Aujourd’hui je suis une femme française de 41 ans lambda : en vie maritale depuis 9 ans, j’ai un enfant et un travail que j’aime. J’ai des problèmes typiques à toute femme de mon âge dans la même situation. Je suis suivie par une psy depuis un certain moment. Bien que je m’intéresse volontiers aux problèmes sociétaux auxquels les femmes sont confrontées, je ne me suis jamais étiquetée féministe.
Il y a 3 mois ; j’apprends que je suis enceinte. Il y a un mois, le foetus meurt. Il faut déclencher une expulsion. On me dit d’aller aux urgences gynéco où une interne me reçoit. Elle me dit que cette situation est très fréquente, ce que j’entends volontiers vu mon âge. Je suis un cas comme un autre, on ne va pas en faire tout un flan. Je choisis la méthode médicamenteuse qui fera « un peu plus mal que des règles » et on me renvoie chez moi avec Spasfon et Doliprane. 72 heures plus tard, l’expulsion se déclenche. Je réalise avec stupéfaction mon ignorance sur le processus malgré mon âge : je n’avais pas compris qu’expulsion était synonyme d’accouchement, sans péridurale et seule dans son lit. Cette épreuve dure 12 heures, et je suis incapable de marcher pendant deux jours. Spasfon et Doliprane. Rien d’autre, pas de suivi, si ce n’est une vérification par une sage-femme en ville trois semaines plus tard.
Ma force mentale commence à me jouer des tours et je réalise que je suis en train d’ouvrir les portes bien scellées du tabou des fausses couches. La sage-femme m’avait pourtant bien donné des noms d’associations de soutien, j’essaye de les contacter, aucune ne revient vers moi. Je me renferme sur moi-même, attendant que les douleurs s’atténuent. Evidemment, au bout d’un moment, on se fait croire que ça passe ;
Quatre semaines plus tard, je suis toujours en train de saigner. Je n’ai toujours pas pu obtenir de rendez-vous localement, je n’ai pas beaucoup cherché beaucoup plus loin non plus, je n’en ai pas la force. Sauf qu’aujourd’hui, c’est l’implosion dans ma tête. Deux jours au lit sans bouger et sans manger, je pleure sans relâche. Mon conjoint désemparé, décide d’appeler à l’aide mais ne sait où se tourner. Les médecins ne répondent pas, ma psy est en congé, nous ne sommes pas véhiculés et je suis dans l’incapacité de bouger. Il décide alors d’appeler le SAMU ; deux boute-en-train d’ambulanciers arrivent, deux hommes. Quand j’arrive enfin à articuler mon envie d’en finir, l’un d’entre eux partage son expérience de fausse couche dans son couple et me conseille de ne pas se laisser aller, qu’il faut « aller de l’avant » et de « réessayer ». Certes. Cet avis non sollicité me laisse de marbre. Les deux clowns n’arrivent pas à saisir pourquoi mon conjoint a appelé le SAMU mais m’emmènent tout de même. Clairement une femme qui pète les plombs par manque de suivi après la mort d’un foetus à l’intérieur d’elle ne constitue pas une urgence. Elle devrait s’en remettre, et réessayer. Quelle chochotte.
Arrivée à l’hôpital, bien que toujours en pleurs, je me sens soulagée. On va me comprendre ici, et m’aider. Je vois un premier médecin, une femme bienveillante qui prend note de ce que je lui dis et qui semble comprendre ma détresse. Je lui explique que je veux juste dormir, dormir, dormir et que tout ça s’arrête. Il m’est compliqué de sortir les mots entre les sanglots mais je me dis que si je veux être prise en charge, c’est maintenant ou jamais.
Au bout de quelques minutes, elle revient avec un autre médecin homme qui me dit que tout ça va passer, que je suis juste dans le creux de la vague, c’est le cas des dépressifs comme moi. Qu’il ne va pas s’amuser à "jouer les apprentis psychiatres" en me donnant un traitement et qu’il faut que j’aille consulter en ville car il n’y a pas de service de psychiatrie dans cet hôpital (ce qui s’est avéré faux selon mes recherches ultérieures). Je tente de lui expliquer qu’il n’y a pas de rendez-vous avant 3 semaines, et que je suis physiquement/moralement incapable d’aller à Paris, ce à quoi il rigole en me disant qu’il comprend, c’en est de même pour lui. Pendant toute cette intervention, je pleure en continu et j’explique que je veux dormir sans jamais me réveiller. Selon lui, je ne constitue plus un danger et me dit de rentrer à la maison. On me rend mes affaires et on me laisse me débrouiller (seule) pour un taxi. Les pleurs et sanglots ne se seront jamais interrompus pendant toute la consultation.
Je rentre chez moi, toujours en pleurant, et toujours en saignant. Mais en plus, je me sens humiliée. Je me demande si vraiment je mérite cette aide, je dois être si faible pour la nécessiter. Je voulais juste qu’on s’occupe de mon esprit et de mon corps qui n’arrivent pas à se remettre de ce traumatisme, et qu’on me guide vers un rétablissement sain.
Aujourd’hui j’ai cherché de l’aide et elle m’a été refusée par un homme. Rien pour soulager, pas même une idée d’associations ou nom de médecin. Combien de femmes devront-elles sombrer avant que cette situation soit reconnue comme véritable traumatisme ? Quand les hommes vont-ils s’arrêter de s’occuper de problème de femmes ?
Aujourd’hui j’ai 41 ans et le système de santé m’a abandonnée.
Aujourd’hui, la rage et la colère m’animent, m’extirpant de ma torpeur, à défaut d’aide professionnelle.