
Je me suis beaucoup interrogé : Pourquoi, à l'heure où même dans Plus Belle La Vie il y a des pédés qui s'assument à l'heure du goûter-pause télé de nos chères têtes blondes, sortent des livrets comme "Les Homosexuels Font-Ils Encore Peur" ?
J'ai fini par aboutir à une théorie, dites moi ce que vous en pensez.
Un éditeur vend des livres : il ne les donne pas généreusement, il ne les garde pas jalousement, il les vend. Et plus l'éditeur est un grand et célèbre éditeur, plus il vend d'exemplaires. Ou plus probablement : plus il vend d'exemplaires, plus il est grand et célèbre. Et vu que les élites intellectuelles ne paient en principe pas leur exemplaire plus cher que les autres, il faut bien se faire connaitre de la plèbe histoire de ne pas la laisser utiliser son pouvoir d'achat autre part. Du coup, décrocher le droit d'ajouter un de ces bandeaux de réclame rouge crève-oeil mais tellement efficace à la couverture de son dernier produit est le fantasme de tout bon éditeur. Pour ce qui est de ce qu'il doit y avoir écrit sur le bandeau, pas la peine de payer des portes-cigarettes Cartier à tous les membres de l'Académie Goncourt : un simple "Meilleure Vente" en Arial gras 34px et le tour est joué - ou un "Best Seller" si on s'adresse à un public qui a envie de se trouver cool.
Du coup, on est sensiblement plus dans le "comment mettre mes produits bien en évidence en tête de gondole à la FNAC" que dans le "comment diffuser au plus grand nombre des pistes nouvelles et audacieuses de réflexion". Alors forcement, surfer sur les polémiques est un moyen rentable de s'assurer un bon éclairage médiatique et de ne pas tomber à coté des préoccupations de la ménagère de moins de cinquante ans.
Je veux bien que ce ne soit pas systématiquement le cas : après tout par exemple, la bibliothèque de la pléiade a très «éthiquement» répugné à user de viles ruses marketing pour séduire le grand public et préfère humblement refiler ses rééditions d'oeuvre tombées dans le domaine publique il y a mille ans à des snobs qui les ont déjà lues mais qui font la collec'.
Mais avouez que créer le buzz populaire autour d'un torchon écrit en vingt minutes par un has been en quête de feux de la rampe, ça peut être vachement tentant.
Emmanuelle Duverger est éditrice. Et elle voudrait bien être une grande et célèbre éditrice, Alors elle s'est mise en tête de dénicher le René la Taupe de la prochaine rentrée littéraire. Privilégiant l'efficacité à la subtilité, elle s'est engouffrée dans la niche de la polémique puante que d'autre lorgnaient timidement sans doute retenus par des vestiges de morale déplacée.
Apres avoir exploré les sujets brulants de l'antisémitisme et la liberté d'expression, les Editions Mordicus, dont la spécialité est de "créer le débat" en faisant témoigner les illuminés enflammés de tout bords, choisissent cette fois-ci de nous asséner tous les lieux communs possibles sur la question de l'homosexualité.
Dans "Les Homosexuels Font-Ils Encore Peur", un frustrant micro-trottoir journalistique où aucun des intervenants n'aura l'occasion de répondre aux autres, on voit platement résumées des opinions défendables mais même pas défendues (puisque ce n'est, rappelons le, pas le but : c'est un livre fait pour être vendu, pas pour être lu. Dans le cas qui nous intéresse, sa jolie couverture est sont plus grand interet). La grenouille de bénitier (mme Boutin, consulteur au Conseil pontifical pour la famille), le militant gay révolté (m. Chapier, journaliste homosexuel se réclament témoin de la naissance du mouvement homosexuel) et le Cassandre socialiste catastrophé (m. Chaumont, psychiatre sociologue passionné par la question homosexuelle dans les quartiers sensibles) donnent leurs réponses personnelles à une liste de questions bateau, en prenant toute fois , bien soin de rester dans leurs rôles. Là ou la première s'exerce sans subtilité à la langue de bois, le second verse dans la provocation et le troisième paraphrase le quatrième de couverture de son dernier "Best Seller".
Vous n'apprendrez rien de ce fascicule (une petite centaine de pages A5 imprimées en gros caractères avec des marges scandaleusement épaisses) que vous n'auriez pu apprendre au PMU du coin - ou dans le dernier "Best Seller" de Chaumont. Si vous avez des amis, posez leur la question, vous économiserez dix euros et une demi-heure de votre vie. Apres, si vous voulez qu'Emmanuelle Duverger reçoive son macaron "meilleur démarrage de la semaine" sur amazon.com, libre à vous.
JG
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