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Billet de blog 14 avril 2021

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la gardienne de musée

Une nouvelle de Pascal TEULADE qui m'a beaucoup plu

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mamounette

Je m’appelle Constance Queniaux et je garde Mamounette, mon arrière-arrière-grand mère. J’appris cette information par inadvertance.

C’est mon métier : 35 h par semaine. Mamounette n’est pas n’importe qui, c’est elle qui m’a, je l’avoue, révélée à moi même. Quand je dis que je garde Mamounette, c’est un peu exagéré, je garde plutôt son image…

***

Je travaillais déjà dans le musée. Je surveillais trois salles et devais déambuler toute la journée. Une annonce interne fut affichée: “Cherche gardien pour tableau unique.” Je me présentai la première. N’appréciant pas la marche, ni aucun autre sport, je pensais que garder un seul tableau me permettrait de rester assise.

Je fus choisie, paraît-il, pour mon apparence sérieuse, taiseuse, effacée, sans grâce et mes grosses lunettes rectangulaires.

“Ainsi vous ne ferez pas d’ombre au tableau ! me dit cyniquement le chef de service, et c’est une bonne chose !”

Cette remarque me toucha d’autant plus que j’étais considérée comme la ratée de la famille ; ils avaient tous créer de juteuses entreprises.

“Gardienne de musée : Encore plus avilissant que gardienne de  prison !” disait mon père. Au moins dans les prisons, il y a des êtres humains.”

Mon chef de service n’avait pas tout à fait tort ; j’étais timide et terne comme une porte. De prison justement. Je n’osai pas parler. A l’école, je n’avais jamais posé la moindre question à un professeur.

Je pris donc mon nouveau poste et découvrit “mon tableau”. Le premier jour, mon oncle féru de généalogie vint me rendre visite. C’est lui qui me donna l’information, la filiation.

Mon tableau était une aïeule. Je m’étonnais de ne le pas savoir, vu la célébrité du tableau. L’oncle m’avoua que c’était un secret de famille... comme si poser pour un tableau était une honte. Je pensais être la seule honte. Je n’en parlai à personne.

 Certes, j’aurai pu vanter à mon supérieur mon pedigree. Arrière petite fille du modèle du tableau, ça lui en aurait  bouché un coin. Je préférai me taire. Mon lien était mon secret. En l’informant de cette étrange conjoncture, je craignais un effet inverse. Qu’il me change de tableau… les raisons seraient aisées ; la peur que nos liens ne me distraie. Pervers, il m’aurait peut-être changé de musée et mis à garder un pot de fleur ou un coucher de soleil, ils pullulent dans les musées... Ma mère m’avait prévenu : certaines entreprises n’aiment pas embaucher des membres de la même famille. Bien sûr Mamounette ne travaillait pas “réellement” au musée. Mais on ne sait jamais. Questions droits et devoirs des salariés, les entreprises possèdent des monceaux de règlements parfois imprévisibles. Je devais prendre garde. La place était bonne ; la chaise se trouvait proche du radiateur et de la fenêtre.

Le deuxième jour de mon service, j’allai voir le tableau. Je lui annonçai  joyeusement :

— Bonjour Mamounette ! Quelle heureuse coïncidence de nous retrouver là ! Tu ne trouves pas ? Comme le monde est petit !

Les jours passèrent. La relation évolua.

A force de la garder, de l’avoir devant moi, de la regarder, j’eus une sorte de flash, de sensation intime, presque une révélation : Oui, un beau matin, je ressentis  avec étonnement  que nous nous ressemblions. Ce n’était pas évident au premier abord, juste une sensation...

Pour légitimer ce sentiment, je me mis à chercher des preuves. Je me mis à me regarder, me scruter dans les moindres détails dans un miroir. Je fis de nombreux selfies puis essayai de prendre la pose de mon ancêtre modèle et réalisai de nombreuses autres photos sous tous les angles.  Fort de mon travail, aux heures creuses, je les comparais avec Mamounette.

 J’en acquis la conviction. Sans aucun doute, Mamounette et moi, on se ressemblait comme deux gouttes d’eau. Je dirai même : le portrait craché ! Comment tant de ressemblances avaient pu passer les générations ?

Heureuse de se rapprochement, je me sentis de plus en plus liée a Mamounette. Mon travail gagna en intérêt... J’avais le sentiment de retisser un lien familial. Essentiel. Rien à voir avec une activité de gardiennage classique.  Mon travail prenait sens.

Cette ressemblance eut de belles conséquences. Elle m’aida à me comprendre. Elle était, je le sais maintenant, si criante qu’elle ne pouvait s’arrêter au physique. Je songeai que nous avions sans doute plus que des traits physiques communs. Nous avions sûrement des caractères, des passions, une nature commune....

Pourquoi en étais-je si sûre ? Pour une raison simple et je le reconnais,  un peu surnaturelle : Quand  les visiteurs la contemplaient, j’avais le sentiment que c’était moi qu’ils contemplaient. Quand un visiteur expert d’arts ou simples amateur fixait Mamounette, la scrutait, ou la prenait en photos, je rougissais, je vibrais, j’étais émue.

Mais mon plus grand plaisir était le groupe : cars de touristes bedonnants, étudiants paresseux, amoureux bourgeonnants, femmes dépitées, retraités maltraités. Tant de gens venus “pour moi”, m’excitait, faisait monter le plaisir. Parfois la jouissance était trop importante, magistrale, difficile à dissimuler.  Mais professionnelle,  je réussissais à garder ma pose, à simuler le sérieux attendu de ma fonction. Pour cela mes lunettes et mon col roulé m’aidaient.

Étais-je devenue exhibitionniste ? Sans doute ! Mais Mamounette, comme tout modèle, devait l’être aussi.

A d’autres heures creuses, je lui parlais :

— Mamounette, je pense à toi. As-tu pris  ton pied, à poser ? Je le suppute, vu la beauté de l’œuvre.

Puis une idée me vint. Je lui soumis :

— Moi aussi, j’aimerai poser.... je veux poser... Mais qui voudra peindre une gardienne de musée. Personne ne connaît notre lien. Oui, je te jalouse, Mamounette !  Je suis fière de toi, d’être de ta famille...  modèle.  Je veux être modèle aussi ! Tu es mon modèle… Un jour, Mamounette je te le promets, mais ne le répète pas, je me mettrai dans la même position que toi, juste en dessous du tableau. Et tout le monde, le beau monde, la foule pourra comparer et tout le monde verra qui je suis...  une beauté émouvante, joyeuse, palpitante. Et ce jour, sûr, je serai la star. Et je sais que tu me susurreras de ta hauteur avec ta voix coquine : 

« Bravo ma Loulou, je suis fière de toi ! »

Je suis gardienne au musée d’Orsay de “l’origine du monde”.  Moi j’appelle ce tableau :

« Mamounette ! »

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