Madame du b (avatar)

Madame du b

Abonné·e de Mediapart

218 Billets

0 Édition

Billet de blog 15 septembre 2012

Madame du b (avatar)

Madame du b

Abonné·e de Mediapart

Dostoïevski: "Notes d'un souterrain", ou les mémoires d'un homme malade

Madame du b (avatar)

Madame du b

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Je suis un homme malade…Je suis un homme méchant. Un homme plutôt repoussant. Je crois que j’ai le foie malade. Soit dit en passant, je ne comprends rien de rien à ma maladie et je ne sais pas au juste ce qui me fait mal. Quoique respectant la médecine et les médecins, je ne me soigne pas et ne me suis jamais soigné. Ajoutez à cela que je suis superstitieux à l’extrême; enfin, assez pour respecter la médecine. (Je suis suffisamment instruit pour ne pas être superstitieux, mais je le suis quand même). Eh, non! c’est par méchanceté que je refuse de me soigner. Et ça, je suis sûr que vous ne me faites pas l’honneur de le comprendre ».

Ce sont sur ces mots étranges que s’ouvre l’étonnant « Notes d’un souterrain » de Fedor Dostoïevski. Mais vraiment,comme le présume le narrateur, ne pouvons-nous comprendre cette étonnante délectation de la souffrance et du mal-être? Pas si évident.

Ce livre, qu’ André Gide considérait comme la « clef de voûte de l’oeuvre » de l’écrivain russe se compose de deux parties. La première, monologue introspectif du narrateur, explore deux thématiques, la souffrance, et son contentement. La seconde partie, « A propos de neige fondue », est une mise en pratique de la première partie théorique.

L’homme du souterrain est un solitaire, un misanthrope, qui se veut lucide et intransigeant. Mais homme du paradoxe, il s’avoue lui-même la victime du labyrinthe qu’il a lui-même tissé…ployant sous le mécanisme de passivité-agressivité dont il est dépendant, il se reconnaît comme la victime consciente de la jouissance de la souffrance.

« A propos de neige fondue » explore la métaphore de cette neige fondue, sale, poisseuse, qui n’en finit pas de disparaître à la fin des grands froids…une neige qui n’est plus ni glace, ni eau, mais boue collante et dérangeante…..le narrateur raconte ses années de fonctionnaire administratif, sa vie de solitaire, avec à son service un majordome qui le méprise et qu’il méprise, entouré de collègues dont il s’échine à rechercher la compagnie pour le plaisir même de nuire et de se sentir humilié. Dépendant à cette souffrance, dont l’intensité ne pourra plus être égalée par aucun plaisir d’aucune sorte, il cultive malgré lui la recherche du respect de ses pairs, se mettant paradoxalement lui-même en échec dans cette quête.

Condamné à rechercher un objet (le respect, l’honneur, l’affection d’autrui) dont il s’ôte lui même l’accès, c’est peut-être à ce mouvement de soif insatiable, à cette frustration, dont l’homme du souterrain est dépendant. Dans l’excès de cette souffrance, dans la passion de ce ressenti, il trouve la délectation dont il est en recherche.

A l’image de cette neige fondu écoeurante, l’ anti-héros de ce récit incarne toute la pluralité et l’ambiguïté de l’esprit tortueux humain, et nous rappelle la parabole d’un autre philosophe de l’est, Arthur Schopenhauer, sur le désir de porc-épics de se resserrer pour se protéger du froid, « mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s’éloigner les uns des autres. Quand le besoin de se chauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de façon qu’ils étaient ballottés de çà et de là entre les deux souffrances, jusqu’à ce qu’ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendit la situation supportable ».

L’homme du souterrain est encore au-delà de ce comportement humain hostile, il est celui qui volontairement recherche le contact douloureux des piquants d’autrui, et qui, blessé, est le captif de cette compulsion de répétition, entre besoin de reconnaissance, souffrance et sadisme.

Retrouvez toutes nos chroniques sur www.madamedub.com

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.