
La femme à modeler est la femme-modèle, femme objet, mais objet projetée, projection d’un désir, désir d’un regard, ce regard posé sur elle qui rend son corps modelable et impudique.
C’est la question de la pudeur, qui commence, comme il en va de soi, à heurter la modèle, où même l’immobilité devient problématique, « j’ai vingt ans. J’ai déjà fait l’amour mais pas cet amour sans geste et gracieux. Un amour en pleine immobilité sexuelle« . Le moindre geste, détaillé, scruté par l’artiste, perd de sa légèreté pour la novice, « sur la chaise, faire le geste universel. L’ absolument évident de s’asseoir. Asseoir moi. Exécuter l’enchaînement souple et irréfléchi de sous-mouvements formant s’asseoir. L’infinité émouvante de s’asseoir ». C’est dans cet espace du regard, que la femme à modeler prend conscience de son corps, de ses « parfaites imperfections », de ses mouvements, de son regard, d’abord fuyant, puis fixe et sûr de lui. Du parcours qui relie, dans un sens ou dans l’autre, le geste naturel, au geste gêné, jusqu’au geste naturel retrouvé.
Mais le rapport du regard au corps nu, la relation monétaire inévitable qui s’y lie, crée une tension sexuelle, érotique, dans la brèche entre la prostitution et le désir inassouvi: « Il suffit d’une fois pour comprendre que l’immobilité rend plus vive la nudité et que l’absence de contact avec le corps du peintre, plutôt que d’exclure la relation du pays sexuel, l’y plonge, de la plus lente et profonde manière« . Le peintre est celui qui est inévitablement vêtu et peint, le modèle celui qui est nu et « croqué », à tous les sens charnel du terme. Car c’est bien de la relation au corps autour de quoi tout se noue, le corps dans sa rare impudeur, dans son dévoilement consentit et mis en scène. Dans l’acceptation du désir de l’autre, non pas désir sexuel mais désir de sa soumission à la mise en scène, sa soumission au modelage du regard artistique, où le corps peut être transformé, sublimé, croqué, ingurgité et régurgité.
Un livre court, des éditions Naïve, un texte simple et frais, illustré par des dessins gracieux au fusain de Sylviane Blondeau.
Emma Breton
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