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J’avais 13 ans à l’époque. Le 7 Avril 1994, j’ai cessé d’habiter le Rwanda. Je ne pense pas qu’il serait judicieux de dire que j’y habitais encore durant les trois mois que j’y ai vécu en cavale, avec des extrémistes hutus à ma poursuite et celle de ma famille. Ma tête était ailleurs, et je me disais que si jamais j’arrive à fuir ce pays, jamais au grand jamais je n’y mettrais plus les pieds. 30 ans c’est beaucoup. J’y suis beaucoup retournée et même si je n’y vis plus, j’ai gardé une attache profonde pour mon pays le Rwanda. 30 ans c’est également très peu pour comprendre l’incompréhensible. J’ai longtemps essayé de comprendre. Comment des voisins peuvent un jour se lever, et décider de dénoncer leurs propres voisins. Décider de leur mort avec sang froid ?
Mon père, Boniface Ngulinzira, opposé au régime extrêmiste hutu a été dénoncé par des civils. Des gens du nord, des bakiga, à qui on avait inculqué la haine du tutsi depuis plus de trois générations. Le tutsi pour eux n’était pas un être humain. Mon père lui, était un traitre pour eux. Comment des gens peuvent décider de droit de vie ou de mort sur quelqu’un aussi facilement ?
Des gens qui allaient à la messe.
Des gens qui étaient des amis.
Des gens qui allaient le voir pour des soucis d’école de leurs enfants.
Au Rwanda de 1994, de nombreux civils hutus ont décidé un jour d’écouter les appels à l’extermination des tutsis et des opposants à la radio nationale et la radio RTLM. Ils ont executé le génocide contre la minorité tutsie à côté des militaires et des gendarmes.
Toutes les classes sociales confondues. Des illettrés jusqu’aux universitaires.
Un jour, ils ont pris des machettes, ont été dans des maisons des tutsis et ont procédé au massacre des familles entières.
Ils n’en sont pas restés là : ils ont fouillé dans des buissons, des forêts, des bananiers pour y débusquer et exécuter ceux qui s’y sont cachés.
Ils ont érigé des barrières, contrôlé les cartes d’identités, pour qu’aucun tutsi ne les échappe.
Leur violence était innouie.
Trois mois après, plus d’un million de tutsis ont trouvé la mort dans ce génocide atroce.
Et ce n’était pas fini. La dernière étape de ce génocide contre les tutsis est de le vider de son sens. De s’enlever toute culpabilité et si possible de remettre la faute sur les victimes. Commis au grand jour, il ne peut bien sûr être renié. La stratégie du négationnisme aujourd’hui est donc de lui renier ses signes identitaires. L’un des signes étant que c’était un génocide prémédité et préparé minutieusement.
Le négationnisme préfère la théorie de la révolte spontanée, non organisée. On pourrait alors se poser la question de savoir comment peut-ont être révoltée et en une minute, avoir à sa disposition une radio de haine, des machettes à disposition, des barrières forgés dans tout un pays, un gouvernement qui soutient la révolte chaotique de s’en prendre à son voisin tutsi ?
A vrai dire, le génocide perpétré contre les tutsis résulte d’une idéologie de haine anti-tutsie qui planait sur le Rwanda depuis plus de 35 ans. Plus qu’une idéologie, la discrimination anti-tutsie au Rwanda pré-génocide était un système organisé qui touchait tous les domaines clés de la vie sociale, culturelle et économique du Rwanda.
Comment en sont-ils arrivé là alors ?
Il a fallu beaucoup de haine, plus de haine encore, et encore de la haine anti-tutsie sur de nombreuses années. Ensuite, beaucoup de préparation, plus de préparation et encore toujours de la préparation. Des distributions d’armes, d’alcool et de drogues aux miliciens interahamwe, des réunions, des rédactions de listes, des appels à la violence.
Puis une exécution organisé, soutenue et encouragée par le gouvernement de l’élite hutue de l’époque, l’armée, la gendarmerie, et une grande partie de la société civile hutue.
Mélangez ceci à une indifférence quasi totale de la communauté Internationale.
Voilà comment des opposants à ce régime, traités de traitres, ont été massacrés, certains avec leurs familles.
Aujourd’hui, pensez à ces personnes dont la vie a été enlevée pour le simple fait d’avoir dit non à la haine.
Voilà comment, plus d’un million de tutsis ont trouvé la mort au Rwanda de 1994.
Aujourd’hui, pensez à ces personnes dont la vie a été enlevée pour le simple fait d’être nées tutsies.
Que vous dire trente ans après ? Ne haïssez jamais l’autre pour ce qu’il est. Inculquez l’amour à vos enfants. Traitez bien vos voisins. Faites attention au négationnisme de ce génocide perpétré contre les tutsis.
Zaha Boo