
MadameDub : Mejor desaparecer est votre premier livre ; d’où est venue l’inspiration pour ce livre, et comment est né le besoin d’écrire? Diriez-vous que c’est une autobiographie romancée ?
Carmen Boullosa : J’ai écrit Mejor Desaparecer après avoir essayé de bâtir un long roman réaliste qui raconte l’histoire d’un homme ayant récemment perdu sa femme et la fille qu’ils avaient ensemble. Je voulais reproduire un monde gothique/hanté par les fantômes, dans un environnement urbain, le Mexico City des années 1970. J’avais de la fureur dans mon cœur – ma mère venait de mourir, son décès nous « hantait », mes frères et sœurs et moi. J’ai laissé le « grand » roman de côté, et me suis concentrée sur la fille de ce roman original, je l’ai vomie si je puis dire, je l’ai broyée contre le sol, et elle est finalement devenue plusieurs autres individus fragmentés. Ceux-ci sont mes personnages. Nés à partir de ma douleur (celle d’avoir perdu ma mère), de ma rage (contre la nouvelle femme de mon père, qui n’aurait pas pu être plus méchante à l’égard de mes frères et sœurs). C’est très personnel, et aussi très fantastique.
Il me faut clarifier un point : Mejor Desaparecer n’était pas mon premier livre. J’avais déjà publié 3 recueils de poésie ayant eu une très bonne réception de la part de la critique. J’étais hautement considérée comme une poète. Cela fut en partie la raison pour laquelle j’ai gardé mon premier roman pendant près de 7 ans. Je savais que les poètes ne sont jamais pardonnés quand ils publient des romans – ils perdent le glamour, ils semblent moins… Il y avait également le facteur personnel. Je savais que certaines personnes allaient reconnaître des parties de ma vie dans le livre, des parties très personnelles, et je ne me réjouissais pas de cela.
MadameDub : Le livre commence sur le ramassage du « Ca » par le père de famille. Le lecteur ne sait jamais vraiment ce qu’est ce « Ca », mais il va devenir une obsession pour le père et bouleverser définitivement la vie du foyer. Le terme « Ca » évoque beaucoup au vocabulaire freudien ; Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Carmen Boullosa : « Eso » -« Ca »- est « le diabolique », « el Mal ». C’est la belle-mère aussi. C’est la mort de la mère. C’est l’incarnation de la maladie qui frappe la famille.
MadameDub : Le récit mêle la narration de plusieurs voix, et met l’éclairage sur différents aspects de la vie familiale. Comment avez-vous procédé pour ce travail d’écriture ?
Carmen Boullosa : Je l’ai écrit d’un trait. Du début à la fin. Je me suis littéralement enfermée à la maison et j’ai écrit sans m’arrêter jusqu’à ce que je parvienne à rassembler tous les fragments. C’était comme une explosion. Le flux était rapide, constant, comme si cela avait précédemment été écrit. Comme un miracle.
MadameDub : Comment ce livre a-t-il été perçu au Mexique ?
Carmen Boullosa : Le livre a reçu beaucoup d’attention. La plupart des critiques l’ont vraiment apprécié, et certains l’ont adoré. J’ai été quelque peu surprise : il brosse le portrait d’un monde répugnant… Et il ne le « polit » en aucune manière.
MadameDub : Pourquoi le publier à présent en France ? Quel regard porte-t-on sur son premier livre des années plus tard, lorsque l’on est une auteure reconnue ?
Carmen Boullosa : C’est entièrement le fait de Sabinne (ndlr Sabine Coudassot-Ramirez est la traductrice du roman). Elle l’a traduit, elle a trouvé un éditeur. Tout est de son fait. Tout ce que je peux faire, c’est lui être reconnaissante.
MadameDub : En plus de la littérature, c’est désormais sur un projet de cinéma que vous travaillez, avec la sortie au Mexique de « Los parades hablan ». Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ? Aurons-nous la chance de le voir en France ?
Carmen Boullosa : Ma fille est actrice. Mon fils est producteur – il a travaillé sur des films, comme le documentaire « Chávez » de Diego Luna, ainsi que sur plusieurs publicités. Je voulais travailler avec eux, à présent qu’ils étaient deux adultes. La dernière fois que nous avions fait quelque chose ensemble ils étaient tous les deux des adolescents. J’ai écrit une pièce de cabaret, elle fut montée et ils ont tous deux joué dedans (ils interprétaient les filles de Freud – le rôle principal était joué par Jesusa, qui est une actrice et réalisatrice très connue au Mexique). Nous nous sommes beaucoup amusés. Mais cette fois, ce fut notre première collaboration en tant que 3 adultes. Nous avons commencé à travailler sur ce film avec un de nos amis, le producteur de films Anfrew Fierberg (« Fur », avec Nicole Kidman, parmi 30 autres films ; il a travaillé avec David Lynch, Ethan Hawk et beaucoup d’autres). Nous avons réuni une équipe mexicaine. Il est déjà lancé, and nous verrons si nous sommes en mesure d’intéresser quelqu’un pour le distribuer à l’étranger. Ce n’est désormais plus entre nos mains. J’espère que nous trouverons quelqu’un intéressé pour rendre possible sa diffusion en France.
Retrouvez le livre de Carmen Boullosa sur le site des éditions DuB
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