Limonov n’est pas un personnage de fiction, il existe vraiment, l’auteur, Emmanuel Carrère le connaît et ne l’en décrit pas moins comme un être aux idées violentes, d’obédience fasciste et peut-être un raté.
Limonov est son nom d’écrivain, car il écrit, et beaucoup et il est reconnu. Petit, il admirait son père militaire avant de se rendre compte que celui -ci n’était qu’un garde chiourme anonyme dans le régime soviétique. Il gardera de cette désillusion le désir d’être, lui,quelqu »un que l’on respecte ,que l’on craint, admire,quelqu’un de dangereux, capable de tuer comme il dit.
Son parcours est surprenant, incroyablement varié et nous permet de suivre l’histoire de son pays, il est Russe, de l’époque de l’URSS sous Brejnev au chaos de la Russie actuelle.
Limonov a été voyou en Ukraine avant de découvrir ses talents d’écriture, personnage de l’underground artiste soviétique, émigré russe à New York quasi clochard, majordome chez un milliardaire de Manhattan, écrivain branché à Paris, soldat improbable au côté des Serbes , chef charismatique d’un parti néo-fasciste pour jeunes Russes paumés de l’après communisme…
Il se voit comme un héros, l’auteur dit qu’on peut tout aussi bien le considérer comme un salaud ou un raté, et on peut être surpris au fil du récit de le trouver aussi loyal, fidèle, fiable, rigoureux, avec les femmes et dans la vie. Personnage complexe et paradoxal, donc.
Après ces débuts de petit voyou et un séjour en psychiatrie pour s’être taillé les veines, il se redresse par l’écriture qui le mène à rencontrer Anna qui tient un lieu bohème où se retrouvent des artistes underground. Sa liaison avec Anna le rendra même maître des lieux. Autour d’eux à la fois des fascistes et des sionistes impressionnés par la puissance militaire juive, toujours cette fascination de la force, de la puissance, la guerre, la révolution.Il pense que les dissidents exagèrent le totalitarisme, il ne sera pas écrivain dissident. Sa longue et fidèle liaison avec Anna cesse avec les troubles psychiatriques de celle-ci, il épouse la très séduisante Elena. En 1974, c’est avec elle qu’il émigre aux USA pour un voyage sans retour, on ne rentre plus en URSS à cette époque là.
La vie à New York est stupéfiante pour les deux Russes qui n »ont jamais vu un film américain, ceux-ci étant interdits. Ils ont quelques adresses d’émigrés comme eux ce qui permettent à Edouard(Limonov) d’écrire des articles dans une revue pour émigrés russes déçus qui forment un petit monde rance. Elena qui rêve d’être mannequin s’éloigne, le voilà seul sans travail ni femme ni amis, proche de la clochardisation. Il découvre les relations homosexuelles, d’où plus tard son livre: Le poète russe préfère les grands nègres. Il aura une liaison avec Jenny, bonne chez un milliardaire. Au départ de Jenny, il prendra sa place et deviendra majordome zélé, car il fait bien tout ce qu’il fait, tout en haïssant les riches qu’il sert et en rêvant de la révolution, la vraie, violente qui remettra le bon ordre.
Il continue à écrire sa haine des classes , son envie, ses fantasmes sadiques, cela aboutira à son livre: Le journal d’un raté.
On a parlé de ses écrits à Paris, il va y être enfin publié chez Pauvert , il s’y rend et ce sera la période écrivain branché, provocateur.Il est avec Natacha, issue comme lui d’une grise banlieue soviétique, elle boit , le trompe, il souffre, il est fidèle, lui, et monogame. C’est l’époque Gorbatchev, il détestera l’éclatement de l’empire et de la puissance soviétique, la force du KGB, il regrette l’URSS où chacun était fier de son pays, maintenant on leur a dit qu’ils étaient gouvernés par des assassins depuis 1917, le peuple a perdu sa fierté qui était sa seule richesse. Mais cela lui permet de revenir à Moscou et en vainqueur car ses livres s’y lisent avec délices, on n’avait jamais rien lu de tel ici ! Il y tient des discours où il méprise les faibles alors qu »autour de lui paradoxalement, il plaint son peuple et voudrait le protéger.
En 1991,il est invité en Serbie pour la parution d’un de ses livres. Le voilà enfin devant une guerre! Ilprend partie pour les Serbes et joue à la guerre, il parle du plaisir de la guerre.Cet épisode lui fermera la porte des éditeurs français pour lesquels il est devenu un quasi criminel de guerre.
De retour en Russie,il souhaite reprendre les armes avec un putsch militaire contre la démocratie qui échoue lamentablement. Il pense que la démocratie, comme le catholicisme veut répandre la bonne parole auprès de ceux qu’elle considère comme des sauvages. En Russie, c’est l’époque du chaos, des privatisations sauvages qui profitent à un million de Russes rusés et nantis, plongeant 150 millions d’autres Russes dans la misère.Tout est devenu à vendre ,autant le verdict du juge que la clémence du policier ou le tampon du fonctionnaire. Le rackett est partout.Les anciens du KGB privatisent leurs services et deviennent une mafia comme une autre.Dans l’armée on vend clandestinement les armes.
Limonov fréquente les nostalgiques du communisme,les nationalistes furibonds. Il crée son parti politique néofasciste qui attire les jeunes désorientés des banlieues à qui il donne une raison de vivre. A la tête de son parti pitoyable il se vit comme un révolutionnaire au sommet de sa gloire. Leurs maigres actions sont des taggs, des banderoles,des troubles lors de manifestations officielles. Leur local s’appelle Le bunker, son amie Natacha prend le pseudonyme de Margot Fürher,le style est punk et gothique.
En Russie,après quelques petites années de démocratie mal gérée, le parti communiste s’apprête à revenir au pouvoir, mais les banques ont besoin du démocrate Eltsine qui est prêt à privatiser à bas prix tout ce qui appartient à l’état. Elles vont assurer sa campagne et le faire élire. Edouard rêve toujours de révolution et part dans les territoires qui appartenaient autrefois à l’URSS pour y allumer des foyers d’insurrection. Il sera soupçonné d’organiser des camps d’entraînement terroristes , en réalité , il n’en a organisé aucun….Mais il apparaît comme dangereux,son parti est interdit et il connaît la prison.
Il y découvre la méditation, qu’il pratique sérieusement, comme tout ce qu ‘il fait, de là, il connaît un bref instant « d’illumination » et déclare : »je ne retournerai pas aux émotions de l’homme ordinaire « .
Sa réputation d’écrivain de talent va accélérer sa libération et le voilà libre,écrivain adulé,guérilléro mondain, avec une femme qui l’aime…Il a 75 ans. Cette tranquillité convient-elle à cet être épris d’absolu ? Voir ses actuelles pensées à la fin du livre….
D.B.
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