Comme on sait, Edouard Philippe vient de créer un nouveau parti. Et il a choisi de lui attribuer un nom d’enfer : « Horizons ». Ça nous remplit de joie. Et d’espérance.
Choisir, quel acte difficile ! Choisir un titre pour son chef-d’œuvre, un nom pour son chat, son yacht … Ou encore un prénom pour son fils, sa fille, ses petits-enfants … En général, on peut dire que ce n’est pas de la tarte. Ma fille a appelé son fils Arsène. Bon. J’ai tout de suite eu une pensée émue pour Maurice. Leblanc. Mais Arsène ! Sinon, l’autre, là, le Eric, il vient de nous exposer que si jamais il était élu Président, les prénoms non-franchouillards, c’est fini. J’ai essayé de voir la liste. J’ai eu peur. Je m’appelle Karl. Ma femme s’appelle Myriam. Et dans ma famille on trouve des Moncef, des Luciano, des James… On va aller où ?
En revanche, pour les noms de famille on n’a pas le choix. C’est la généalogie. Mais choisir un nom de parti politique, ça, ça demande beaucoup de sagesse et de réflexion. En plus, parfois, le nom qu’on vient de choisir a une vie assez brève. Est-ce que ce sera le cas d’Horizons ? Prenons l’exemple de la droite française dont Guy Mollet, en son temps (sous la quatrième république), prétendait que c’était la droite la plus bête du monde. Idiot ce Mollet. Elle n’est pas si bête que ça. C’est d’ailleurs Christian Jacob qui l’avoue : « on n’est pas obligés d’être la droite la plus bête du monde ». Pour se faire une idée, on va examiner combien de noms la droite française a choisis dans son histoire proche (disons, de 1947 à nos jours).
1947-1955 : Rassemblement du peuple français (RPF)
1955-1956 : Union des républicains d'action sociale (URAS)
1956-1958 : Républicains sociaux (RS)
1958-1962 : Union pour la nouvelle République (UNR)
1962-1967 : Union pour la nouvelle République - Union démocratique du travail (UNR - UDT)
1967-1968 : Union des démocrates pour la cinquième République (UD-Ve)
1968-1968 : Union pour la défense de la République (UDR)
1968-1976 : Union des démocrates pour la République (UDR)
1976 – 2002 : RPR
2002 – 2015 : UMP
2015 – xxx : Les Républicains
Pas bête ces changements de nom. Ça fait marcher le petit commerce. Papetiers, imprimeurs, publicitaires, etc. Et en plus, ça en fait des dragées à commander pour les baptêmes, à chaque fois ! Il y en a eu onze, tout de même. Et des copains à inviter. Il est vrai que, le plus souvent, ces petites festivités familiales identitaires se sont accompagnées de jolis petits concerts de casseroles et autres mises en examen, condamnations, taule, etc. Bon. Mais tout ça, c’est du passé. Du passé faisons table rase.
Il reste qu’on peut s’interroger sur le choix de M. Philippe pour le nom de son parti : Horizons. Tout le monde le sait, l’horizon est une ligne arbitraire qui a l’avantage de se déplacer en même temps que l’observateur. Plus tu avances, plus l’horizon fout le camp. Si tu es au bord de la mer, disons à Lorient (pourquoi Lorient ? Bon : Concarneau), à force de lorgner l’horizon, vers l’Ouest, à bord de ton petit bateau, tu te retrouves quelques semaines plus tard à New-York. Et là, plus d’horizon, ou alors un horizon bien bouché. Tu as l’air de quoi. L’idéal, pour jouir longtemps d’un bel horizon, c’est donc de ne pas bouger. Face à la mer calmée, par exemple. Voilà qui interpelle si l’on songe au dynamisme qui semble être la marque des actes de M. Philippe. Aurait-il l’intention de séduire en priorité les sédentaires, les indolents, les pantouflards ? On se perd en conjectures.
Notons par ailleurs que, le bord de mer mis à part, le plus bel horizon s’observe généralement à partir d’un endroit placé en altitude. On dit aussi qu’on a une « belle vue ». En revanche, si tu te trouves au fond du trou, ou tout bêtement « au trou », alors la vue est moins belle. Lorsque Edouard Philippe nous invite à associer l’idée d’horizon à son parti, on voit tout de suite qu’il ne parle qu’à des gens qui ne sont pas au fond du trou, ni « au trou », ni non plus dans des endroits sans air et sans lumière, comme par exemple, une mine de cuivre, un sous-sol, une impasse glauque. Là encore on se perd en conjectures. M. Philippe oublierait-il les taulards, les déshérités, les obscurs ?
Et puis il y a ce pluriel dérangeant : « Horizons », avec un « s ». Là encore on est en droit de s’interroger. Que sont ces horizons multiples ? Car dans sa présentation, Edouard Philippe a bien pris soin de préciser : Ce nom a été choisi « parce qu'il faut voir loin ». Il a ajouté : « Son positionnement, c'est devant ». Devant, d’accord, mais c’est où, devant ? Quand on pense à cette multitude d’horizons. Lequel est le bon ? Il y a là de l’antinomie dans l’air. Ou alors M. Philippe nous refait le coup de la physique quantique selon laquelle la particule peut se situer ici et ailleurs, au même moment ; tout dépend de l’observateur.
Bon, d’accord, mais l’observateur, il a autre chose à faire. Par exemple aller expliquer ce que c’est que l’horizon aux femmes afghanes, aux enfants syriens, aux palestiniens, aux jeunes navigateurs de Lampedusa, etc., etc. Il faudra même oser annoncer que ce n’est pas un mais plusieurs horizons qui s’offrent à leurs regards éblouis, et leur dire, sans rire, paraphrasant la déclaration célèbre : « un autre horizon est possible ». Pas simple.
C’est comme je vous le dis, Mademoiselle Rose, on est bien peu de choses.