Présentation (ce que vous voulez/pouvez dire de votre situation professionnelle, années d'expérience, ville, et service)
Je suis fonctionnaire de Police depuis 6 ans, mon grade est Gardien de la paix, j’exerce dans un commissariat d’arrondissement d’une des plus grandes villes de France dans un service de Police Secours (Unité de sécurité publique).
Le livre "Omerta dans la police" de Sihem Souid fait beaucoup de bruit, et ce à plusieurs niveaux. Du côté des lecteurs, l’auteur fait scandale en dénonçant les pratiques discriminatoires de la police. Du côté de la police, elle fait scandale en brisant le secret professionnel. En tant que policier, pouvez-vous nous parler dans un premier temps de ce qu'est cette fameuse « obligation de réserve » ?
« Obligation de réserve » : selon le Code de Déontologie de la Police Nationale, les fonctionnaires de police peuvent s'exprimer librement dans les limites résultant de l'obligation de réserve à laquelle ils sont tenus et des règles relatives à la discrétion et au secret professionnels (Article 11).
Le devoir de réserve « interdit au fonctionnaire de faire de sa fonction l’instrument d’une propagande quelconque. »[]. Il s'agit d'une application du principe de neutralité du service public, néanmoins balancé par les droits dont bénéficie chacun (liberté d'expression, droits syndicaux etc.), y compris lorsqu'il est fonctionnaire.
Il s'agit pour le fonctionnaire : d'une part de ne pas se servir de sa position à d'autres fins, et d'autre part de ne pas mettre en difficulté son administration. L’obligation de réserve est une construction jurisprudentielle complexe qui varie d’intensité en fonction de critères divers (place du fonctionnaire dans la hiérarchie, circonstances dans lesquelles il s’est exprimé, modalités et formes de cette expression).
Dans ce livre, la police est montrée comme particulièrement soumise aux contraintes de quotas, notamment en ce qui concerne le nombre de clandestins interpellés et reconduits aux frontières. Est-ce une réalité à laquelle vous avez à faire dans votre quotidien ?
Les politiciens font de la Sécurité Publique leur cheval de bataille. Il est donc apparu, depuis plusieurs années, dans la police et comme dans d’autres administrations, un système de quotas. Ceci afin de chiffrer et de donner des résultats aux électeurs. Malheureusement la Police Nationale a été comparée trop facilement par ces grandes têtes pensantes à une entreprise. Sont donc apparus ces fameux chiffres à respecter. Depuis « l’ère » Sarkozy (2002 : Ministre de l’intérieur) toute l’activité de la PN est chiffrée. Nous sommes soumis à un quota en contraventions, en interpellations et en résultats (affaires résolues). Ces dispositions obligent les fonctionnaires à faire de la quantité et non de la qualité afin de garantir la « tranquillité ». En effet, toute inobservation de ces règles (le plus souvent non officielle) conduit le fonctionnaire à une « punition » soit dans son évolution de carrière soit dans ses choix de mutations. De plus, des primes exceptionnelles aux résultats sont attribuées aux « meilleurs éléments » ce qui, vu nos petits salaires (les plus bas de la communauté européenne en matière de Police), encourage certains à faire du zèle (malheureusement…).
Avez-vous déjà été témoin de pratiques discriminatoires de la part de policiers? Pensez-vous vous aussi que certaines populations minoritaires sont victimes de harcèlement ou de rejet au sein de certaines équipes - qu'il s'agisse de discrimination liée à l'origine ethniques ou aux orientations sexuelles- ?
En 6 ans de police, (pas grand-chose entre nous soit dit) je n’ai à aucun moment été témoin de pratiques discriminatoires de la part de policiers.
Par contre j’ai pu constater qu’un fonctionnaire d’origine magrébine jouait bien de ce sujet sensible dans notre administration, et arrivait à avoir ce qu’il voulait de l’administration malgré son comportement souvent dans l’illégalité. Il mettait toujours en avant, quand un fonctionnaire écrivait un rapport d’information sur lui, que celui-ci ne voulait pas d’arabe dans sa brigade, ou que celui-là été raciste. Par peur de retombées médiatiques (notamment par des associations soit disant anti-raciste), la hiérarchie a toujours répondu à ses volontés en le mutant là où il voulait.
Par ailleurs j’ai travaillé avec des fonctionnaires d’origine magrébine, des antillais ainsi que des homosexuels, sans qu’il n’y ait à aucun moment des pratiques discriminatoires.
Le récit de Sihem Souid concerne un service néanmoins spécifique qui est celui de la PAF d' Orly. Que pouvez-vous nous raconter sur le fonctionnement de cette brigade? Quels sont ses droits, ses devoirs, ses enjeux et ses limites?
La PAF d’Orly n’est pas une brigade mais un service qui dépend directement de la Direction Centrale de la Police aux Frontières. Ce service est constitué comme un commissariat classique. A savoir, plusieurs brigades qui ont des missions différentes et complémentaires.
Nous pouvons trouver des Brigade Anti Criminalité, des groupes d’intervention, des brigades de voie publique, des brigades d’enquête, des brigades de transfert et autre. Tout ceci a pour vocation de sécuriser l’aéroport d’Orly.
Son fonctionnement est comme tout service dépendant de la PN, les fonctionnaires actifs obéissent à une structure hiérarchique bien établie, ils sont classés en 4 fonctions :
· Corps de conception et de direction (Commissaire de Police)
· Corps de commandement (Officier de Police)
· Corps d’encadrement et d’application (Gardien de la Paix)
· Les assimilés fonctionnaires (Adjoint de Sécurité contrat de 5 ans non renouvelable)
Ses droits et ses limites sont régis par le Code de Procédure Pénale, le Code Pénal ainsi que le CESEDA (Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile). Comme ceux de tous fonctionnaires de Police (DCCRS, DCSP, DCPJ, DRCPN, IGPN, DCRI, SPHP, DCI et Préfecture de Police).
Ses devoirs sont de :
· veiller au respect des textes relatifs à la circulation transfrontalière,
· lutter conter l’immigration irrégulière sous toutes ses formes (filières, ateliers de travail illégal recourant à la main d'œuvre étrangère, officines de faux documents administratifs),
· concourir à la sûreté des moyens de transport internationaux,
· assurer les missions de police aéronautique (sécurité générale des ports et aéroports),
· contribuer à l’éloignement effectif des étrangers séjournant irrégulièrement en France.
Comment ce livre a-t-il été accueilli par la majorité des policiers? S'y reconnaissent-ils? Le trouvent-ils courageux? Excessif?
Peu de fonctionnaire à ma connaissance ont lu ce livre, mais le sentiment est unanime : l’histoire de Sihem Souid est de l’ordre de l’exception. Les problèmes soulevés sont personnels, et n’ont rien à voir avec l’ensemble de la Police Nationale.
Comment peut-elle généraliser se qui s’est passé dans son (petit) service à celui de la Police en général ? C’est comme dire «ce magrébin est un voleur donc tout les magrébins sont des voleurs… ».
Bien d’autres points plus généraux pourraient être abordés sur les réels dysfonctionnements de la PN.
Vous avez déjà travaillé dans plusieurs services et plusieurs villes. Quelle sont, de règle générale, l'ambiance et l'esprit dans les équipes de policiers? Parleriez-vous de cohésion dans les équipes? Ou bien diriez-vous davantage que des différences de traitement existent en fonction des groupes ethniques et des divergences d'orientation sexuelle?
J’ai travaillé dans trois services différents et dans trois villes différentes jusqu’à présent. Les équipes avec lesquelles j’ai pu travailler sont toutes semblables. Un esprit de groupe et d’amitié et donc de cohésion est nécessaire pour le bon fonctionnement d’un service. Jusqu’à présent tous les fonctionnaires que j’ai pu rencontrer se tiennent la main (et peu importe leurs origines ethniques ou leurs orientations sexuelles,) pour assurer toutes les missions difficiles de notre métier. Toutefois je tiens à préciser que je parle bien sûr du corps auquel j’appartiens (corps d’encadrement et d’application). Concernant le corps de commandement et le corps de conception et de direction, ils ne souhaitent qu’une seul chose : de bons résultats pour leur évolution de carrière… (et tout ça Grâce aux jolis camemberts…) et pas de vagues, peu importe les moyens utilisés.
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