués figure un bref passage sur lequel il mit un accent appuyé. Nous en avons retenu que la République ne remettra pas en cause le passé de la France et que nous ne déboulonnerons aucune statue. Dont acte !
En effet, jusqu’à ce que Jacques Chirac ait mis les pieds dans le plat, la République, y compris sous la Vème constitution, s’était gardée de trop remuer certains aspects nauséabonds de notre histoire. Autrement dit, il a fallu du temps pour voir accepter l’évidence. Il a fallu du courage et une évolution des esprits pour reconnaître que la dépétainisation n’a pas été exempte de quelques arrangements. La reconnaissance des excès de la colonisation ne s’est pas faite sans atermoiements. Les regrets face aux souffrances infligées par l’abandon des Harkis et l’oubli des Tirailleurs (sénégalais) n’ont été ni spontanés ni réparateurs. C’est en considération de tout cela que la posture du Chef de l’Etat paraît pour ce qu’elle est : une fin de non-recevoir. Elle intime le silence aux descendants d’esclaves qui traversent, quotidiennement, des rues portant des noms équivoques ou qui passent devant des demeures affichant fièrement et de manière remarquable leur passé esclavagiste ou colonial.
La plus haute autorité du pays a-t-elle été en manque de trouver un mot d’apaisement pour ceux qui souffrent de se voir narguer par ces vestiges des temps lointains au cours desquels leurs aïeux étaient passés des premiers parmi les hommes (Afrique berceau de l’humanité) à biens corvéables, malléables et négociables ?
Puisque, comme nous tous, ceux qui demandent justice ressentent une fierté certaine à affirmer que l’histoire de France est la leur, serait-il trop demander à la République, via ses représentants, d’exprimer notre compassion et notre respect, tout simplement l’affirmation de la fraternité qui est le mot cardinal de notre devise ?
Même si, socialement, économiquement et électoralement, ceux qui attendent un geste de fraternité, pèsent d’un poids peu considéré, la République devrait-elle les dédaigner ?
Les réponses à ces questions, sans conclure prématurément à un aboutissement heureux, pourraient donner un sens au mandat politique et à la noblesse de la fonction publique. En tous les cas, elles lèveront l’ambiguïté de certains gestes, des mots équivoques et des paroles maladroites. A n’en pas douter, elles apaiseront la rancœur. Parce qu’elles signifient partager une douleur qui, somme toute, nous est commune, à la condition d’oublier nos intérêts immédiats, savoir les confronter victorieusement se suggère comme une absolue obligation.
Torcy, le 15 juin 2020 MAHAMAT MASSOUD.