
Madamedub.com : Vos deux précédents ouvrages prennent place en Alaska, quelle connexion existe entre ce lieu et votre inspiration d’écrivain ? Vous imaginez-vous situer vos romans ailleurs ?
David Vann : Du plus loin que remonte ma mémoire il y a l’Alaska. La foret du Ketchikan. Ca a toujours été un endroit mythique à mon sens. Lorsque j’écris ce paysage, je suis toujours surpris de la métamorphose que lui donnent mes mots. C’est l’endroit qui m’inspire les personnages et les récits qui y prendront place. Partant de là, je ne suis pas sûr de pouvoir écrire un jour un roman qui parle d’un ailleurs avec lequel je n’ai pas une relation si profonde. Ceci étant mes deux prochains romans se situent en Californie du nord, qui n’a aucun rapport en terme de paysage mais est également très lié à ce que j’ai vu enfant.
Madamedub.com : Vos romans sont de véritables drames psychologiques. Qu’est ce qui vous inspire les portraits de ces hommes et femmes et de leur quêtes intérieures ?
David Vann : Je suis particulièrement inspiré par la tragédie antique, par l’évolution qu’a connu ce genre depuis 2500 ans de littérature maintenant, qui systématiquement place ses situations premières (telles que le mariage, ou la relation d’un père et de son fils) dans des conditions telles que ces êtres finissent par se briser. Lorsque cela se produit, ils découvrent qui ils sont nous permettant à travers eux de comprendre qui nous sommes. La tragédie c’est en définitive la forme absolue qui raconte des hommes et des femmes qui se révèlent, parfois contre leur grès.
Madamedub.com : Les Hommes sont décrits comme fragiles et égocentriques dansDésolations. On pense en particulier à Gary et Jim en regard desquels Rhoda et Irène semblent n’être que force de dévotion. Etait-ce intentionnel ?
David Vann : Je ne suis pas certain que le traits puisse être brossé d’une façon aussi franche. Ce qui lie tous ces personnages c’est cette dynamique de leur vie qui à un moment donné leur a échappé. Leur vie a emprunté une forme inattendue les rendant différents de ce qu’ils imaginaient devenir. Gary et Jim sont totalement différents dans ce qu’ils se rêvent (Gary a une vision romantique de la vie sauvage quand Jim ne se voit que dans la consommation de sexe à outrance). Rohda et Irene ne sont pas plus similaires, la dernière est prisonnière de son héritage alors que Rhoda possède tellement plus la capacité pour s’en échapper.
Mon père et mon grand-père n’ont été que déception, il fallait bien que les femmes de ma famille tiennent bon dans la tempête. Alors d’une certaine façon on en retrouve des échos lorsque j’écris.
Madamedub.com : Vous nous l’avez dit, vous avez vécu en Alaska. Avez-vous déjà rencontré ces aventuriers à la recherche d’eux-meme ? Ces êtres égarés qui pensent trouver une forme de Vérité dans la difficulté d’une terre aussi sauvage ?
David Vann : J’ai pu croiser en Alaska quelques personnes qui collent à cette description en effet, mais ailleurs dans le monde aussi. En particulier dans des endroits où la nature est atypiquement belle comme la Nouvelle-Zélande, l’Australie ou la Turquie.
La vision moderne de la terre sauvage qui existe aux Etats-Unis vient des transcendantalistes telle qu’ils l’ont vue au travers des poètes romantiques anglais. Ils développent l’idée que la bonté et l’innocence peuvent être retrouvées dans la nature.
Je pense que cette dernière ne nous donne rien d’autre qu’un simple miroir et que ce desert du froid n’est définitivement pas l’endroit où courir si l’on cherche à se fuir.
Madamedu.com : La maladie d’Irene est particulièrement agressive, son état se dégrade à mesure que l’ouvrage progresse. Sans révéler la fin du roman bien sûr, on peut considérer qu’elle se noie peu à peu dans la folie et la douleur. Cette image de l’isolement dansDésolations est finalement une métaphore d’une sorte de duel. Souhaitiez-vous mettre en avant cette image d’un mariage difficile ou s’agit-il simplement de l’échec de deux êtres à l’aune de leur union ?
David Vann : Je n’ai pas ce genre d’ à-priori ou d’idée lorsque j’écris. Je ne savais pas au départ ce qu’il en serait de ce mariage. D’une certaine façon je n’essayais rien d’exprimer de particulier à ce propos.
L’écriture telle que je la pratique est presque un processus inconscient. Un inconscient qui prendrait des histoires de familles sordides de tout temps et les écraserait, les transformerait sur le paysage.
La maladie d’Irène est toute droit sortie de mes propres migraines. J’ai eu deux violentes crises de presque un an chacune, un an de douleur continue.
Ce qu’Irene affronte c’est 30 ans de mariage et autant de douleur, c’est 45 ans passés à nier et essayer d’oublier le suicide de sa mère. Tous les éléments se mettent en place pour cristalliser sur elle une pression énorme.
Madamedub.com : On imagine aisément que vous avez été porté par le succès deSukkwan Island. Vous avez dit dans un entretien que son écriture vous avait pris plusieurs années. Cette expérience a t-elle rendu l’écriture de Désolations plus simple ?
David Vann : J’ai entamé l’écriture de Désolations il y a 14 ans, j’en avais 30, presque immédiatement après avoir achevé Sukkwan Island mais je n’arrivais pas à passer le cap de la page 50. Et puis, il y a deux ans, en janvier 2009, je me trouvais sur le lac gelé où prend place le roman et j’ai « vu » comment l’écrire. Je me suis alors remis à l’écriture, et en à peine 5 mois Désolations s’est construit. La version finale du roman est à peu de choses près telle qu’elle était lorsque j’ai posé le point final de mon manuscrit. Et cette idée me plaît assez, parce que le lecteur peut alors envisager la récit exactement comme je l’ai fait.
Madamedub.com : Quels sont vos prochains projet d’écriture ?
David Vann : Mon prochain roman Dirt est à paraître en mai 2012 pour les anglophones et dans le courant de l’année 2013 pour les français, toujours chez Gallmeister. Vous n’y trouverez pas d’Alaska pas de père, pas de suicide ni d’île. Il retrace une mère et son fil dans un paysage brûlant.
Madamedub.com : Quelles sont vos lectures du moment ?
David Vann : Je suis en train de dévorer Bear Down Bear North de Mélinda Moustakis. C’est le premier roman de cette toute jeune auteur, un recueil de nouvelles qui prennent place .. en Alaska.
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